Alors qu’on ne cesse de mettre en avant ici et là le besoin du Maroc d’un nouveau modèle de développement, le patronat se place au dessus de la mêlée en plaidant pour un nouveau contrat social.
D’aucuns diront qu’un syndicat patronal a pour vocation de s’intéresser uniquement aux aspects économiques et sociaux qui touchent directement à ses intérêts. Mais, la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), et plus précisément sa présidente, Miriem Bensalah, a tenu à prouver qu’elle a la fibre nationaliste et citoyenne en insistant sur le fait que tout le monde est interpellé par les maux de notre économie mais aussi ceux de notre société.
«C’est dans l’adversité que nous connaissons les grandes nations et nous sommes une grande nation», c’est par cette phrase qu’a clôturé la présidente de la CGEM son mot d’ouverture de la rencontre «Quel contrat social pour le Maroc», organisée par son organisation ce jeudi 26 avril à Casablanca.
La patronne des patrons, qui a emprunté un discours de la gauche progressiste à dressé un tableau sombre de la situation socio-économique. Parler d’adversité renseigne déjà sur l’ampleur et la gravité de la situation où se trouve le pays avec un modèle de développement peu ou pas inclusif, un chômage galopant et un ascenseur social en panne.
Bensaleh a tout d’abord vanté les mérites de la CGEM, pionnière selon elle en matière de RSE (responsabilité sociale de l’entreprise), et ses propositions allant dans le sens de l’amélioration de la donne socio-économique.
«Comme des citoyens à part entière avant d’être des entrepreneurs ou des patrons, nous avons proposé en 2013 au gouvernement de faire porter intégralement la taxe de solidarité par les grandes entreprises et non pas par les salariés et ça était refusé», a-t-elle affirmé.
D’après elle, la CGEM a milité pour la mise en place de l’IPE (l’indemnité pour perte d’emploi) en faveur des salariés et a financé la construction des écoles quand il y a eu des écoles à Taroudant.
«En tant que citoyens nous avons fait une proposition d’un pacte de compétitivité durable (…) et en tant qu’organisation patronale citoyenne nous avons mis en place le label RSE… nous avons dans ce cadre travaillé sur l’insertion des handicapés, la réinsertion d’anciens détenus et des migrants», a-telle indiqué avant de se pencher sur la partie vide du vert.
La recherche d’un nouveau modèle interpelle la CGEM
«Cette fibre citoyenne que porte la CGEM nous impose d’être constamment interpellés, aujourd’hui plus qu’hier alors que le Maroc cherche son nouveau modèle de développement économique, et de jouer notre rôle en tant que partenaire social», a-t-il précisé.
Evoquant la pierre que le patronat doit apporter dans le cadre de la réflexion autour du nouveau modèle de développement recherché, Bensaleh a insisté sur «la dynamique participative» entre les différents concernés.
A propos du tant souhaité modèle de développement, elle a affirmé que « les entreprises en ont besoin pour créer plus de valeur ajoutée et plus d’emploi». «Il convient cependant, de son point de vue, de réfléchir aux moyens de faire en sorte que cette croissance soit partagée et inclusive des femmes, des jeunes mais aussi des territoires».
«Il convient aussi que cette croissance réduise la précarité parce qu’il y a des croissances au Maroc est ailleurs qui ne réduisent pas la précarité proportionnellement au rythme de la croissance», a-t-elle ajouté en considérant que «c’est la responsabilité d’un nouveau contrat social et c’est l’esprit du discours du 13 octobre de 2017 devant le parlement par SM le Roi Mohammed VI où il appelle à un modèle alliant prospérité économique et sociale».
Et de citer le discours royal «les Marocains ont besoin d’un développement équilibré et équitable, garant de la dignité de tous, générateur de revenus et d’emplois, notamment au profit des jeunes. (…) Ils souhaitent aussi la généralisation de la couverture médicale et la facilitation de l’accès digne de tous à de bons services de santé. Les Marocains veulent que leurs enfants bénéficient d’un enseignement de qualité (…) qui leur permette d’accéder au marché du travail, (…) Les Marocains ont également besoin d’une justice équitable et efficace».
Tout en considérant que «le Maroc a réalisé d’énormes progrès au cours des vingt dernières années en faisant des choix judicieux comme celui de l’ouverture économique, des grands travaux d’infrastructure, des initiatives de développement humains, de la lutte contre la pauvreté ou encore en matière des droits de l’homme», la présidente de la CGEM a insisté sur le fait qu’«il reste encore tant à faire».
Un contrat social n’est pas un luxe
Pour contextualiser le niveau d’urgence, elle a cité une liste d’indicateurs on ne peut plus alarmants. «Nous, entrepreneurs citoyens, citoyens tout court, nous sommes interpellés quand nous avons 2,7 millions de jeunes (de 15-25) qui ne sont ni à l’école, ni en formation, ni à l’école, (…) quand 20% seulement des salariés ont une protection sociale», a-t-elle déploré.
«Nous avons l’obligation d’être interpellés quand nous avons 30% de la population ne bénéficie pas d’assurance santé, (…) quand le quart des lauréats de la formation professionnelle est au chômage (…) quand 2% des entreprises payent et contribuent à 80% de l’IS (impôt sur les sociétés)», s’est-telle insurgé.
«C’est pour ça que nous disons que le Maroc a besoin d’un contrat social», a-t-elle affirmé. Un contrat social qui permet, d’après elle, «d’harmonier la croissance économique et l’égalité des chances à travers une organisation d’une société garantissant l’équité, la liberté de chacun et l’intérêt de tous».
Soulignant que «le besoin d’un contrat social n’est pas un lux» pour le Maroc, Bensaleh a, à quelques mois de son départ du siège de présidente de la CGEM, affirmé que pour ce faire «un compromis entre syndicat, Etat et entrepreneurs pour un mieux vivre ensemble, pour un mieux vivre collectif», devient impératif.
Ce contrat social repose aussi, selon elle, sur la lutte contre la précarité, celle de l’absence de couverture maladie pour les travailleurs indépendants ou le manque de droit sociaux pour les travailleurs du secteur informel.
«Il doit s’inscrire dans une perspective d’accès des citoyens à une éducation et à une formation qui permet à l’ascenseur social de fonctionner quand le système publique est défaillant les enfants des ménages les plus aisés accèdent plus facilement à un enseignement de meilleur qualité», a-telle soutenu.
Mohammed Taleb