Considéré comme l’une des musiques et danses phares du Cameroun aux côtés du «makossa», le «bikutsi» s’est popularisé dans le pays au fil du temps. Avec plusieurs générations de passionnés de musique qu’il aura connues, ce genre musical né dans les provinces du centre et du Sud Cameroun, a progressivement séduit les mélomanes du pays qui en raffolent désormais. Il s’est d’ailleurs fait connaitre à l’international grâce à la verve de certains de ses artistes. Aujourd’hui, de nouvelles générations en assurent la relève. Retour sur les caractéristiques du «Bikutsi», ses «Seigneurs» et son évolution.
Le «Bikutsi» est une musique et danse emblématique du Centre et Sud Cameroun. Si à l’origine, il était pratiqué lors des rituels de guérison du peuple «béti», il a évolué avec le temps pour devenir un genre festif très apprécié dans le pays. Instruments, paroles, langues… tout a progressé sous l’inspiration des différents artistes.
En effet, le bikutsi est une danse traditionnelle féminine de l’ethnie beti. Littéralement parlant, l’expression signifie «frappons le sol». A l’origine, le bikutsi en tant que danse et musique visait à guérir les maux des femmes qui le pratiquaient, calmer leur douleur après la perte d’un être cher ou encore soulager leurs souffrances. Les femmes s’asseyaient alors sur des petits tabourets, chantaient et frappaient de petits hochets. Aujourd’hui encore, la pratique existe, mais autrement. Les femmes se réunissent sous forme de cercle et chacune à son tour y rentre pour dénoncer les maux de la société, vider son cœur et interpeller les «coupables» tout en esquissant des pas de danses. Généralement, elles s’expriment dans les langues betis (ewondos, bulu) avec des paroles imagées et allégoriques. Les personnes visées par les chants se reconnaissant, rétorquent également par des chants. Ce genre musical est joué lors de rassemblements betis : funérailles, mariages…par un orchestre de balafons ou «mendzang», un instrument fait à partir de calebasses. Basé sur rythme, il est également marqué par une forte présence de percussions.
Mais dès les années 70, il est soumis à une forte vague de modernisation, notamment avec l’introduction d’instruments modernes.
La mue du bikutsi commence avec un certain Messi Martin qui y introduit la guitare électro-acoustique. Son objectif étant de faire ressortir le son sec du balafon, il introduit alors un morceau de tissu entre le chevalet et les crins de la guitare. Entre 1980 et 1990, c’est la floraison du «bikutsi» qui connait une forte ampleur nationale et internationale. Beaucoup de grands noms émergent alors et le rythme rivalise avec d’autres musiques comme le «kwasa kwasa» et la «rumba». C’est au cours de cette décennie que voit émerger le célèbre groupe les «têtes brûlées». Avec un guitariste surdoué, le groupe introduit la guitare électrique parmi les instruments utilisés dans le bikutsi. D’autres grands noms se font aussi connaitre comme Ange Ebogo Emerand, Nkodo Sitony ou un certain Mbarga Soukouss qui avec, sa chanson à succès «Essamba» (le rang) mobilise les foules de l’époque. Au cours de cette période, l’artiste Sally Nyolo se distingue par le coup d’accélérateur qu’elle donne à l’ «écclectisation» du «bikutsi». Elle teinte ses titres avec d’autres rythmes musicaux dont le reggae. C’est encore elle qui sonne le glas de l’exclusivité des langues betis dans le «bikutsi». Dans son album «Multiculti», elle introduit le français, l’anglais et même l’arabe. Certains artistes se font par ailleurs connaitre à l’international, dont Ottou Marcellin, adoubé de plusieurs distinctions internationales et considéré comme le «Georges Brassens camerounais».
Les années 2000 et 2010 voient la naissance d’une nouvelle génération, avec un paysage largement féminisé. Celle-ci se démarque, notamment par des danses électriques et des paroles crues. Des noms comme Aijo Mamadou, Lady Ponce, Majoie, Tonton Ebogo, Tsimi Torro, Patou bass contribuent ainsi à populariser d’une nouvelle manière le rythme «bikutsi». Un festival international «festi bikutsi» vise dans la même lignée à promouvoir davantage ce genre musical hors des frontières camerounaises et africaines.
Si le «bikutsi» a gagné ses titres de noblesse, les ténors de cet art musical dénoncent aujourd’hui l’amateurisme de certains artistes sans compter la naissance de la piraterie et l’avènement de la programmation assistée par ordinateur qui le parasitent.
Danielle Engolo