par Mustapha Labraimi
A travers le monde, sous l’effet des conséquences conjuguées de la guerre en Europe et des changements climatiques subis, la réflexion sur unnouveau « modèle agricole » se poursuit. Une pratique agricole qui répond « à la sécurité et à la souveraineté alimentaires » de la population.
C’est sur ce thème que s’est organisé un débat avec la présence du ministre de l’Agriculture, de la pêche maritime, du développement rural et des eaux et forêts. Ce dernier, accroché bec et ongles au plan coloré, malgré ses carences âprement vécues par la population avant et après l’Aïd Kébir (pour ne citer que cela), ne pipe mot sur la pratique agricole, ses conditions et ses défis mais relève que « le secteur agricole est devenu un secteur d’investissement, où on peut gagner de l’argent, qu’on soit petit ou grand exploitant ; soutenant que « L’investissement est au cœur de l’équation de développement. Ce n’est pas du social ».
C’est vrai que certains gagnent de l’argent, et beaucoup, en investissant l’agriculture ; empêchant même la formation d’une bourgeoisie rurale dont l’existence reste un objectif à atteindre. Sans parler des paysans pauvres et des sans terre qui vont opter pour l’exode vers les périphéries urbaines. Ce n’est pas social du tout !
Au fait, l’investissement est-il social ? La question se pose quand dans les discours de nos gouvernants, ils opposent cette recherche de l’accroissement de la richesse, même individuelle, avec le bénéfice que peut en tirer la collectivité nationale.
Cette césure entre l’égo et la société induit une compréhension du social comme de l’assistanat, de l’aumône pour celles et ceux qui véritablement créent la richesse par leur force physique, leurs savoirs et leurs compétences.
Pour ces gens-là, qui ne voient dans l’investissement qu’une possibilité de s’enrichir encore plus, le social est un fardeau dont il faut s’alléger au plus.Les dispositions sociales (salaires, conditions de travail, logement, éducation et santé publique, la protection des consommateurs …etc.) et environnementales, sont reléguées au second plan, voire occultées.
Cela se traduit aussi par une césure entre la croissance économique et le développement, l’amélioration des conditions de vie de l’ensemble de la société, son progrès vers la justice, l’égalité et la consolidation de la pratique démocratique.
L’investissement est ainsi considéré comme « un bon placement » qui rapporte essentiellement du profit,et beaucoup plus qu’il ne sert à augmenter les capacités de la société dans sa recherche du développement humain nécessaire.
Que la foultitude soit assommée par la misère et l’ignorance, que ceux d’en haut s’enrichissent encore plus et que ceux d’en bas soient poussés vers l’endettement pour subvenir à leurs besoins, que les ressources humaines et naturelles soient exploitées sans vergogne ni parfois sans aucun respect de la loi, que l’Etat s’endette de plus en plus, que le moral des ménages se dégrade pour être au plus bas, il restera toujours les statistiques macroéconomiques pour gloser sur le taux de croissance probable.
La satisfaction des besoins de la population, l’amélioration de son bienêtre présent et futur sont ainsi assujettis à des préoccupations où l’accumulation des profits par une minorité domine l’investissement.
Car, indépendamment des conjonctures, favorables ou non, cela dure depuis l’ajustement structurel du siècle dernier qui a induit le désengagement de l’Etat, la privatisation et la marchandisationde tout ; mais « sans pour autant réussir à atteindre les résultatsescomptés en matière de croissance économique », comme le souligne le HCP depuis fort longtemps.
Il est temps, dans les esprits comme dans les faits, de mener les réformes préconisées et annoncées (Rapport du Cinquantenaire pour lequel l’avenir se construit et le meilleur est possible, Rapport de la CSNMD visant à libérer les énergies et restaurer la confiance pour accélérerla marche vers le progrès et la prospérité pour tous… et autres) ; réformes parfois entamées, mais non accomplies voire dérivées vers d’autres objectifs.
C’est ainsi que l’investissement sera productif, social et contribuera à l’émergence de l’économie nationale, à l’épanouissement de notre peuple et à son émancipation. C’est toute la différence entre un investissement productif et un investissement affairiste.