Certes, c’est une occasion à caractère festif, où le rituel, notamment Taguella, trône de toutes ses forces. Par-ci, par-là, les festivités artistiques se déchaînent, avec la présence de toutes les figures emblématiques de la chanson amazighe, toutes formes réunies, avec particulièrement des Rouaiss, des chantres, des ensembles, des humoristes… Le «réveillon» amazigh se vêtit de toutes ses parures, ses symboliques et ses messages, pour donner à cette halte annuelle, toute l’ambiance requise, mais également toute la confirmation identitaire indiquée. Au-delà donc de cette commémoration de défoulement émotif, la «frange» amazighe, plus spécialement l’intelligentsia, s’active, par tous les moyens à portée de main, pour s’affirmer, à travers des menus beaucoup plus revendicatifs que cérémonieux. En effet, l’activisme amazigh qui s’est donné un long combat, depuis déjà des lustres, afin que cette culture incontournable se fraie des chemins salvateurs, se fait sien cet anniversaire pour réclamer encore davantage d’acquis à la promotion et, surtout, la concrétisation de l’officialisation de la langue amazighe. A Agadir, comme ailleurs, sans doute, des flots de manifestants prennent d’assaut les artères de la ville pour une marche de la protestation et de la requête. On demandera, puisqu’on y est, la mise en calendrier officiel du jour de l’an amazigh, à l’instar de l’Hégire ou encore du Christ. Une demande qui ne cesse de faire l’actualité dans l’arène des rassemblements amazighs. Pour beaucoup, la constitutionnalisation de la langue est une révolution sans précédent dans une nation plurielle, mais unifiée, à la différence de nombre de pays où le tamazight est relégué au second plan. Cette première dans les annales de la reconnaissance des expressions, des cultures et des patrimoines des peuples, a, coup sûr, donné des ailes à la communauté marocaine. Notre pays, engagé résolument dans la démocratisation et la modernisation de toutes ces institutions, conformément à ses choix ancrés, sans retour et sans bavure, dans le processus d’épanouissement de la société, est alors bien avance dans les textes. Cependant, il accuse, assurément, des atermoiements dans les contextes. La matérialisation de ses options et ses avancées notoires se fait attendre, à cause, pour sûr, des résistances qui ne cessent de tirer notre nation vers le bas, caractérisés par des instincts réactionnaires et opportunistes, nostalgiques des ères de la dépravation et allergiques des airs de l’expansion. La langue amazighe, comme tant de réformes, vacille encore sous le rouage des rapports de forces, entre les courants démocrates dont le PPS, constitue le fer de lance, étant donné sa primauté historique manifestée en faveur de cette culture identitaire nationale et les forces obscurantistes et sectaires.
L’amazighité entre réaction et démocratie
Un philosophe définissait l’Histoire comme tout ce qui nous reste lorsque nous avons tout perdu. Pour que l’identité, la culture, et par là même toutes les particularités de tout un peuple, ne rejoignent pas le cimetière de l’Histoire, il convient de maintenir, d’entretenir et de raviver toutes ses composantes. Une telle tâche n’a rien de singulier : l’Humanité et l’Universel n’étant que la somme des différentes composantes qui constituent ce monde dans lequel nous vivons.
Par ailleurs, étant donné le jeu verrouillé imposé par les différents pouvoirs successifs au sein de Tamazgha, la patrie de notre Peuple, de notre Culture, de notre Histoire et de notre Identité, les Amazighs se trouvent aujourd’hui de fait investis d’une part de responsabilité liée à la sauvegarde et à la revivification de leur propre identité et de leur propre culture en attendant des lendemains meilleurs. Par conséquent, c’est dans ce double cadre bien défini que s’inscrit la célébration de Yennayer (le nouvel an Amazigh) par les Amazighs.
Qu’est-ce que Yennayer
Yennayer est la fête célébrant le passage au nouvel an par les Imazighen. Ce jour correspond au 13 janvier du calendrier grégorien, devenu universel. À l’instar des autres civilisations dans le Monde (Russe, chinoise, irlandaise etc.), les Imazighen avaient donc leur propre calendrier bien ancien, basé à la fois sur les changements de saisons et les différents cycles de la végétation qui déterminent les moments cruciaux à l’agriculture et sur les positionnements des astres comme la lune et le soleil. À l’Arrivée des Romains, un autre calendrier (le calendrier Julien), allait se substituer au calendrier autochtone, qui ne répondait plus aux nouvelles saisons nées des innovations agricoles. Le 13 janvier du calendrier Julien (institué en 45 av. J.-C. par l’Empereur Jules César) correspond donc au 1er janvier du calendrier grégorien actuel (instauré par le pape Grégoire XIII en 1582).
Pourquoi le 13 janvier 2964
L’avènement de Yennayer de l’an 951 avant Jésus-Christ du calendrier grégorien correspond à un événement politique de portée incommensurable pour les Imazighen. Nombreux dans les différentes armées des Pharaons, les Imazighen allaient peu à peu s’affirmer et influencer les Rois Pharaons. C’est ainsi qu’ils réussirent à arracher leur droit à observer leurs propres rites comme les cultes funéraires, pratique spirituelle d’importance capitale à l’époque. Il en fut une qui ne pouvait passer inaperçue, le rite funéraire organisé à la mort de Namart, père de Sheshanq I qui allait bientôt être le fondateur de la XXIIème dynastie pharaonique.
En effet, en l’an 950 Av.J., à la mort du Pharaon Psoussenes II, un Amazigh répondant au nom de Sheshnaq accède au statut de Pharaon d’Egypte en soumettant tout le Delta du Nil, ainsi que la grande prêtrise égyptienne sous son autorité, et fonda sa capitale à Bubastis. Auparavant, Chechanq I régnait sur un territoire allant de la partie orientale de la Libye actuelle jusqu’au delta du Nil. Il régna sur l’Egypte en tant que Pharaon de 950 jusqu’à 929 av. J.-C.
Soucieux de respecter la tradition pharaonique, son fils épousa la princesse Makara, fille du défunt Pssossenes II. En commémorant cet événement, Yennayer devint également le symbole des retrouvailles entre les Imazighen et leur histoire de plus de deux millénaires, de laquelle ils ont été injustement spoliés.
La célébration de yennayer
Pour les Imazighen, Yennayer est d’abord une porte qui s’ouvre sur le nouvel an et appelée ‘tabburt useggwass’ (la porte de l’année) ou Id Seggwas. Sa célébration s’explique par l’importance accordée aux rites et aux superstitions de l’époque dont certaines subsistent encore de nos jours. La période en question attire particulièrement l’attention, car la saison correspond à l’approche de la rupture des provisions gardées pour l’hiver. Il convient donc de renouveler ses forces spirituelles en faisant appel aux rites. À cette époque de l’année, le rite doit symboliser la richesse. Ainsi, pour que la nouvelle année entamée soit plus fructifiante et la terre, plus fertile, il convient de se purifier et de nettoyer les lieux. On obéit également aux lois rituelles telles que le sacrifice d’un animal (Asfel) sur le seuil de l’année, comme on le fait encore de nos jours sur les fondations d’une nouvelle battisse. Le rituel asfel symbolise l’expulsion des forces et des esprits maléfiques pour faire place aux esprits bénéfiques qui vont nous soutenir l’année durant. Si les moyens le permettent, seront sacrifiés autant de bêtes qu’il y a de membres de famille. La tradition a retenu le sacrifice d’un coq par homme, une poule par femme et les deux, pour les femmes enceintes afin de ne pas oublier le futur bébé. A défaut de viande, chaque membre de famille sera représenté par un oeuf surmontant une couronne de pâtes.
Le dîner ce jour là sera servi tard et se doit d’être copieux, ce qui aux yeux des Imazighens augurera une année abondante. La viande de l’animal sacrifié y sera servie conformément au rite. Certains ne pouvant se permettre un tel sacrifice, servent de la viande sèche, comme acedluh, gardée pour de pareilles occasions : un Yennayer sans la viande fût-elle sèche n’en était pas un ! Lors du diner, une cérémonie est prononcée afin de préserver les absents et de faire que l’année soit bonne. Les absents ne seront pas les oubliés du repas : des cuillers disposées par la mère symbolisent leur présence et une proportion symbolique leur sera laissée dans le plat collectif, sensé rassembler toutes les forces de la famille. Après le repas, il convient de vérifier si tout le monde a mangé à sa fin. C’est la maîtresse des lieux internes (la grand-mère ou la mère) qui pose la question aux enfants pour savoir s’ils ont mangé à leur faim : la réponse est necca nerwa (oui nous avons mangé et sommes rassasiés). La maitresse des lieux n’oublie pas non plus les proches ou les voisins, lesquels lui rendent également des aliments différents : il n’est pas de coutume de laisser balader des ustensiles vides le jour de laawachar (jour béni).
La fête garde sa saveur pendant les quelques jours qui suivent l’événement. Les nouveaux ustensiles rangés après la dernière célébration vont redescendre de tareffit (étagère), on prépare lesfenj (des beignets), tighrifin (crêpes), et tout autre plat et gâteaux rappelant une saveur rare fût-elle importée. Seront également au rendez-vous les fruits secs amassés ou achetés le reste de l’année : figues sèches, amandes, noisettes, dattes, etc.
De nos jours
Dans certaines régions d’Algérie, Oran, Beni Zennassen, etc., la célébration de Yennayer n’a rien perdu de sa fraicheur ni de son authenticité. Chez ces derniers, certains s’abstiennent de manger des aliments épicés ou amers par peur de présager une année du même gout. Le repas de Yennayer est conditionné par les récoltes selon les régions, mais aussi par les moyens des uns et des autres. Les aliments servis vont symboliser la richesse, la fertilité ou l’abondance. Il est ainsi des irecman (bouillie de blé et de fèves) ou le coeur du palmier chez les beni-Hawa : pas question de rater le repas de bénédiction de Yennayer.
Le bon présage de Yennayer fait aussi qu’on lui associe d’autres événements familiaux, comme la première coupe de cheveux du dernier né ou le mariage. Récemment encore, on disposait à l’extérieur ou sur le toit, des ustensiles pleins de sel dont le nombre symbolise les mois de l’année, les filles s’amusent à marier leurs poupées, on envoie les enfants aux champs afin de cueillir eux-mêmes fruits et légumes.
Yennayer dans la Diaspora
En terre d’exil, loin des nôtres et des lieux de notre enfance, Yennayer est d’abord l’occasion de nous rencontrer et fêter la nouvelle année dans un bain culturel amazigh. C’est également l’occasion pour nous de nous rappeler notre devoir de lutter pour la survie de notre culture et de notre identité, et d’affirmer ainsi notre présence aux côtés de nos frères et sœurs qui luttent sur place dans un environnement qui lui est politiquement hostile.
Yennayer au sud du Maroc
Le nouvel an est souvent caractérisé par la manière de le fêter et de l’accueillir. Il est conçu comme un renouvellement, une initiation à un nouveau cycle temporel. On le désigne par différents termes tels : Id’ useggwas (la nuit de l’an) ou Id’ n Yennayer (la nuit de janvier), ou encore Tagwella n Yennayer (la bouillie de janvier).
Suite à l’introduction des autres calendriers dans la société amazighe (berbère), on le distingue souvent par Aseggwas n wakal (l’an de la terre), ou Yennayer n wakal (janvier de la terre), par rapport à Aseggwas n Ir’umyen « l’an des Romains » (calendrier Grégorien) et Aseggwas n igenwan « l’an des Cieux » (calendrier musulman).
Au sud du Maroc, on prépare souvent une bouillie contenant le noyau de datte ou d’un autre fruit. Ainsi, toute la famille se réunit autour de ce plat pour célébrer la nouvelle année ; celui qui trouvera le noyau de datte est chanceux. Le noyau de datte porte bonheur (symbole d’une année joyeuse et prospère).
Dans certaines régions, la célébration de Yennayer dure jusqu’à trois jours. Chaque jour on y prépare un plat différent : le premier jour, on y prépare la bouillie, le deuxième jour le couscous aux sept légumes et le troisième jour, on y prépare des poulets.
Actuellement, les associations amazighes (berbères) célèbrent cette date en organisant des festivités.