Les premiers résultats du recensement de la population :la transition démographique avance à grands pas

Par Abdeslam Seddiki

Le Haut-Commissariat au Plan vient de publier les premiers résultats du recensement de la population effectué durant le mois de septembre dernier. Il faut saluer la rapidité avec laquelle l’opération s’est déroulée et cela grâce à la technologie introduite en utilisant les tablettes au lieu stylo, de telle sorte que les enquêtes effectuées par les recenseurs sont directement et automatiquement enregistrées sur un serveur central.  Ce qui confirme les bienfaits de la technologie et ses effets sur la productivité du travail. Bien sûr, la technologie, aussi sophistiquée soit-elle, n’est pas indemne de défaillances et d’erreurs.
Les résultats publiés demeurent partiels. Ils sont limités à la population légale.  Il faut attende la publication des données relatives à l’habitat et aux conditions de vie en général pour avoir une vue complète sur le Maroc et les Marocains d’aujourd’hui.

Quels enseignements à tirer de ces premiers résultats ?

Le premier enseignement à retenir est la baisse continue du taux d’accroissement démographique confirmant ainsi une loi démographique établie selon laquelle « la croissance démographique est inversement proportionnelle au niveau du développement ». Cette loi va à l’encontre de la thèse de Malthus défendue dans son « Essai sur le principe de la population » selon laquelle la population tend à croître de manière exponentielle (c’est-à-dire à un rythme rapide et constant), tandis que les ressources alimentaires croissent de manière arithmétique (donc plus lentement). On a assisté au contraire à un ralentissement du taux de la croissance de la population et un accroissement du progrès touchant plusieurs domaines dont le secteur agricole.   Et si aujourd’hui, la pauvreté se maintient, ce n’est pas à cause de la croissance démographique, ni à cause du manque de ressources, mais c’est surtout à cause de la mauvaise affectation de ces dernières (ressources) et de leur appropriation par les classes dominantes.

 Certes, le taux de fécondité n’est pas le même pour tous les ménages comme on pourra le vérifier en croisant l’effectif des ménages et leur revenu. On se rendrait compte que ce sont les ménages pauvres qui comptent plus de membres. Ce qui a poussé certains auteurs à tirer une conclusion sous forme de boutade signifiant que « La table du pauvre est maigre, mais le lit de la faim est fécond ».

Examinons à présent quelques données chiffrées

Selon les résultats du RGPH 2024, la population légale du Royaume a atteint 36.828.330 habitants au 1er septembre 2024, dont 36.680.178 Marocains et 148.152 étrangers. On remarque que ces résultats ne concordent pas avec les chiffres prévisionnels tels qu’ils sont publiés régulièrement par le HCP.  Par rapport au recensement de 2014, l’effectif de la population a enregistré un accroissement absolu de 2.980.088 habitants, soit un taux d’accroissement annuel moyen de 0,85% au cours de cette période, contre 1,25 % entre 2004 et 2014 et 2,6% entre 1960 et 1982. Le nombre d’étrangers résidant dans le Royaume a augmenté de 61.946 entre 2014 et 2024, soit une augmentation annuelle de 5,6 %.

Le deuxième enseignement à tirer est relatif à la dynamique migratoire campagnes-villes. On relève que la population urbaine croit plus vite que la population rurale, confirmant une loi démographique bien établie. Ainsi, en milieu urbain, la population a atteint 23.110.108 habitants, avec une augmentation de 2.677.669 entre 2014 et 2024, soit un taux d’accroissement annuel moyen de 1,24%. En milieu rural, la population a atteint 13.718.222 habitants, soit une augmentation de 302.419 par rapport au recensement de 2014 et un taux d’accroissement annuel moyen de 0,22%. La population rurale, bien qu’elle augmente en chiffres absolus, même timidement, diminue en chiffres relatifs

Depuis 1960, la population du Maroc a plus que triplé et s’est renforcée de plus de 25 millions habitants en 2024, bien que l’accroissement démographique observé le long de cette période soit en diminution continue. Le taux d’accroissement moyen est passé ainsi, de 2,6% entre 1960 et 1982 à 1,25% entre 2004 et 2014 et 0,85% entre 2014 et 2024.

Cette dynamique démographique est portée principalement par le milieu urbain. Ainsi, la population urbaine qui s’élevait à environ 3,4 millions en 1960 est passée à 23,1 millions habitants en 2024, soit 19,7 millions de plus qu’en 1960 et un accroissement au rythme de 3,04 % par an. En milieu rural, la population est passée de 8,2 millions à 13,7 millions, avec un taux d’accroissement annuel moyen de 0,8% au cours de la même période. En d’autres termes, la population urbaine a été multipliée par près de 8 au cours d’un demi-siècle alors que la population rurale n’a été multipliée que par 1,7.

Ces tendances méritent d’être affinées davantage pour mieux comprendre les leviers de la dynamique démographique entre l’urbain et le rural. Pour mieux saisir la baisse de la population rurale, on doit séparer ce qui relève d’une baisse naturelle et ce qui relève d’un déplacement de la population vers les villes (exode rural). Pour l’heure, il y a lieu de souligner que le monde rural connait une transformation dans les modes de vie et les comportements sociaux suite à l’électrification et au développement des moyens de communication. Les ménages commencent à se familiariser avec une certaine « rationalité économique » qui les incite à changer leur comportement en matière de fécondité. Le mariage relativement tardif, l’alphabétisation progressive de la population, l’usage des moyens de contraception et d’autres facteurs renforcent cette dynamique.

Quant à la population urbaine, bien qu’elle continue d’augmenter à un rythme effréné pour représenter aujourd’hui près de deux tiers de la population totale, il y a lieu de souligner que cette dynamique concerne plus certaines villes que d’autres.  Les villes les plus attractives sont celles qui offrent des opportunités d’emploi et d’insertion à leurs habitants et aux nouveaux arrivants. En plus de Casablanca, qui a gardé sa place de « poumon économique » du pays, on mentionne Tanger, Marrakech et dans une moindre mesure Kénitra qui sont sur un trend ascendant, en plus des villes montantes du Sud particulièrement Guelmim, Laâyoune et Dakhla dont la croissance reflète la dynamique de l’intégration de nos provinces sahariennes dans l’ensemble national.  A contrario, on assiste à des villes, que nous pouvons désigner comme « villes dortoirs » qui évoluent indépendamment de l’activité économique et des villes dont l’évolution est lente faute d’attractivité.

D’où l’importance et l’urgence de procéder à une véritable inflexion des politiques urbaines et de l’aménagement du territoire en général. C’est l’une des finalités du recensement de la population et de l’habitat.

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