«Je n’ose parler d’industrie au Maroc… il s’agit plutôt d’un artisanat performant»

Mohammed Abderrahman Tazi, réalisateur de «Lalla Hobby», «Badis», «Le Grand Voyage», «À la recherche du mari de ma femme», «Al Bayra», «Les voisines d’Abou» « Moussa » et d’autres films, a été honoré jeudi dernier, lors du festival international du film transsaharien de Zagora.

Al Bayane : Qu’est-ce qu’un festival pour vous ?

Mohammed Abderrahman Tazi : Un festival, surtout dans une région que je qualifierai d’«en dehors d’un Maroc utile», Zagora, permet au public de prendre connaissance du cinéma en général et du cinéma national, en particulier. Dans un esprit de travail social, un tel festival permet d’attirer des gens pour les Master Class, les ateliers… Dans un festival, comme son nom l’indique, il y a le côté festif évidemment, mais celui-ci ne se réduit pas uniquement aux soirées de fête, de Gala… La rencontre entre la presse, les réalisateurs, les acteurs, le public, la société civile participe d’une manière ou d’une autre à donner de l’éclat au festival. Un festival annuel est une opportunité, notamment dans une région où il n’y a pas d’activités culturelles. C’est le reflet, par l’image et le son, d’une région. Il peut être un moteur, une locomotive pour le tourisme, l’économie…

Les organisateurs du festival international du film transsaharien vous rendent hommage lors cette 13e édition. Que représente cet hommage pour vous?

Je me méfie toujours d’un hommage ! C’est comme si on vous disait : vous avez fait beaucoup de choses, et maintenant c’est une récompense. Pour moi, à chaque fois qu’il y a un hommage, c’est l’occasion de prendre plus d’élan. Cet hommage que me rend Zagora, me rend plus heureux que d’autres festivals peut-être plus importants parce que je partage quelque chose avec ces gens-là. Et cet hommage ne célèbre pas uniquement mes travaux, mais aussi ma relation avec la population de cette région. C’est un palier de réflexion, car quand on vous rend hommage cela veut dire qu’on vous reconnait une carrière. La mienne a 50 ans. Les films ne sont certes pas nombreux, car il y’a un espace de 4,5 ans en moyenne entre un film et un autre, mais la satisfaction est d’avoir un public. Un jour, alors que j’étais sur YouTube, j’ai constaté que mon film «Al Bayra» est piraté et a été vu par un million et 500 mille personnes.  Pour moi, c’était une satisfaction de voir un public s’intéresser à ce film même si je ne récolte pas un centime.

Ma satisfaction, c’est d’être dans cette région du Maroc où il n’y a pas beaucoup de choses qui se font sur le plan culturel. Il y a effectivement un festival du théâtre, du documentaire… mais j’ai un rapport très ancien avec Zagora. A l’époque, quand la projection étrangère était assez importante, j’ai fait venir des sociétés de production américaines et même coréennes pour tourner dans cette région.

«La critique, une composante majeure de l’industrie du cinéma» est le thème choisi par les organisateurs pour cette édition. À votre avis, quid de la critique cinématographique au Maroc actuellement?

Je dis toujours que la critique nous est nécessaire pour la création. Mais il faudrait qu’elle soit constructive parce qu’il arrive des fois que l’on écrive une demie page pour démolir un film sans prendre en considération tout l’effort fourni par l’équipe, l’auteur…. Avec un stylo, on détruit un film sans lui trouver quoi que ce soit de bien. Et pourtant, dans chaque œuvre, il y a toujours quelque chose sur le plan technique, artistique, musical…Malheureusement, un certain nombre de critiques ne prend pas en considération ce travail.

Peut-on parler d’une industrie cinématographique ou encore d’un marché du film au Maroc?

Je n’ose pas parler d’industrie au Maroc. Nous sommes dans une situation où il s’agit plutôt d’un artisanat performant parce que pour avoir une industrie, il ne faut pas avoir de maillons faibles. Notre problème grave en ce qui concerne le cinéma, c’est le spectateur, les salles. Dans le temps, on faisait des projections dans les collègues, les lycées, les facultés pour former, mettre sur les rails un éventuel cinéma et un spectateur potentiel. Aujourd’hui, cela n’existe pas. Il y a des spectateurs individuels devant leurs téléphones.

Parler d’industrie, effectivement, c’est d’abord respecter la déontologie. Il faudrait qu’il y ait des cinéastes, des réalisateurs, des producteurs…. Et ensuite que tous les maillons de cette industrie soient mis en place. Or ce n’est pas le cas !  Ce que nous souhaitons, c’est de pouvoir être dans n’importe quelle partie du monde et regarder un film et dire : ça c’est marocain ! Cette école marocaine nous ne l’avons pas encore. On ne pourrait pas encore parler d’industrie. Tout ce que je vois en politique actuellement, c’est encourager les gens à venir tourner au Maroc.

Il faut encourager la production. Les producteurs étaient tous des cinéastes, des réalisateurs qui par défaut ont changé de casquettes. S’il y a un marché, c’est l’occasion de trouver des partenaires aussi bien africains, européens, américains… parce que notre cinéma n’est pas mauvais, notre création n’est pas mauvaise. On l’a vu lors des résultats de 2011, 2013 et 2014, au niveau du nombre de films qui ont obtenu des prix importants aussi bien à Cannes, qu’à Venise et Berlin. Notre cinéma existe, mais il faudrait un encouragement, une compréhension, plus de liberté d’expression. Les encouragements ne se limitent pas seulement au niveau d’un fond d’aide, mais doivent aussi concerner les régions.

Mohamed Nait Youssef  

Top