Les confréries religieuses entre ordre religieux et mysticisme
Le mouvement du mouridisme est considéré comme la deuxième plus importante communauté religieuse du Sénégal après le Tijanisme.
La tradition mouride est fortement marquée par la culture islamique. Les fidèles effectuent un pèlerinage annuel dans la ville sainte de Touba, au centre du Sénégal, à l’occasion du Magal, qui commémore le départ en exil, en 1895, d’Ahmadou Bamba sous la pression de l’autorité coloniale française.
Ce mouvement naissant prend un coup de marteau avec l’arrestation de son fondateur en 1895. Cheikh Ahmadou Bamba est alors déporté au Gabon et y est fait prisonnier. Il revient de son exil en 1902 et meurt en 1927. Cheikh Ahmadou Bamba propose une alternative à la population désemparée face à la présence des missionnaires et du gouverneur français. Il appelle toutes les populations du Baol et du Cayor accablées par la précarité, à se joindre à lui, donnant naissance à la voie de la mouridya que l’on appelle aujourd’hui le mouridisme. Il préconise le culte du travail et de la prière.
À ses débuts, cette jeune communauté n’est pas vue d’un bon œil par le gouverneur qui craint un soulèvement populaire. Elle inquiète également les anciens aristocrates, déçus par la perte de leur pouvoir, ils redoutent la vengeance du petit peuple. Fidèle à son idéologie et sa vision de l’islam, le Cheikh applique une discipline ferme à l’égard de ses disciples. Sa doctrine trouve comme fondement idéologique le travail c’est-à-dire le Kasbu et la prière comme élément stabilisateur de l’âme. « Au-delà du souci de former un ordre religieux (confrérie), Cheikh Ahmadou Bamba s’est avant tout soucié de ce que doit être le musulman, de ce qui constitue généralement sa vie spirituelle, des devoirs qui lui incombent dans les diverses circonstances de sa vie ». À la naissance du mouvement, les jeunes mourides reçoivent une éducation austère, menant une vie dépouillée, rythmée par des chants collectifs et des prières nocturnes. Le sens mystique de la doctrine mouride est la tendance à l’abdication de la personnalité au profit de la modestie et la discipline, du moins pour la masse des fidèles. Sans doute les individus les plus instruits et les tempéraments les plus religieux trouvent-ils dans la vie mystique l’occasion de forger des croyants à toute épreuve. La valeur travail qui constitue le ciment de cette communauté fait d’elle un acteur culturel et économique incontournable dans le quotidien des Sénégalais. Touba (notre lieu d’observation de la relation entre les disciples mourides et les technologies de l’information et de la communication) en est un exemple.
Les fondements religieux
Ahmadou Bamba prôna une théologie influencée par la secte Qadiriyya, à laquelle appartenait le maître de son père, Sidiyya. Le mouridisme est ainsi considéré comme une branche de la Qadiriyya, même s’il a aussi été influencé par la Tijaniyya et l’œuvre de Al-Ghazali. Cette réforme, avant tout pédagogique et spirituelle, entraina une réforme profonde la société sénégalaise.
Sa doctrine repose sur quatre principes fondamentaux : la foi en Dieu, l’imitation du Prophète Mohammed, l’apprentissage du Coran et l’amour du travail. Les Mourides assimilent à l’islam des traditions propres au peuple wolof, ce qui est le cas de la sanctification du travail, ou encore leur attachement très fort aux notions d’entraide et de solidarité.
Chaque année, de nombreux mourides se rendent en visite pieuse (ziarra) dans leur ville sainte de Touba, au centre du Sénégal. Les plus orthodoxes des musulmans considèrent la dévotion extrême à Ahmadou Bamba et à sa lignée de successeurs comme de l’idolâtrie, là ou les disciples n’y voient que la demande d’intercession « Tawassoul » et la recherche de bénédiction tabâruk.
La confrérie est « organisée selon une structure décrite par certains comme féodale, elle est fondée sur l’obéissance totale à une autorité spirituelle, le khalife général, descendant en ligne directe du fondateur ».
Il faut dire que le succès du mouridisme au Sénégal est dû sans doute aux charismes du fondateur à qui on reconnait aussi des qualités d’autorité politique. De part son importance sociétale, il a une influence considérable sur les choix politiques. Bien que l’Etat sénégalais soit laïc, il semblerait que le choix des hommes qui l’incarne soit souvent opéré suivant les consignes des califes. Ce fut le cas de l’ex-président Abdoulaye Wade en 2000. Lui même mouride, il voue une profonde considération aux indications du calife. L’organisation du grand Magal, soutenue par le concours logistique et financier de l’Etat, est également une marque de l’influence du mouvement dans la sphère politique.