La révolution symbolique

Le tifinagh réhabilité et célébré…

Le 21 février, la communauté linguistique et culturelle a célébré la journée internationale des langues maternelles. Le 16 mai 2007, l’Assemblée générale des Nations Unies, dans sa résolution 61/266, a «demandé aux États Membres et au Secrétariat d’encourager la conservation et la défense de toutes les langues parlées par les peuples du monde entier».

Les langues constituent les instruments les plus puissants pour préserver et développer notre patrimoine matériel et immatériel. Tout ce qui est fait pour promouvoir la diffusion des langues maternelles sert non seulement à encourager la diversité linguistique et l’éducation multilingue mais aussi à sensibiliser davantage aux traditions linguistiques et culturelles du monde entier et à inspirer une solidarité fondée sur la compréhension, la tolérance et le dialogue.

Au Maroc, ce fut une occasion de saluer la réhabilitation de la langue amazighe et l’instauration du tifinagh comme alphabet de cette langue séculaire ; le résultat d’un long processus fait de combat et de résistance.

«L’alphabet est une invention humaine, donc il s’agit bien d’une entreprise ouverte sur des améliorations et des réajustements», avait souligné le professeur Mohamed Chafik, figure historique du mouvement culturel amazigh et premier directeur de l’Institut Royal pour la Culture Amazighe(IRCAM) dont le conseil d’administration avait tranché en faveur de l’usage de l’alphabet amazigh pour la transcription de la langue…amazighe.

Rétrospectivement, on peut dire que la reconnaissance du tifinagh constitue un moment historique fort, une véritable révolution dans la vie culturelle du pays qui, ce faisant  réhabilite tout un pan de notre patrimoine cloîtré jusqu’ici, du fait du jeu des rapports de forces dans une fonction ornementale, mais inscrit d’une façon indélébile dans l’archéologie de toute la région de tamazgha qui va de l’Atlantique à la Mer rouge. C’est une décision pleine de sagesse et de bon sens qui intervient après une multitude de pressions et de tentatives de sabordage.

Première constatation, le recours au tifinagh inscrit le projet de l’enseignement de la langue amazighe dans une cohérence d’ensemble. Nous sommes entrés dans un ordre que l’on pourrait qualifier par la pertinence linguistique : le signe amazigh est porté par une entité autonome spécifique. Le signifié s’exprime dans  un signifiant qui lui est propre. Il n’y a plus de coupure. Le moi amazigh retrouve son identité. Les retombées ne sont pas seulement d’ordre culturel. Elles sont aussi d’ordre pédagogique.

Pour le professeur Mohamed Chafik, le jeune apprenant qui découvre pour la première fois un texte amazigh écrit en tifinagh sera davantage motivé dans le processus d’acquisition qui s’ouvre devant lui. Cela va créer et développer chez lui un sentiment de sécurité symbolique qui favorise le contact avec une langue ; il sera libéré de ce sentiment d’étrangeté caractéristique de l’enseignement d’une langue hors de son contexte socio-culturel.

Ici, l’amazigh retrouve sa profondeur historique, l’un des piliers de sa légitimité. D’autant plus que sur le plan technique et pratique, le tifinagh est déjà opérationnel. Et il a fait ses preuves, y compris sur le plan esthétique. Les panneaux de signalisation des nouvelles tranches de l’autoroute, certaines enseignes administratives  en sont une bonne illustration.

Une action galvanisée par la nouvelle constitution et qui commence à donner ses fruits. Des étapes ont ainsi été patiemment construites pour sensibiliser et préparer l’ensemble de l’opinion publique. Il faut dans ce sens rendre un vibrant hommage à si Mohammed Chafik qui, par sa stature d’académicien confirmé, ses travaux et sa grande perspicacité, a permis de concrétiser ce projet.

C’est le Maroc qui en sort grandi. Il entame une nouvelle page dans la mise en place d’une véritable démocratie. L’arrivée du tifinagh apporte dans ce sens une valeur ajoutée dans le marché de la circulation des valeurs. Elle contribue ainsi à réduire la violence symbolique qui continue à caractériser les rapports sociaux et notamment les rapports de domination linguistique.

Mohammed Bakrim

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