«Aux Etats-Unis, c’est Wall Street qui gouverne»

Donald Trump a été élu le 8 novembre 2016 président des États-Unis. Une nouvelle qui a fait couler beaucoup d’encre et alimenter les débats et polémiques. En effet, le président élu, qui prendra ses fonctions le 20 janvier, est l’objet d’analyses et de commentaires pas uniquement aux États-Unis d’Amérique mais dans tout le monde. Dans cet esprit, le philosophe français Michel Onfray commente en exclusivité pour le journal Al Bayane, les résultats des élections américaines.

Al Bayane : Donald Trump a été élu président des États-Unisle 8 novembre 2016. Comment avez-vous reçu cette nouvelle ? Et quel commentaire faites-vous des résultats des élections américaines ?

onfrayMichel Onfray : Comme la plupart des gens, j’ai d’abord été étonné avant de comprendre, dans la minute qui a suivi, que, décidément, le temps de la collusion mafieuse des journalistes, des sondeurs, des éditorialistes, des politologues, du star-système était fini. Tout ce petit monde a bien pu cogner, taper, matraquer, salir  (et le personnage était facile à salir au vu de ce qu’il est, de ce qu’il a dit, de ce qu’il a fait, mais Madame Clinton, elle, ne l’a pas été, alors qu’il y avait aussi grandement matière…), la poupée constellée d’épingles a été élue !

Par ailleurs, rappelons ce chiffre que la plupart des commentateurs oublient : 50 % de gens ne sont pas allés voter. Ce qui veut dire que Trump a été élu avec un quart des voix de ceux qui auraient pu se rendre aux urnes. C’est minoritaire, très minoritaire – comme cela l’aurait été avec Hillary Clinton qui n’est guère loin, voire qui le dépasse même en termes de voix ! Je retiens donc que le taux d’abstention montre que les gens ne croient plus à cette fausse démocratie qui est le véritable pouvoir de l’argent car 75% de gens n’ont pas voté pour celui qui est élu…

Sociologiquement parlant, quels sont les grands messages à tirer de cette victoire «inattendue» ? Peut-on parler d’un effondrement de l’intelligentsia en Amérique ?

D’abord gardons le calme : je tiens à la disposition de qui voudra ce que j’ai écrit au lendemain de l’élection d’Obama ! Tout le monde était enthousiaste. On lui a même donné le Prix Nobel de la Paix alors qu’il n’avait rien fait d’autre que d’être élu ! J’avais alors dit qu’on le jugerait sur ce qu’il a fait. A l’heure du bilan, qu’a-t-il vraiment fait ? Pas grand-chose de notable.

  Aux Etats-Unis, ça n’est pas le président des Etats-Unis qui gouverne, mais Wall-Street, le complexe militaro-industriel, donc les vendeurs d’armes qui ont besoin de guerres pour exister, les banquiers, les financiers, sinon la mafia, le FBI, la CIA… Trump a parlé comme dans un jeu de téléréalité, il a été outrancier, grossier, vulgaire, cynique – comme n’importe quel animateur de télévision… Nous avons les mêmes.

Aux responsabilités, il changera de ton et, comme tous les autres, il va mettre de l’eau tiède dans son vin. A défaut, il aura le destin d’un JFK…

Comment expliquez-vous cette montée en puissance de la droite ces derniers temps ?  À votre avis, le monde prend-il un nouveau tournant ?

Personne ne prend de leçons de l’histoire, surtout ceux qui nous disent qu’il faut prendre des leçons de l’histoire ! Les régimes autoritaires et bellicistes ne surgissent dans l’histoire qu’après une longue humiliation des peuples. Les pleins pouvoirs du capitalisme libéral sur la planète, la déréglementation généralisée, la mondialisation populicide qui creuse le fossé entre les riches qui deviennent très riches et de moins en moins nombreux, et les pauvres qui deviennent très pauvres et de plus en plus nombreux, tout cela est comme une poudre explosive que l’on répand partout en toute innocence. Un jour, il suffit (il suffira devrai-je dire…) juste d’une étincelle. Notre monde est devenu une poudrière.

Quelle Amérique, voire quelle Europe après l’élection de Donald Trump ?

Personne ne saurait répondre à pareille question. Surtout pas moi ! Je vous redis qu’entre le hâbleur décomplexé qui fit campagne sans aucun souci de la morale, de la vérité, de la bienséance, de la politesse, de la courtoisie, et le président qui va devoir gouverner et rencontrera des limites à son verbe déchaîné, il y aura un écart : soit ce sera un fossé, soit ce sera un gouffre. Et l’on précipite moins de choses dans un fossé que dans un gouffre. L’avenir seul répondra à votre question…

Mohamed Nait Youssef

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