Interview de Joël Pelligrini, auteur de «Alcia et les Austréïtes» aux Éditions Orion.
Le musicien et compositeur, Joël Pelligrini, qui vit au Maroc, depuis plusieurs années, vient de publier un Album BD, intitulé : «Alcia et les Austréïtes», aux Édition Orion. Un double album en arabe et en français, mélange de légende, de mythe et de conte profond pour des enfants de 7 à 77 ans. Rencontre.
Parlez-nous de la genèse de ce livre, entre mythe et réalité, dans un monde fluctuant.
«Alcia et les Austréïtes» est un conte merveilleux et musical qui s ‘adresse aux enfants, aux adolescents, aux adultes. Plusieurs lectures sont possibles.
La genèse de ce conte commence en 1986 à Alençon en Normandie en France. Au début, il s’intitulait : « Histoire d’Alice ». Tout part d’un synopsis et de compositions. A cette époque, je suis déjà musicien professionnel, et j’écris des textes qui sont des essais mais aussi des chansons (texte et musique). J’écoute Pink Floyd, Alan Parson Project, Vollenweider, The Beatles, The Doors, Renaud, William Sheller mais aussi « l’homme à tête de choux » ou «Mélodie Nelson» qui sont pour moi les Albums phares de Serge Gainsbourg.
J’ai donc cette idée d’écrire un album concept. En fait je rêve d’écrire non pas de simples chansons mais plutôt une œuvre magistrale de type opéra, avec ma propre vision, mes propres mélodies, des textes particuliers, et une histoire surprenante. J’ai en tête Pierre et le loup de Prokofiev, l’imaginaire de la musique d’Éric Satie, les contes et nouvelles de Jean de la Fontaine, les poèmes d’Homère. J’ai des origines italienne et bretonne, j’habite en Normandie, une terre de légende et de conte, j’aspire donc à créer quelque chose en ce sens.
J’écris donc trois nouvelles accompagnées de musiques : « Entre le in et le ex », « L’invisible son des odeurs » et « Histoire d ‘Alice ». C’est ce dernier qui va me hanter et devenir « Alcia et les Austréïtes ».
Pourquoi attendre tout ce temps pour le finaliser ?
En fait, moi-même je n’ai pas réellement la réponse, mais c ‘est ce temps qui s’est imposer tout comme les musiques et les écrits autour de cette histoire et ses personnages. Mythe et réalité y sont mélangés, Il faut savoir qu’un jour j’ai une amie qui a découvert ce conte alors qu’il n’était qu’en ébauche, elle m’a dit : « Tu ne sais pas Joël comment ton conte me touche car cette maladie dont tu parles ma mère l’a, je l’ai et ma fille l’a ». J’ai donc eu ces chocs durant toutes ces années qui m’ont poussé à ne jamais oublier cette création pour enfin la finaliser. La musique a donc été remodelée en totalité dans ses arrangements de multiples fois, mais certaines compositions dans sa ligne mélodique sont d ‘origine. Pour le texte c ‘est le même cheminement.
Racontez-nous l’histoire d’Alcia et de la symbolique qui préside à la création de ce personnage à la fois mythique et d ‘une profonde humanité.
Alcia, l’héroïne de ce conte représente l’Artiste avec toute sa force, sa splendeur et sa grande fragilité. Quand on parle d’Alcia il est impossible de la dissocier de son père « Arann » l’être immortel bienveillant et indéfectible. Alcia évolue dans un univers singulier et plutôt austère de la baie du Séguère. Elle est une battante, une jeune fille, une adolescente puis une femme pétillante de vie malheureusement atteinte de trouble mentaux par hérédité. Cette maladie qui la ronge, est incarnée sournoisement à travers le visage de l ‘amour par l’Austréïte Eïthan. Tout le conte s ‘articule dans un univers médiéval moderne où la rumeur y est omni présente, où Alcia mènera deux grands combats.
Le voyage d’Alcia est une profonde métaphore sur la vacuité du monde dans lequel nous sommes plongés aujourd’hui, entre matérialité, artifice et vacuité ?
Oui Alcia et les Austréïtes vient de loin, et c’est un voyage vers la lumière, la volonté de s ‘extraire d ‘un bas monde. Ce conte est certainement une transposition de mes observations. Je dois dire que depuis mon enfance, je l’ai beaucoup observé « ce monde ». Et ce monde même si en occident nous sommes soi-disant « développé » n’est pas si développé et si moderne. Aussi j’ai été confronté tout comme beaucoup d ‘autres à une adolescence où on se pose beaucoup de questions qui reste sans réponse. Avec un constat envers nos sociétés qui restent très dures avec les plus démunis.
Il m’est arrivé souvent d ‘écrire des textes ou poésie ou même un spectacle qui s’est révélé prémonitoire. Par exemple, en 2002, je commençais le spectacle danse musique et poésie « Le Bateau Fantôme », et que j’ai finaliser sur scène en 2016, ne sommes-nous pas notre humanité sur un « bateau fantôme » ? Si vous en doutez, moi non.
Ce texte est à la fois écrit en français et en arabe. Cela raconte aussi votre histoire en tant que marocain d ‘adoption, ayant des enfants naviguant entre deux cultures : l’arabe, le marocain et l’occidentale.
Oui effectivement tout cela a un sens et une résonnance en moi à différent niveau. D’une part je vis depuis plus de 15 ans au Maroc, j’y enseigne la musique sur Casablanca et rabat et j’ai travaillé sur des musiques de films avec beaucoup de réalisateur marocain. Mes enfants sont marocains et français, ils lisent et parlent l ‘arabe classique, la darija. Personnellement je trouve sublime la typographie arabe, et j ‘ai eu la chance de rencontrer Salima Ben Moumen qui a fait une traduction magnifique du conte. Et cela amène une autre dimension à la lecture d’Alcia et les Austréïtes. Pour moi la terre est ronde, j ‘aime beaucoup quelque part casser tous ces murs qui nous séparent.
Mais ma collaboration avec le Maroc ne s’arrête pas là. J’aspire aussi pour le conte Alcia et les Austréïtes à des illustrations originales qui viendraient transcender l ‘histoire : J’ai été biberonné aux pochettes de disques vinyls des années 70-80-90 et aussi été très impressionné par ce film d ‘animation extraordinaire Le voyage de Chihiro de Miyazaki et la qualité de ses illustrations, de la narration et de la musique. Soutenu par les instituts français du Maroc, et en contact avec les Beaux-Arts de Tétouan, je rencontre après une longue recherche un brillant illustrateur marocain « Musa » qui correspondra totalement à l ‘univers et les personnages que j ‘imagine.
Dans le conte audio c ‘est la talentueuse franco-marocaine Sonia Noor qui interprète le rôle principale d’Alcia.
Enfin pour clôturer, je présente le conte à Abdelhak Najib, directeur-créateur des Editions Orion (que je connaissais à travers le cinéma), qui inscrit tout de suite « Alcia et les Austréïtes » dans sa ligne éditoriale pour le Maroc.
La musique est très présente dans ce conte. Vous êtes musiciens compositeur et vous nous donnez à lire et à écouter deux univers qui finissent par n’en constituer qu’un : celui de la liberté et de la beauté comme valeur suprême.
Vos mots me touchent, aussi j’ai totalement conscience que la musique est un langage universel. Effectivement la musique dans ce conte est intimement liée aux textes. J ‘irais même jusqu’à dire que les parties chantées sont presque le suivi de la narration, c ‘est à dire que les mélodies peuvent parfois volontairement être mélodiquement simplifiées. Parfois même c ‘est la musique instrumentale qui parle plus que tout autre mot. Les textes des chansons si on s’y attarde eux aussi sont parfois minimalisés.
Pour le conte audio, je me suis personnellement occupé du casting des voix, plus de 15 voix différentes dont 4 sont des chanteurs. Les quatre acteurs-chanteurs principaux sont Cérino dans le rôle d’ Arann, Sonia Noor pour Alcia, Yassine Khial pour l’Austréïte Eïthan, Marcello Catalano pour l’homme -oiseau.
Oui, J’ai donc pris un soin particulier à finaliser la musique de ce conte, et mon expérience dans la musique de film m ‘a beaucoup servi en ce sens. Cette musique je l’ai remodelée de fond en comble au moins 4 fois et c ‘est sur la terre marocaine, africaine que j ‘ai pu finaliser la couleur de mes arrangements, que j’ai choisi les instruments qui donneraient au conte cette touche universelle que je souhaitais profondément apporter au conte. J ‘ai donc mélangé une orchestration plutôt occidentale avec des sonorités orientales ou africaines.
Aux Éditions Orion. Janvier 2022. Disponible en librairie