Les palettes de Salé
Mohamed Nait Youssef
«La peinture est une manière « d’être », la tentation de respirer dans un monde irrespirable.», écrivait la grande figure de la peinture d’avant-garde française du XXe siècle, Jean Bazaine.
Mounir Dehane est un jeune artiste aux talents multiples. Sa peinture des opposés est à la fois ouverte, interpellante et pleine d’espoir où les formes et les symétries sont en quête permanente d’une harmonie éventuelle des contraires et des divergences. Dans cet esprit, l’œuvre de l’artiste est une réflexion profonde sur l’hétérogénéité du monde ; ses complexités, mais aussi et surtout les inquiétudes, les doutes et les incertitudes que traverse l’Homme des temps actuels.
En effet, son travail sur la matière, la composition, la déconstruction, la construction, la réconciliation donne à voir un univers plastique équilibré où la trace, le trait, le relief, le graphisme et les couleurs cohabitent en pleine symbiose.
Comme tous les autres enfants, c’est à l’école que l’artiste a eu ce penchant pour la peinture et le dessin.
«J’aimais dessiner, j’adorais les couleurs et les formes. Par ailleurs, depuis 2005, je fréquentais des artistes dans leurs ateliers de peinture. J’ai acheté du matériel, et puis j’ai commencé mon aventure artistique en se lançant dans le figuratif.», nous confie l’artiste.
Les beaux commencements étaient à la ville Echemmaia, dans la région de Marrakech-Safi, où il travaillait avant de s’installer à Salé.
«Je peignais les paysages de Echemmaia. A l’époque, j’ai travaillé dans un milieu rural qui m’a offert cette opportunité de travailler avec une palette de couleurs très diversifiée et riche. Il faut dire aussi que les gammes de la saison m’inspiraient implicitement.», a-t-il révélé.
Après une longue période figurative, l’artiste explore l’abstrait ; un champ artistique où il s’exprime ouvertement et librement.
«J’ai voulu m’aventurer dans un univers plus vague et vaste où je pourrais m’exprimer sans entraves, et surtout où je me sentirai plus libre et libéré. En outre, j’ai voulu voir les choses avec mon cœur et mon âme au lieu de mon œil. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs j’étais toujours en recherche continue de cette originalité qui fera la marque de mon œuvre en travaillant notamment sur la matière.», a-t-il affirmé.
La spatule ou le pinceau en main, l’artiste usant la peinture de l’huile, de l’acrylique avec une technique mixte, mène l’œil vers l’infini par son geste pictural. En revanche, la matière occupe une place majeure dans l’œuvre de l’artiste visiblement influencé par le grand peintre français originaire de Russie, Nicolas de Staël.
« La matière est importante dans le travail d’un artiste. À vrai dire, un travail sur la matière pourrait être suffisant sans recourir à la couleur. Car, si la matière était subtile, des surcouches et des blancs dégradés peuvent nous donner une œuvre d’art.», a-t-il fait savoir.
Et d’ajouter : «je me demandais comment des artistes tels Mohamed Kacimi et Mohammed Nabili arrivent-ils à travers les traits, les points, le collage et les formes à créer un mouvement ? La matière m’intriguait, me fascinait. Or, les couches superposées peuvent créer un mouvement, une harmonie dans la toile.»
Les couleurs de la terre, vives ou encore chaudes font la palette de l’artiste. «Il ne faut pas que le noir domine le tableau. Au contraire, j’aime des couleurs qui apportent de la joie, de l’énergie positive à la toile.», a-t-il révélé.
Le blanc et le gris sont presque omniprésents dans les œuvres de l’artiste, dont l’espoir et l’union sont ses thèmes de prédilection.
«Dans mes débuts, j’étais frappé par le travail de Nicolas de Staël. Chaque tableau est le fruit d’un état d’âme, d’un état d’esprit. Chaque œuvre porte dans ses tripes les blessures, les joies et les vies de chaque peintre. En vérité, il y a souvent ce doute, ces soucis qui nous guident dans notre travail qui reste inachevé.», poursuit-il. Certes, une œuvre est toujours à venir, inachevée…
L’artiste intègre des signes dans la toile. «Il y a le chiffre 3 dans mes travaux. Pour moi, la vie est faite de trois avis à savoir ; le mien qui pourrait être vrai ou faux, l’avis de l’autre et l’avis figé de la norme (l’éducation, les croyances, la loi,)… qui se reflètent dans mes travaux.», a-t-il indiqué.
Ainsi, le trait est une continuité, un prolongement et le cercle signifie l’union. Ce sont en effet des signes qui interpellent l’œil et invite le récepteur à se poser des questions.
L’artiste travaille sur les différents supports: le bois, le carton, le papier et surtout la toile. «Je travaille généralement avec la spatule qui me donne le relief et le toucher qui sont importants pour moi. J’aime travailler surtout sur les petits formats qui demandent beaucoup de temps, de perfection et de maîtrise.», a-t-il précisé. Et d’ajouter : «je prépare ma propre toile que j’aimerai bien qu’elle soit proche de moi. J’aime faire les choses à l’ancienne. Il faut dire aussi que je étais influencé par l’époque du moyen âge.»
Installé à Salé depuis 2007, Mounir Dehane, licencié en linguistiques, est professeur et artiste peintre autodidacte ayant participé à des expositions collectives depuis 2010. Salé est une ville qui a marqué sa mémoire et son imaginaire d’artiste.
«Ma mère est salouie. Cette cite est présente dans ma mémoire enfantine ; ses quartiers, ses ruelles, son patrimoine, ses rituels… C’est le socle ! Cette ville m’a ouvert de nouveaux horizons de création.»