Algérie mon amour!

«De nos montagnes montèrent les voix de nos hommes libres nous appelant pour l’indépendance…». Un chant qui gonflait nos muscles d’enfants dans les rues de Casablanca, lors de la guerre de libération de nos voisins, les Algériens. On se voyait sur leurs montagnes et sur nos trois chaines de l’Atlas.

On était Marocains et Algériens à la fois… Algériens et Marocains. Pas un quartier populaire à Casablanca qui ne comptait pas la maison d’une famille d’un «Wasti», un Algérien. Plus tard, on apprit à l’école l’histoire de nos voisins, dénaturés, dépouillés de leur identité, meurtris dans leur histoire et leur mémoire qu’on a eu à partager pendant des siècles. Bien plus tard, nos rêves de jeunesse rebelle, qui ne voulait jamais «brûler» comme l’actuelle, pour se noyer dans le large de nos côtes du nord, furent bercés et aiguisés par les créateurs de nos voisins: le  ballet algérien», crée en 1963, le théâtre du regretté Sidi Ahmed Meziane Agoumi (confrère et ami de notre pas moins regretté Tayeb Seddiki), le cinéma de Mohamed Lakhdar – Hamina dont «les années de braise» (Palme d’or 1975 à Cannes), fit de ce titre une qualification que plusieurs peuples empruntèrent par la suite pour désigner de sombres périodes de leur histoire (même certains commentateurs français y recourent aujourd’hui par ces temps de perte de boussole avec le vent de  leurs «gilets jeunes»)…

Et puis, chez nous, «Hassan Terro», de Lakhdar-Hamina (primé à Cannes aussi, en 1967,pour sa première œuvre, «Le vent des Aurès») est toujours, sans conteste, le film maghrébin exceptionnellement réussi comme grand cinéma populaire et d’auteur, fusionnant le comique, la dérision, le message politique profond, la dérision et le tragique.

L’Algérie savait nous la faire aimer et admirer. Elle forçait notre amour et notre admiration. Nos créateurs de l’écrit l’admiraient aussi pour ses Kateb Yassine, Rachid Boudjra , Assia Djebbar, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, Tahar Djaout, Rachid Mimouni, Malek Haddad, Leila Sebbar, Taos Amrouche, Nabil Fares, et plus recemment, Yasmina Khadra, Kamel Daoud… Nos politiques progressistes lisaient et relisaient les travaux du congrès de la Soummam et imaginaient les traits et les idées de tactique du martyre emblématique Abban Ramdane.

Encore bien plus tard, alors que les démons de l’obscurantisme lacéraient le corps algérien, nos journalistes et profs de journalisme, hommes et femmes, fécondaient leurs projets et ambitions avec des confrères à qui, désormais, seul le « no man’s land » de la Tunisie, entre Marocains et Algériens, offrait une chance d’espace pour se rencontrer, à moins de se retrouver, parfois, au Maroc. Idem pour les activistes des DH grâce aux fusionnels échanges entre les militants marocains de l’OMDH, l’AMDH, la LMDDH et des icônes de ce combat à Alger comme Ali Yahia Abdennour…

Combattants pour l’indépendance, hommes de théâtre, cinéastes, comédiens, romanciers, militants des DH, chanteurs (El Hadj M’hamed El Aânka, l’Amghar de la chanson châabi, Warda al-Jazairia, l’Oum Kaltoum du Maghreb, «Carte de séjour», groupe de Rachid Taha, ancêtre du rap et du néo-chaâbi depuis la «la goutte d’or» à Paris) . Ce fût l’Algérie qui emporta notre amour comme vous aime un compagnon qui vous ressemble en tout mais qui est quand même riche pas sa différence, par des talents et des traits bien à lui, comme on a soi-même des traits et des talents bien à soi. Et cela remonte à loin…

Nos propres combattants de l’indépendance célébraient au même panthéon leurs deux femmes combattantes hors pair : Djamila Bouhired, l’Algérienne (manifestante encore aujourd’hui dans les rues d’Alger) et Touria Chaoui (la première aviatrice dans notre histoire, combattante par le symbolique contre l’occupant et lâchement assassinée, à 19 ans, par un obscur nervi sorti de nos rangs) …Dans les joies et les drames, notre fusion est toujours totale.

En avril 1995, nos larmes se sont confondues sur la stèle de «l’Affiche rouge» du journalisme algérien dont la Jahilia diabolique assassina plus de trente plumes des plus vertes et des plus dignes. Nos rires complices ne manquent pas, au gré de nos rencontres apaisées…Dans ma mémoire d’enfant, le nom d’un ami intime et fort plaisant du plus jeune de mes oncles, raisonnait dans mes oreilles avec le sens qui demeurera toujours entre nous, Marocains, et notre voisin : «AL KHAWA».

Jamal Eddine Naji

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