Azdine Hachimi Idrissi,*
Monjia Chakroun, de formation scientifique, a une relation passionnée avec la peinture. Quand elle parle de son art, elle communique ferveur, enthousiasme et émotions. Une volonté de transmettre, de partager et d’expliquer. Originaire de Salé, cité au riche patrimoine culturel, Monjia Chakroun fut marquée dès son jeune âge par les splendeurs de ce patrimoine dont l’art traditionnel de la broderie. Face à son regard d’enfant ébloui, de précieuses étoffes, embellies de fines broderies,…ont fait éclore un imaginaire tendu vers des questions esthétiques.
Lorsqu’il lui fut donné, lors d’un séjour en Syrie, de répondre à l’appel de sa vocation, elle décida de rejoindre un groupe d’art composé de jeunes femmes de différentes nationalités, engagées dans l’action socio culturelle. Dans l’atelier d’arts plastiques animé par le peintre syrien Adnane Abd Al-Rahman – dont les œuvres sont connues pour être imprégnées des couleurs de la terre – elle réalisa de nombreuses toiles et participa à plusieurs expositions collectives à Damas et à Koweït.
Après son retour au Maroc, elle décida de se consacrer pleinement à sa passion. Elle exposa à la Galerie Nadira (Harmonie), à la Galerie du Théâtre Mohammed V à Rabat (Lumières et inspirations) et à la Galerie Bab Fès à Salé dans le cadre d’une exposition collective. Lors de son exposition sous le thème «Lumières et inspirations – النور و الإيحاء », elle a présenté deux séries d’œuvres. La première sur la base d’un travail abstrait mais avec un quasi imperceptible référentiel figuratif, inspiré de thèmes à connotation sociale, psychologique ou relationnelle. Comme modèle de cette technique picturale, une composition sur le thème « Giron Maternel » suggère une forme allusive ou stylisée d’une mère et son enfant.
La touche y est virevoltante, générant empreintes, hachures, courbes, semi courbes et entrelacs. Parfois, certaines petites traces incurvées rappellent l’envol et la légèreté de copeaux de bois. La peinture ne sature pas la toile. Elle s’exprime en marques légères, aérées, ventilées, laissant distinguer un fond, préparé avec soin afin de dégager une illusion de relief. Le tout servi par une belle palette où les nuances du marron, de l’ocre, du bleu de Prusse et parfois du vert sont prééminentes.
Mais, au-delà même du sens induit par le thème, les œuvres de Monjia Chakroun possèdent une signification plastique autonome et séduisent le regard. C’est justement dans la deuxième série de toiles – laissant voir un autre mode créatif – que cette autonomie esthétique s’exprime nettement et fait désormais l’objet d’une profonde recherche par l’artiste.
La technique picturale y est autre. Les couleurs sont devenues plus libres, moins retenues, plus intenses et emplissent la toile d’une manière extensive. Les compositions évoquent le silence, la quiétude, le recueillement et aussi l’éblouissement issu de rêves flamboyants. Les espaces vides se résorbent. La plénitude colorée du fond est couverte d’un jeu de filaments et de fibrilles en fine touche. Ce tramage superposé donnant l’illusion d’une couche brumeuse ou d’un voile filtrant.
L’approche est plus lyrique et poétique. Il ne s’agit plus de l’illustration plastique d’un point de vue ou d’un message. La peinture exprime désormais un état d’âme, un ressenti se déployant en une abstraction pure. La couleur du rêve à l’aube renvoie à la propre intériorité de l’artiste.
La composition engendre ainsi sa propre dynamique esthétique. Elle n’a plus besoin d’un référent extérieur pour prendre sens. L’œuvre développe une signification propre sur la base d’un travail profond sur les couleurs. L’équation lumière-couleurs prend dorénavant le pas sur tout le reste.
L’œuvre délivre un message artistique pur. C’est cette cartographie esthétique qui intéresse désormais Monjia Chakroun dont le talent et le potentiel affirmés préfigurent un parcours incontestablement riche et novateur.
*(Chercheur en esthétique)