« L’irrésistible appel de Mozart » (Marsam 2022) de Abdellah Baïda
Par Mamoun Lahbabi
Le « la » est donné dans la phrase incipit: le bonheur d’un fonctionnaire à découvrir dans la guitare une raison de vivre après une longue et fastidieuse carrière de banquier.
Dans ce cinquième roman, Abdellah Baïda monte en note et se fait interprète musical. Les notes se combinent aux mots alors déposés afin que l’ensemble résonne comme une symphonie. Peu de roman donne à la fois à lire et à écouter. Ici, le lecteur a le sentiment de partager la cadence d’un moteur à deux temps: la littérature et la musique.
Si en apparence il n’y a pas d’intrigue, – au sens traditionnel du terme -, il faut se garder d’une lecture hâtive car c’est un roman à tiroirs où s’agitent des réflexions sur le sens de la vie: quelle place occupe notre travail dans notre existence, doit-on accorder la prééminence à nos désirs, a-t-on toujours la possibilité de rattraper nos envies et nous donner une chance de les accomplir? Un questionnement qui donne vie à ce roman ductile qui éclaire sur les goûts de l’auteur pour le révéler en esthète gourmand des arts. A preuve cette cohabitation permanente entre écrivains, musiciens et peintres, une sorte de symbiose que l’auteur confectionne pour imaginer Moroccan Django, le personnage qui fournit au roman son intention et son aboutissement.
Ainsi, peut-on lire à la page 159: » Moroccan Django. Il était grand. Ses larges épaules bouchaient presque toute l’entrée… Pendant une seconde, il était au même niveau que Miles Davis, comme s’ils étaient venus ensemble. Puis il avança. Un panama lui donnait l’air d’un géant cow-boy entrant dans un saloon. Je dirais qu’il avait la tête de Clint Eastwood. »
« L’irrésistible appel de Mozart » est un roman orchestré où l’auteur, pour le plaisir du lecteur épris d’originalité, bondit de la littérature à la musique. Imbriqués dans les notes, les mots nous entraînent en nous invitant à repenser nos choix afin que nous n’ayons pas à souffrir du manque et de l’âcre sentiment d’avoir contourné notre propre vie.
Il faut se réjouir d’une littérature qui secoue notre conscience et bouscule notre léthargie tapie dans la bien-pensance. Dans ce roman, Abdellah Baïda réussit cette prouesse. Cela n’est pas étonnant de la part de cet auteur qui avance prudemment, méthodiquement sans brutaliser les lois de l’horloge et dont le talent se confirme au fil des livres.
« Django était libre, complètement libre de son temps et de ses mouvements », écrit-il à la page 187. Vivre sa passion, c’est conquérir son autonomie, sa liberté. Ne jamais renoncer. Ne jamais s’arrêter. Avancer toujours. Croire en soi en dépit de l’usure du temps. Il n’y a pas d’âge pour assouvir un désir, pour se délester des scories charriées par le roulis casanier des jours et enfin, les yeux pleins de lumière, les refermer pour toujours.
C’est bien là le message de « L’irrésistible appel de Mozart ». Dans un subtil habillage des mots par la musique, Abdellah Baïda caresse l’idée que le temps ne joue pas contre nous, bien au contraire. L’art, et la musique en l’occurrence, nous prolonge et nous dédouane de l’implacable corrosion du temps.
Comme le témoigne son épitaphe, Moroccan Django meurt à 27 ans après en avoir vécu 87, une aporie qui ne laisse aucun doute sur la passion de l’auteur qui rejoint ainsi Dostoïevski: « L’art sauvera le monde ».
Parce que Abdellah Baïda a encore beaucoup de choses à nous dire que nous attendons déjà son prochain roman.
Pour le saluer, quoi de mieux que reprendre l’excipit du roman: Sacré Abdellah Baïda.