Le titre de nos collègues du magazine Tel quel, outre le clin d’œil cinéphilique (Robert Zemeckis et son lapin Rabbit) a suscité l’intérêt au sein des premiers concernés. Sauf que si le titre a réussi, sur le plan syntaxique, son coup médiatique; il reste sur le plan sémantique en deçà de la curiosité suscitée. Certes, il a un premier avantage de poser, à mon sens, la bonne question mais avec l’inconvénient d’arriver en retard, très en retard. En effet, elle aurait été une très bonne question il y a au moins cinq ans ; dans le tournant 2011-2012.
L’angle qui porte la construction de l’article, par ailleurs fort intéressant, s’interroge sur deux aspects qui résument du point de vue de l’auteur la crise ou le repli du cinéma marocain. A savoir la renommée internationale déclinée à travers le nombre de festivals auquel participent les films marocains et les Prix que ce cinéma a décrochés. Le deuxième point concerne la question de la liberté de l’expression qui aurait connu une régression depuis l’arrivée des islamistes au gouvernement. Le premier point se laisse lire donc facilement comme une conséquence du deuxième.
Ce qui nous amène à la première remarque : aborder la situation actuelle du cinéma marocain à travers le prisme de l’idéologie serait une erreur. Les caractéristiques structurelles de la crise que traverse le cinéma marocain transcende la conjoncture politique; elles sont inhérentes à son infrastructure et à l’intelligence et la compétence de sa composante humaine. La mainmise des Ayatollah sur les rouages de l’Etat en Iran n’a pas empêché le cinéma iranien de connaître son âge d’or sous le régime de la république islamique. Le cinéma a mille manières de contourner les bêtises de la censure. Je renvoie aussi à André Gide : «l’art naît de contraintes, vit de luttes et meurt de liberté».
Placer le débat à ce niveau c’est permettre aux paresseux, aux opportunistes, aux médiocres de se faire une renommée derrière le paravent politique. La vraie question aujourd’hui est structurelle; celle de réfléchir effectivement aux moyens de permettre au CCM de réussir sa mutation (elle a déjà commencé sur le plan humain avec l’arrivée de nouvelles générations et le départ à la retraite de ses figures historiques), d’être à la hauteur des attentes d’un secteur en pleine révolution.
J’ai déjà émis des propositions dans ce sens. La première concerne la tutelle exercée sur le CCM. Il faut commencer par couper le cordon ombilical avec le ministère de la Communication. Car quelle que soit la couleur politique du ministre en charge du département, le ministère de la Communication n’a qu’un seul rêve : ramener le CCM sous sa coupe, le réduire à un simple service comme dans les années 1950. Les fonctionnaires du ministère de tutelle sont jaloux du CCM : il a plus de moyens, ses cadres sillonnent le monde. La plupart des décisions prises par le ministre El Khalfi durant son mandat ne sont pas une émanation du programme du PJD (à l’exception peut-être de l’interdiction de Much loved qui est la traduction illégale du concept absurde de l’art propre). Plusieurs propositions phares de cet exercice proviennent des cadres du ministère ou des membres du cabinet dont certains sont des transfuges de la gauche ou de quelques associations qui sont prêtes à servir pour être proches du pouvoir. Je cite comme preuve, l’idée de créer une commission de subvention des Festivals qui, sous l’apparence d’une idée généreuse pour démocratiser la subvention, visait en fait à réduire les prérogatives du CCM et à réduire le rayon d’action de son directeur…avec le résultat catastrophique que l’on connaît aujourd’hui. L’idée avait été lancée à l’époque de Khalid Naciri, mais celui-ci a eu l’intelligence de la rejeter par respect pour l’organisme en charge du cinéma.
Certains observateurs pensent qu’il est plus naturel que le cinéma dépende du ministère de la culture. C’est une illusion : ma proposition est de rompre avec toute tutelle politique gouvernementale. Faire du CCM une instance indépendante en charge de toutes les industries de l’image…dont le statut serait proche par exemple de l’ANRT.
Pour ce faire, la profession devrait se ressaisir et sortir des pratiques opportunistes. Des gens qui prennent la parole comme des réformateurs font partie du problème et non de la solution. Il n’y a pas longtemps, ils avaient applaudi à l’arrivée de Driss Basri à la tête du département de tutelle sous le prétexte fallacieux qu’étant un super ministre ayant le bras long, le cinéma pourrait en bénéficier…La profession devrait finir avec ce genre de raisonnement et être en mesure de dire NON quand il le faut. Il fallait dire NON à la mascarade des assises de 2012 comme celle du livre blanc, qui ont cassé un rythme de travail pour une inflation de résolutions qui n’ont rien donné cinq ans après. Mais pour ce faire, la profession devrait sortir de ses multiples divisions, chercher en son sein de nouvelles élites à même de poser les bonnes questions à défaut des bonnes réponses…car la vraie crise est ailleurs : le cinéma est en train de disparaître comme pratique sociale.
Mohammed Bakrim