Cameroun: quand le spectre de l’informel plane!

Au Cameroun, l’informel, mieux encore le sous-emploi, est une véritable gageure de l’économie nationale. Il plombe le tissu économique et est d’ailleurs plus pendant que le chômage. Les chiffres laissent pantois et donnent même du tournis. Selon l’institut national des statistiques, 90% des travailleurs camerounais exercent dans l’informel et 69,3% d’entre eux ont un salaire inférieur au SMIG du pays qui est de 28500 FCFA (500 DH). Les détails.

Au Cameroun, le taux de chômage est sujet à controverses. C’est le flou total qui entoure la question. Si le Fonds national de l’Emploi (FNE) avançait jusqu’en juin 2015 un taux de chômage dans le pays de l’ordre de 3,3%, les organisations syndicales mettent quant à elles la barre plus haut, en situant ce taux dans les 70%. Ce fossé abyssal en matière de statistiques ne serait la résultante que d’un facteur : le sous-emploi ou l’informel qui rend difficile l’évaluation du chômage dans ce pays. Mieux encore, le tout tiendrait à la définition du chômeur : est-ce simplement une personne en arrêt d’activités ou également une personne exerçant un emploi indécent et inadapté à ses capacités ?

En effet, le défi majeur de l’économie camerounaise est bel et bien l’informel. Ceci étant dit, on assiste à une «informalisation» de l’activité économique dans le pays. Selon les chiffres de l’institut national des statistiques, 90% des travailleurs du pays exercent dans l’informel qui offre des conditions de travail déplorables couplées à des rémunérations précaires, généralement en deçà du salaire minimum mensuel légal. La population camerounaise étant essentiellement urbaine (87%), c’est surtout dans les grandes métropoles, à l’instar de Yaoundé et Douala, que l’informel est enraciné. On y enregistre des taux de chômage à deux chiffres, respectivement 16% et 18%, touchant principalement les jeunes de 15-34 ans qui constituent plus de la moitié de la population.

Selon les résultats de la deuxième enquête de 2010 sur l’emploi et le secteur informel au Cameroun, c’est surtout dans le domaine agricole que l’informel est répandu, la majorité des actifs y exerçant. En effet, est considérée en sous-emploi toute personne travaillant moins de 35h par semaine et ayant un salaire inférieur au SMIG. Toujours selon la même enquête, 3 travailleurs sur 4 sont sous-employés et 70,3% d’entre eux perçoivent un salaire de moins de 28 500 FCFA. Cette même enquête révèle que la possession d’un diplôme ou un niveau d’instruction élevé ne garantit pas toujours l’accès à l’emploi, du moins à un travail décent. Dans la même veine que ces résultats, un rapport de l’institut national des statistiques établit que ce sont les diplômés de l’enseignement supérieur qui sont majoritairement frappés de plein fouet par le chômage (13,4%). Les diplômés du second cycle du secondaire le seraient moins avec 11,8% et ceux du premier cycle du secondaire de l’enseignement secondaire avec 10%.

Au Cameroun, la hantise d’un travail décent habite les jeunes qui voient dans le secteur public une certaine sécurité de l’emploi. Toutefois, celui-ci ne peut absorber qu’une quantité négligeable de ces demandeurs d’emploi, surtout que depuis la fin des années 80, plusieurs plans de stabilisation des finances publiques et d’ajustements structurels ont été mis en œuvre. Le privé formel, qui aurait pu être une alternative, reste embryonnaire, sinon bloqué par des facteurs internes du pays. Une conjoncture qui résulte de la crise économique qui s’est abattue sur le pays dans les années 90 et dont les conséquences se font toujours ressentir aujourd’hui.

Selon les analystes financiers et les organisations syndicales, la recrudescence de l’informel est la conséquence inévitable de la rareté de l’emploi dans le pays. L’union générale des travailleurs du Cameroun (UGTC) pointe entre autres le gel des recrutements dans la fonction publique, la privatisation des entreprises publiques qui a entrainé inéluctablement des licenciements massifs d’employés. D’aucuns évoquent l’inadéquation entre la formation et l’emploi, entre l’offre de travail et les profils des jeunes, d’autant que dans le pays, le diplôme n’est pas synonyme d’une insertion professionnelle automatique et que le chômage s’accroit à mesure que le niveau d’instruction est élevé.

Chaque année, de plus en plus de jeunes font leur entrée sur le marché de l’emploi. Mais jusque-là, les mesures prises par le gouvernement n’arrivent pas à résorber le chômage. Pour certains analystes camerounais, si le secteur informel semble réduire en apparence le chômage en occupant une bonne partie de la population, il ne saura le résoudre dans le moyen et long terme. Il faudrait analyser le marché du travail sous l’angle du sous-emploi que du chômage et trouver des solutions pour garantir des emplois durables et de qualité. Seul le secteur privé pourrait arrêter l’hydre du sous-emploi. Toutefois, il faudrait le dynamiser entre autres par une baisse de la pression fiscale, l’amélioration des conditions d’accès aux crédits pour les opérateurs économiques, la mise en place et la consolidation des politiques stratégiques contre le chômage et le sous-emploi.

Les chiffres de l’informel au Cameroun inquiètent les jeunes, les acteurs économiques et les pouvoirs publics. Toutefois, ils témoignent du potentiel de la population jeune camerounaise, qui dans des conditions économiques optimales, constituerait un facteur d’innovation, de dynamisme et une vraie force pour l’économie du pays.

Danielle Engolo

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