Par Abdeslam Seddiki.
L’IRES nous a habitué à produire des réflexions stratégiques et prospectives sur des différentes thématiques. En s’intéressant à « l’avenir de l’agriculture au Maroc dans un contexte marqué par la rareté structurelle de l’eau. », il a organisé le 28 février 2024 une journée d’études réunissant une pléiade d’experts marocains connus et reconnus autour de cette problématique. Les débats et les conclusions de cette journée de réflexion sont regroupés dans un rapport de synthèse qui vient d’être mis sur le site de l’IRES ce 27 mai.
Ce rapport de 24 pages est articulé autour de trois parties :Eléments de compréhension du présent et des évolutions passées dusecteur agricole au Maroc ; Enjeux actuels et futurs inhérents à l’agriculture marocaine ; Quelques propositions en vue d’un avenir meilleur de l’agriculturemarocaine.
Bien sûr, il serait fastidieux de résumer un document qui est par nature condensé à tel point qu’on ne trouve guère un mot de plus. Sa lecture est passionnante et les idées se suivent dans une logique impeccable et une fluidité remarquable.
D’abord le diagnostic : le secteur agricole, qui utilise près de 85% des ressources en eau renouvelablesdu pays, est actuellement menacé par la rareté hydrique, qui a succédé à la situationde stress hydrique en l’espace de deux décennies seulement.Outre les fortes inquiétudes concernant la sécurisation de l’approvisionnementen eau potable de la population, la durabilité de l’agriculture et la préservation de lasécurité alimentaire sont devenues des préoccupations majeures du Maroc. Une telle situation est due à la fois au dérèglement climatique auquel on n’a pas accordé l’attention qu’il fallait et aux politiques publiques suivies en la matière. Ainsi, ces politiques sont caractérisées par une générosité à l’égard des grands exploitants et des cultures fortement consommatrices de l’eau. Ce qui a contribué à la raréfaction progressive des ressources en eaux conventionnelles du Maroc. Cette politique de l’offre, aggravée par le plan Maroc vert a conduit le pays vers la situation qu’on connait aujourd’hui. On a laissé les exploitants pomper l’eau souterraine, sans aucun contrôle jusqu’à l’épuisement de nos nappes phréatiques ! « Les politiques publiques n’ont pas réussi à préserverl’intégrité, quantitative et qualitative, des bases productives de l’agriculture marocaineque sont les ressources naturelles (eaux, sols, parcours, forêts, biodiversité). Celaexpose à de rudes épreuves autant les performances de production de ce secteur quesa résilience et sa durabilité »
Les politiques agricoles, que nous qualifierons de classe, ont privilégié l’agriculture destinée à l’exportation au détriment de l’agriculture paysanne destinée exclusivement à la satisfaction des besoins alimentaires de la population. Cette discrimination est perceptible en matière d’investissement public et de subventions multiples. Le résultat est frappant : Le Maroc importe des produits dans lesquels il était auparavant autosuffisant sinon excédentaire. Les exportations agricoles couvrent à peine la moitié des importations. Avec en prime : un déficit hydrique inquiétant. Les experts plaident pour un changement des politiques publiques en optant pour un développement agricole intégré,arrimé au développement territorial qui doit en être la matrice.
Les enjeux d’un tel changement de cap et d’orientation sont multiples : assurer notre souveraineté alimentaire qui est mise à mal face aux mutations géostratégiques ; améliorer le niveau de vie de la paysannerie qui dispose d’un savoir-faire séculaire mais qui manque de moyens et d’encadrement ; assainir enfin les statuts fonciers dans les sens d’une sécurisation de la propriété et de sa viabilité. Cette journée de « réflexion prospective » s’est achevée par une série de propositions réalistes et réalisables à condition qu’il y ait une volonté politique. Les recommandations s’articulent autour de trois axes prioritaires : l’optimisation de la gouvernance dans le secteur agricole, la garantie de la souverainetéalimentaire et le renforcement de la durabilité et de la résilience de l’agriculturemarocaine.
On notera tout particulièrement parmi les recommandations : l’organisation des assises nationales sur l’agriculture afin de relancer le débat national sur l’avenir de ce secteur ; l’adoption d’une approche intégrée, systémique et une coordination opérationnelle àl’échelle nationale, régionale et locale en vue de favoriser le développement dusecteur agricole, tout en tenant compte du contexte actuel de rareté de l’eau ; l’instauration d’un système de suivi et d’évaluation des politiques agricoles qui soit indépendant ; l’élaboration d’un nouveau code d’investissements agricolespour remplacer celui de 1969, qui concerne principalement le secteur d’irrigation ; la réhabilitation et la reconnaissance du statut d’agriculteur et de l’éleveur en tant que profession ; la mise en place d’une loi cadre relative aux zones de montagne, destinée à prévenirles risques de dégradation de l’environnement et à renforcer la lutte contre l’érosiondes zones montagneuses ; la création d’un observatoire de l’eau, dont l’une de ses missions consisterait à collecter,analyser et diffuser des données sur l’état des ressources en eau, ainsi qu’à évaluerles pressions exercées sur ces ressources, notamment en ce qui concerne lapollution et la surexploitation ; l’encouragement de la sobriété hydrique au niveau du secteur agricole en affectant en priorité l’eau aux opérateurs agricoles qui concourent à lasouveraineté alimentaire ; l’adoption de l’approche participative en impliquant l’agriculteur à tous les niveaux et en le faisant participer à la prise de décisions pour être au centre du développement agricole et faire de sa valorisationun enjeu de souveraineté alimentaire ; le développement de la coopération régionale et internationale afin de contribuer à la sécurité alimentaire de l’Afrique et de bénéficier des dernières nouveautés scientifiques et des expériences réussies dans le domaine agricole ; le lancement d’une transition urgente vers des systèmes agricoles intégrant la composantedu réchauffement climatique ….
Les participants à cette conférence ont plaidé pour l’encouragement de l’agriculture paysanne et faire de la petite agriculture familiale le maillon essentiel de la politique alimentaire. Elle représente le socle de la lutte contre l’insécurité alimentaire. C’est une vision nationale et patriotique qui s’inscrit aux antipodes des orientations du Plan Maroc Vert et de son successeur « Plan Génération Green » qui ont été élaborés par le Bureau d’études Mc Kinsey. C’est ce même bureau d’Etudes qui a fait l’évaluation. Tout va très bien Madame la Marquise !
Il est grand temps de rectifier le tir et de faire désormais confiance à l’expertise marocaine et au génie créateur de notre paysannerie qui beaucoup de choses à apprendre aux spécialistes des power point et aux chasseurs des opportunités pour ramasser le fric.