Ce fut une cérémonie d’ouverture sobre, efficace et marquée par une belle prestation artistique où la chorégraphie et la musique ont démontré que la créativité digitale (sublimes images en fondu enchaîné) a besoin du corps humain, la plus belle des créations. Après cette entrée en matière, très attendu le mot du président, Béla Tarr.
Il fut à la hauteur dans sa forme et dans son contenu. On sait qu’il a arrêté de faire des films, considérant qu’il a tout dit, au bénéfice d’une approche didactique, il a créé une école de cinéma à Sarajevo, cependant en acceptant de présider le jury, il reconnaît qu’il croit encore à la force du cinéma, face à ce qui attend le monde.
Le premier film présenté en compétition officielle semble aller dans ce sens. The road to Mandalay une co-production internationale où nous retrouvons Taiwan, la Birmanie, la France…Mais c’est un film birman de par son récit. Le film nous offre une longue séquence d’ouverture à…la Béla Tarr : un plan fixe de plusieurs minutes où nous avons un fleuve et puis petit à petit arrive un canot pneumatique, on comprend alors qu’il s’agit d’une frontière, le lieu d’un trafic humain où la marchandise n’est autre que les humains eux-mêmes.
La «force» du film est de mettre en avant cette nouvelle variante de la classe ouvrière transfrontalière ; celle des réfugiés, des clandestins…le film épouse leur trajectoire jusqu’à son ultime aboutissement la tragédie.
Nous étions à peine une vingtaine à revisiter ce monument de cinéma qu’est Le cuirassé Potemkine. Un mauvais point pour les cinéphiles locaux et autres. C’est un grand moment de l’histoire du cinéma, de l’histoire tout court. Le Cuirassé Potemkine de Sergueï Eisenstein présenté samedi en ouverture de la programmation russe, pays invité de cette 16ème édition, est en effet un chef-d’œuvre absolu du cinéma mondial.
Il suffit de dire qu’il est depuis les années 1930 cité en tête des meilleurs films de l’histoire ; pour beaucoup d’historiens, il est tout simplement le meilleur.
Stanley Kubrick, un autre grand maître du cinéma, disait qu’avec la technique d’Eisenstein dont le Cuirassé Potemkine est une illustration éloquente, et le contenu des films de Charlie Chaplin on peut atteindre le cinéma parfait.
Et pourtant à l’origine, il s’agit d’un «film de commande», réalisé en 1925 pour répondre à une demande du jeune pouvoir soviétique qui voulait fêter ses dix ans de révolution. En fait de révolution, le film va en être le signifiant : un monde nouveau suppose des formes nouvelles. Eisenstein va s’atteler en effet à cerner son scénario autour d’un épisode limité de la révolution russe de 1905, considérée comme la bande annonce de la révolution d’octobre, l’épisode du soulèvement des matelots du Cuirassé Potemkine, l’enjeu pour lui étant de proposer un discours cinématographique qui rejoint dans sa forme l’idéal d’émancipation des masses.
La voie royale dans ce sens fut la maîtrise du montage, connu chez les théoriciens du cinéma par «le montage attraction», celui qui par la juxtaposition de deux plans produit une idée, alternant par exemple dans un rythme rapide les plans larges de foule et les gros plans des visages. Une efficacité narrative qui va séduire Hollywood. La scène mythique des escaliers d’Odessa est devenue une référence citée par plusieurs cinéastes notamment Brian de Palma dans Les incorruptibles. On y retrouve toute la modernité d’Eisenstein avec notamment le premier travelling de l’histoire du cinéma.