La communication en mode ci-création et l’ambition pour tous

Interview avec Julie Guégan

Par Noureddine Mhakkak

Julie Guégan est consultante depuis près de 20 ans et a accompagné des clients tant publics que privés dans leur transformation. Coach d’équipe et de groupe expérimentée, Julie intervient sur des défis collectifs ayant trait à la collaboration, au leadership, à l’animation, à la communication et à l’engagement. Autrice d’un livre sur le Community management, dont la philosophie principale est de favoriser la transformation de notre système vers plus de respect et d’épanouissement, Julie met ses compétences en communication sociale et numérique au service des défis des entreprises et du renouveau du monde du travail, pour une capacité d’agir renforcée et une vie professionnelle épanouie. Visionnaire et créative, Julie est titulaire d’une maîtrise en sciences sociales, d’une licence d’une école de gestion française et d’autres certificats notamment en gestion de projet et coaching. Julie travaille depuis Bruxelles.

Voici une autre interview avec elle. Mais cette fois c’est à propos de l’enfance, de l’amour, de l’amitié, et du travail …Bonne Lecture.

Dominique Wolton dit à propos de la communication humaine que « dans la communication, le plus compliqué n’est ni le message, ni la technique, mais le récepteur. ». Que pensez –vous d’abord, de cette idée puisque vous êtes une communicatrice très brillante ? Je viens de regarder votre chaine sur YouTube, et j’ai été fasciné par votre façon de parler, d’expliquer, d’aborder et d’analyser les sujets traités.

   D’abord un grand merci pour votre compliment qui me va droit au cœur. Au fond, tel que le suggère Wolton, il s’agit d’entrer en communication avec le récepteur., et non de l’imposer comme une publicité qui pourrait être perçue comme intrusive ou vulgaire.  Pour cela, trois qualités sont essentielles de mon point de vue : le respect mutuel, l’empathie et l’exigence. Je commencerais par le respect mutuel. J’essaie de développer la relation en étant dans la subtilité. Je viens raconter une histoire et mon objectif est de faire en sorte que de plus en plus de personnes s’y intéressent. Ce respect se traduit par la volonté de proposer une narration, que j’enrichis de diversité. Il serait trop triste de n’intéresser que ceux qui sont déjà acquis à ma cause. Et je ne veux pas non plus faire fuir, même si je pense que le récepteur doit également faire un effort. C’est pourquoi, je qualifie ce respect de mutuel. La communication m’enrichit ainsi que le récepteur, il y a un engagement des deux parties. Cela se traduit chez moi par une volonté de ne pas trop exposer les messages. Mon but est d’aller vers plus de co-création. Qui suis-je au fond ? Si ce n’est une pièce du puzzle. J’ai compris très tôt le sens de la vacuité.

L’empathie est alors la deuxième qualité que je mobilise. L’empathie est la capacité à se mettre à la place de celui qui nous lit, nous écoute ou nous regarde. À partir du moment où on se reconnait, tout est possible. Comment faire en sorte que le discours lui parle ? Comment peut-il recevoir ce message ? Autant de questions que je me pose régulièrement. Je m’intéresse beaucoup à la psychologie et à la philosophie, je lis à peu près tout ce qui me tombe sous la main. Pour moi, c’est essentiel de chercher à comprendre comment les hommes fonctionnent, mais aussi les animaux. Par exemple, c’est assez incroyable comme mon chien et mon chat me comprennent !

Finalement, l’exigence, qui, idéalement ne doit pas se voir, est la troisième qualité essentielle d’un bon communicant. Ne pas avoir peur de travailler beaucoup, de développer ses connaissances, d’expérimenter dans le but de proposer des expériences meilleures et ne pas déléguer l’essentiel. Derrière l’exigence, il y a pas mal de discipline, de ratés et de travail sur soi. Si l’effort semble presque naturel, c’est gagné. C’est toutefois une quête permanente, surtout s’il y a recherche de renouvellement et d’innovation. Avec moi, aucune crainte, mon exigence ne se transformera ni en rigidité, ni perfection. Je veux que chaque personne qui reçoit mon message le ressente comme incomplet, afin qu’il puisse y mettre sa pâte et co-créer. Évidemment, cette posture ne plait pas à tout le monde, mais elle est tellement gratifiante pour moi et les participants à cette communication que je ne vois pas pourquoi je la changerais. Au fond, je pense que mon but dans la vie est d’aider les autres à devenir leaders de leurs vies.

« Créer, c’est toujours parler de l’enfance. », selon l’expression de l’écrivain français Jean Genet, pourriez –vous nous parlez de votre enfance ? de la petite fillette que vous étiez ? puisque toujours, « la sagesse nous envoie à l’enfance. » d’après le philosophe français Blaise Pascal.

Il est très positif d’apprécier sa propre ambivalence. Je vais donc vous proposer un récit sur mon enfance qui la mette en avance.

J’étais une petite fille à la fois obéissante et curieuse. J’aimais écouter les histoires, participer, et rien ne me frustrait plus que d’être mise à l’écart ou cantonnée à ma place d’enfant. Très tôt, j’ai souhaité faire de grandes choses. Mais il me fallait être une bonne fille. Alors j’ai dû composer avec mon besoin de ne pas froisser, de ne pas déranger et cette envie de faire bouger les lignes. Je dois dire qu’il est impossible de m’imposer quelque chose réellement. Mais la gentillesse est une qualité que je cultive. Si je suis profondément attachée à l’idée de faire le bien, je ne me punis plus lorsque je fais le mal et je crois que nous devrions tous être encouragés à faire ainsi. Rien de tel que la bienveillance envers soi-même, et surtout lorsque nous péchons !

J’étais parfois pipelette et pleine d’envies, parfois plus introvertie, plongée dans les livres, dont les auteurs sont devenus parmi mes plus fidèles compagnons. Je ne passais pas tellement inaperçue avec mes cheveux châtains et mes yeux bleus. Pourtant, j’aurais aimé qu’on me regarde moins et surtout que l’on me juge moins. J’ai eu honte souvent d’être tellement vivante, tellement heureuse et ambitieuse. J’aurais aimé être capable de faire plus de place aux autres. Et je crois que cette histoire m’a conduite naturellement vers ma passion pour la collaboration.

Si j’ai donc eu une enfance que je qualifie d’heureuse, je masquais bien ma peine d’être très loin de mon père adoré. Parfois, j’aurais aimé qu’il vienne me sauver, mais il ne l’a pas fait et nous en avons suffisamment parlé pour que je ne lui reproche pas. J’ai eu une enfance entourée de femmes, et j’avoue que j’avais souvent envie de fuir leurs histoires et surtout leurs drames. J’ai appris depuis à apprécier les caractéristiques féminines et j’ai de plus en plus d’amies. Petite, j’étais coquette et garçon manqué. Mes parents divorcés ont fondé de nouvelles familles. Cela m’a rendu parfois jalouse, et même si j’aime mes demi-frères et sœurs, j’aurais voulu rester au centre de la vie de mes parents. La vie en a voulu autrement et à la place, j’ai désormais une grande famille, que j’aime retrouver et dont je suis fière.

« L’amour, c’est l’espace et le temps rendus sensibles au cœur. » selon le point de vue de l’écrivain français Marcel Proust. Pour vous, où se trouve l’amour ? et comment peut-on le vivre et le sentir ?

Le plus difficile lorsqu’on a appris l’abandon, et je l’ai connu avec mon père, est de se développer sans jambe de bois. Longtemps, dans ma vie, j’ai cru que j’avais besoin d’une béquille, que je devais me compléter avec un homme qui, en outre aurait la lourde tâche de me sauver de moi-même. Si je suis convaincue que nous sommes des animaux sociaux, et que notre existence n’a de sens qu’au contact des neurones d’autrui, je pense que l’amour est d’abord interne. Le véritable amour commence par soi. J’ai donc cherché à m’aimer. Et lorsque je me suis aimée assez, alors j’ai pu aimer vraiment les autres. Focaliser sur leurs forces plutôt que leurs faiblesses, et me satisfaire de leurs manquements. Je me suis développée indépendante, et c’est une valeur essentielle que je peux désormais transférer à mes enfants. Je ressens l’amour aujourd’hui partout, dans la nature, avec mes amis ou au travail. J’ai acquis cette conviction que tout est amour et énergie, alors je prends soin de moi. Bien entendu, cela me demande un effort de tout instant. Il y a des jours, où j’aimerais encore me cacher dans un coin de ce monde, ne plus essayer de le faire avancer pour le bien de tous. J’ai ce vieux rêve que nous avons tous le droit à la parole et à la joie. Vous savez, s’aimer suffisamment est ce qui nous permet de nous oublier pour danser la valse lancinante de l’amour. Chaque fois que j’ai consciemment baissé les armes pour voguer au gré des vents, j’ai eu de belles surprises. La vie est bien moins difficile qu’il n’y parait lorsqu’on s’abandonne. Il s’agit de faire confiance, l’amour est toujours plus fort. Je transmets cette croyance à mes enfants que la vie est facile, à la seule condition de respecter quelques règles très simples. Au fond, il y en a vraiment peu et je les résume à ces trois objectifs : faire du bien à soi-même, aux autres et à la planète. Et finir la journée plutôt en positif, car nous ne sommes qu’humains.

Parler de l’amour, cela nous mène à parler de l’amitié. Car « l’’amitié finit parfois en amour, mais rarement l’amour en amitié. » selon l’expression de l’écrivain anglais Charles Caleb Colton. Que pensez –vous de l’amitié, et surtout de l’amitié totale, puisque cette dernière « est universelle. Et seule l’amitié universelle peut être une amitié totale. Tout lien particulier manque de profondeur, s’il n’est ouvert à l’amitié universelle. » d’après le philosophe français Jean Guitton.

 J’aime être utile et donner. J’ai également appris à prendre et recevoir dans l’instant. La confiance est essentielle, et je la donne volontiers par défaut. Alors je suis plutôt une bonne amie. Mais comme tout le monde, j’ai mes limites, ma ligne jaune, celle qu’on ne peut pas dépasser. Je suis fidèle jusqu’à ce point. La vie m’a appris qu’il ne faut pas non plus garder dans son cercle, ces personnes qui n’ont pas su nous respecter, car tant qu’ils n’auront pas fait leur chemin de croix, ils resteront une source négative d’énergie. Alors l’amitié, oui, le plus possible dans le respect de ses limites propres.

En outre, je sais désormais qu’il faut être humble en amitié. Je ne l’ai pas toujours été. J’ai comme tout le monde dû apprendre à lâcher mon égo. Ainsi, j’aurais voulu atteindre de grandes choses avec certains amis, seulement tout le monde n’est pas disposé à répondre à tous nos désirs et à comprendre nos besoins fondamentaux. Par exemple, je n’aime pas qu’on me juge sans me demander la permission d’abord, car je suis très sensible. J’accepte de ne pas bien faire, et je cherche à m’améliorer donc je suis preneuse de feedback. Mais il est essentiel pour moi que ce feedback soit accompagné de bienveillance et éventuellement de solutions ou pistes de réflexion. J’ai un petit côté « chef » vous savez alors si le feedback vient d’une personne mal dans sa peau, je n’hésite pas à zapper. Une émotion négative ne reste au fond que 90 secondes dans notre corps si nous ne la retenons pas.

« La vie est un art » selon un proverbe allemand, et l’art de vivre demande une vision du monde. Comment peut-on vivre la vie en plein bonheur et comment peut-on chercher ce bonheur voulu et souhaité ?

Et si le bonheur n’était plus une quête, mais un don de la vie que nous aurions tous par défaut à la naissance ? Je développe cette croyance d’abondance, pour ne plus me sentir perdue, et pour garder le cap. J’ai en moi une éprouvette graduée, lorsque je tombe sous la moyenne que je me suis fixée pour mon bonheur, alors j’agis pour remonter. Je connais le seuil que je ne dois pas franchir. Un jour, j’ai cru que j’avais trop souffert et que je ne pourrais plus remonter à la surface. Ma vision était bloquée, je ne voyais plus la lumière au bout du tunnel. Séparation avec le père de mes enfants, décès brutal de mon partenaire professionnel, obligation de mettre un terme à une passion trop grande avec un homme, perte de notre bébé à trois mois de grossesse, et puis la vie sans répit de consultante indépendante, l’achat de mon premier appartement, toutes les responsabilités qui s’accumulent en plus des difficultés financières et des doutes… Comment ai-je pu remonter à la surface ? Grâce à la conviction que si Nelson Mandela, après 27 ans de captivité, dans des conditions atroces, s’en était sorti alors je pouvais le faire aussi.

J’ai repris mon éprouvette graduée, et j’ai entrepris de me regonfler de bonheur. Sur mon parcours, j’ai croisé des anges gardiens et je me suis accrochée à eux, autant qu’ils me le permettaient. J’aimerais un jour être cette ancre qu’ils ont été pour moi. J’y travaille avec l’acharnement nécessaire pour y parvenir. Je vais courir tous les jours avec mon chien, je m’enracine au contact des arbres, je médite et je fais toutes les formations possibles et imaginables. Aujourd’hui, ma priorité est bien entendu celle de mère. Mais mes enfants grandissent bien, ils auront bientôt 10 et 12 ans, et leurs fondations semblent solides. Alors petit à petit, je vais les laisser s’envoler tout en les accompagnant avec amour et protection. Quant à moi, je chercherai d’autres combats, ceux qui me rendent heureuses.

« Le bonheur est à l’intérieur de nous, pas à l’extérieur. Il ne dépend pas de ce que nous avons mais de ce que nous sommes. » selon l’écrivain américain Henry Van Dyke. D’après vous, quel le vrai sens du bonheur ?

J’enchaîne donc sur cette notion de bonheur, et je souscris à la première partie de cette citation. En effet, si je fais référence à mon histoire ci-dessus, je pense que parfois le malheur que nous avons peut empiéter sur notre bonheur interne. On a tous un point de vulnérabilité lié à notre histoire. C’est un peu un talon d’Achille rompu par l’expérience de vie qu’il nous aurait idéalement fallu à tout point éviter. Je ne suis pas masochiste du tout. Mais la vie est faite de surprises, et j’ai compris que si nous voulons contribuer à ce faisceau de lumière dont nous avons besoin, alors on doit accepter de faire un détour par le côté sombre. La nature est si bien faite. Tout est équilibre. Il s’agit simplement de ne pas se faire aspirée et de persister dans la quête de lumière.

Avec le recul, j’ai compris que si nous arrivions à nous en sortir, alors il est merveilleux de constater que l’on devient en fait plus fort. Beaucoup plus fort. Réussir à tenir lorsque mes enfants sont loin, et réussir à vivre sans cet homme qui me donnait l’amour dont je croyais manquais et que je recherchais partout jusqu’ici, m’a donné une confiance que plus rien ne pourrait vraiment m’abattre. Je suis équipée pour le bonheur. Je sais bien que j’aurais à vivre d’autres épreuves et peut-être même pires. Mais ce que j’ai appris et cette conviction que je partage désormais que « le bonheur dépend de ce que nous sommes » ne partiront plus. Je n’hésiterai plus à demander de l’aide si je vois que le liquide vital dans mon éprouvette graduée descend dangereusement. Il y a quelque chose de magique dans le fait de faire des demandes sincères et bonnes à l’univers. Essayez, vous verrez !

« Si vous avez un travail où il n’y a pas de complications, vous n’avez pas de travail » selon la parole de Malcolm Forbes. Que pensez –vous du monde de travail, et comment peut-on en vivre avec succès. ?

Elle est intéressante votre question, car j’ai un rapport compliqué avec le succès. Je pense que c’est très subjectif. Ce que je vois moi comme succès ne sera pas forcément vu comme tel par autrui. Je me retrouve plus dans la quête de l’aventure, et c’est ainsi que je vis le travail. Alors, mon rôle je le construis. J’ai la chance d’avoir trouvé les moyens de le faire. Je joue aux échecs, j’essaie toujours dans mon métier de consultante, d’avoir un coup d’avance sur l’adversaire, si tant est qu’il existe (non pas le jeu, mais l’adversaire). Je suis en perpétuel mouvement. Ce qui compte c’est ce à quoi j’aspire, et je veux faire de grandes choses.

Je pense que notre réalité est en construction perpétuelle. Si je vois le travail comme un labeur, alors je vais beaucoup m’ennuyer et ce n’est pas ce que je veux. Je me donne les moyens de mes objectifs. Je suis une personne globalement disciplinée, je sors peu, j’ai des journées structurées, j’essaie d’être intelligente dans ma manière de travailler, par exemple. Et j’ai constamment le futur en tête. Ce que je fais aujourd’hui me permettra de faire mieux demain.

Vous êtes gentil, parce que vous me donnez l’espace de m’exprimer et de répondre à vos questions pertinentes. L’exercice m’a beaucoup plu, je veux bien recommencer quand vous le souhaitez !

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