Point de vue
Pr. Jamal Eddine Naji
La médiasphère rythme et accompagne l’évolution humaine depuis les peintures rupestres de l’Homme des cavernes et les hiéroglyphes et les scripts des pharaons. C’est plus clair de nos jours que « derrière toute technologie il y a une idéologie » (in « Nexus, une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA » de Yuval Noah Harari. Albin Michel. 2024 »). Les technologies de l’information, ou des médias plus généralement, forgent les doctrines et les choix que les sociétés, exposées à ces outils, adoptent pour vivre ensemble, se combattre, s’exclure ou s’exterminer entre eux… Le Nazisme est la plus grande illustration de cette dynamique, usant de propagande et de manipulation au service d’une idéologie, via des médias.
Dans son célèbre « Le viol des foules » (paru en 1939), le biologiste russe Serge Tchakhotine a été, sur ce registre de la propagande politique, le premier résistant à la montée du nazisme en Allemagne. « C’est à la lumière de la théorie des réflexes conditionnés de Pavlov qu’il a étudié les mécanismes de la manipulation propagandiste. Pour lui, le succès de la propagande dépend de l’habileté à associer un des thèmes qu’elle développe à une des quatre pulsions majeures de l’être humain : agressivité, satisfaction matérielle, désir sexuel, amour parental. L’individu soumis à ces pulsions agirait de façon inconsciente conformément à ce qui lui a été dicté », explique Georges Potriquet, spécialiste français de régulation et d’éthique en journalisme et qui note que 90 % (les passifs) de la population est sensible à la propagande.
Cette alchimie de stimulus, assez simple mais redoutablement efficace par la persévérance, la répétition et la simplicité des slogans et affirmations (agressives, guerrières haineuses, racistes, suprémacistes…) résonne aujourd’hui aux USA chez Trump, Musk, Zuckerberg, Besos… Comme elle a retentit triomphalement, il y a un siècle, durant une décennie d’enfer, avec Hitler et son ministre de la propagande et de « l’éducation du peuple », Joseph Goebbels. Celui-ci concentra toutes ses stratégies de propagande sur la Radio, réalisant son pouvoir d’influence quand ce média assura le triomphe de l’accession de Hitler à la tête de l’État, en tant que chancelier, le 30 janvier 1933. Goebbels avait compris, par ses lectures sur les premiers pas de la publicité en Amérique et en Europe, que publicité et propagande créent un état de fatigue mental qui est propice à l’assujettissement. Il obligea les entreprises Telefunken, Loewe et Blaupunkt à produire un appareil radio unique et bon marché, le Volksempfänger (le « récepteur du peuple« ). L’arrivée sur le marché, en 1938, du « petit récepteur allemand » DKE38, surnommé par le peuple la « gueule de Goebbels », fait grimper le nombre d’abonnés, de moins d’un millier en 1933, à 16 millions en 1943. Avec autant de foyers qui paient une redevance, les caisses du ministère de la Propagande furent vite remplies… En 1941, près de 50 millions d’Allemands écoutaient la radio et une loi interdisait aux Juifs d’en posséder une. … « Je considère la radio comme l’instrument le plus moderne et le plus important d’influence de masse qui existe partout », déclara Goebbels.
En instaurant une puissante propagande nazie, Goebbels cherchait à contrôler l’ensemble de la population allemande en se penchant particulièrement sur le secteur culturel et celui des médias. Il réussit à atteindre cet objectif, car une des principales conséquences qui régna durant cette période est la peur, au pays comme à l’extérieur de ses frontières. Les individus atteints par cette vague de propagande sont alors dans un état d’angoisse constant.
Médias : armes de guerre
Le maitre nazi de la désinformation et de la manipulation des esprits et des foules fit de la radio ouverte sur les gigantesques meetings du tribun hystérique Hitler une arme de guerre aux avant-postes des armées et arsenaux du Reich. La radio de Goebbels envahissait les esprits avant que canons, chars et avions de l’armée ne détruisent les corps, les villes, les frontières, les ethnies indésirables ciblées comme corruptrices de la race aryenne. Le nazisme découvrait la force meurtrière des médias… Goebbels usa de tous les moyens modernes de communication : radio, informations cinématographiques (Actualités filmées projetées dans 5.500 cinémas), tracts, affiches, BD et même télévision (dès 1935).
Les médias, armes de guerre ?
Armes de « guerre hybride » disons- nous aujourd’hui au fil de l’actualité mondiale de 2025 débordante de guerres, de terrorismes d’États et d’organisations, de menaces d’invasions, de sabotages systémiques d’infrastructures et d’entrisme dans les modèles de sociétés et processus d’élections…Des spectacles de feu et de sang, d’exil forcé et déplacements bibliques de populations en Ukraine, à Ghazza et en Cisjordanie, au Liban, en Irak, en Syrie, au Soudan, au Sahel, au Congo, au Rwanda, en Corne d’Afrique… Et les voilà pointant leurs menaces au Canada, au Panama, au Groenland, dans la mire de Trump … Et en Europe, dans la mire de Musk !
Cette guerre « hybride » annonce son imminente déflagration par la propagande, la haine de l’Autre, du voisin, de l’étranger (« immigré » ou « réfugié »), par la destruction des valeurs, crues sacrées, de la dignité humaine, du Droit international, de la diversité humaine et des espèces, des Droits de l’homme et de la femme, de la souveraineté des États et l’intégrité de leurs territoires, de l’équilibre physique de la nature et de ses éléments…
Une guerre planétaire présente – pour l’instant – dans la médiasphère, mais qui, comme du temps d’Hitler et de Goebbels, ceinture le monde et ses vivants par les armes, par l’argent, par les technologies des médias, numériques à présent, au service du suprémacisme. Un biotope qui sied parfaitement – pour l’instant- aux nouveaux dictateurs qui détiennent de nos jours soit le pouvoir et l’argent, comme Trump, soit l’argent et la technologie, satellites compris (Musk, Zuckerberg, Besos…)… Alors que d’autres, de même acabit (« humano-sceptiques et climato-sceptiques), sont tapis derrière et participent au fossoyage des rêves qui animent la quiétude de 8 milliards d’humains et des milliards d’espèces animales, végétales et minières… Un dessein de dictateur jamais osé, dans ces proportions, par les cerveaux malades d’Hitler et de Goebbels ! Leur « radio du peuple » ne pouvait permettre de réaliser un tel dessein porté par les milliardaires des médias numériques actuels et leurs alliés inféodés que sont les politiques propulsés par eux, directement ou indirectement, aux commandes des États et à la tête de la gouvernance des sociétés.
Un siècle après la tyrannie nazie raciste sur l’espace radiophonique, voici la tyrannie trumpiste sur l’espace numérique… Même combat ? Même destinée ? Puissions-nous voir clair dans le jeu des écervelés, Elon et Donald, sans daltonisme.