Le baobab de la militance au Maroc

Il y a 24 ans, disparaissait Ali Yata

Saoudi El Amalki

L’histoire politique au Maroc fut jalonnée par des figures Charismatiques de premier ordre. Mais, également  par des « best-sellers » de la mission partisane qui s’assignaient des tâches prodiguées du régime, depuis des decennnies pour maintenir le contrepoids en sa faveur. Incontestablement, Feu Ali Yata aura marqué ce parcours mitigé par une panoplie de valeurs qui scellait la scène politique saine et probe,  aussi bien dans la qualité de la pensée éclairée que la pratique du vécu quotidien. Cette lignée politique qui façonnait des années durant, des générations entières, allait imprimer, dans des conditions de contrainte et d’oppression, des vertus de chevalerie et de noblesse politique que les tentatives d’étouffement n’ont jamais pu escamoter. Ali Yata avait le mérite de hisser bien haut ces valeurs dans le vil marécage de la dépravation qui prenait le dessus sur une société inégalitaire et dysfonctionnelle. Ce fut à la fois les concepts universels de la justice sociale, la paix, la liberté et le progrès que ne cessait de plaider Ali Yata, à la fleur d’âge où il s’enrôlait audacieusement, les légs laborieux  du socialisme incorporé pour la première fois, dans les veines du paysage partisan du Maroc contemporain. Un socialisme flexible adapté à la réalité et la spécificité de la société vivant dans le conservatisme et le traditionalisme en amont.

Il y a donc vingt-quatre ans déjà de passés,  depuis le décès de Feu Ali Yata. Cette sommité de la vie politique et intellectuelle marocaine rendit l’âme dans les lauriers des gloires et les girofles des honneurs. L’un des artisans marquants du Maroc d’aujourd’hui s’éteignit, avant même qu’il n’ait dégusté les tout premiers fruits de son labeur titanesque. Le leader communiste, si altruiste et pugnace, s’éclipsa, en fait, quelques temps avant l’avènement de l’alternance consensuelle sur laquelle il fondait son beau rêve unioniste au service des causes suprêmes de la Nation et du Peuple. Un triste accident, jusqu’ici énigmatique, le priva de ces instants mémorables de l’itinéraire éprouvant de l’Histoire, alors qu’il venait de rédiger une missive à ses compagnons du mouvement national pour leur solliciter vivement le parachèvement du projet unitaire. Lui qui s’est ardemment attelé pour que le pays amorce cette héroïque manœuvre, après des années de frictions, de griefs et de ressentiments.

«Ssi Ali était pour nous un modèle incontestable qui imprimait au parlement cette estampille hors pair. On se souvient, un jour, au lieu de claironner haut et fort son discours rationnel – comme il en a l’habitude -, avec cet accent incisif et ce verbe vibrant, il psalmodiait une oraison spirituelle d’un des anciens Cheikh religieux, au cours de laquelle il implora Dieu de précipiter le départ du gouvernement déficitaire. L’hémicycle, subtilement pris au dépourvu, s’emplissait de boucan de stupéfaction et de dérision, à l’écoute de ces propos provocateurs», racontaient certains anciens députés qui n’en revenaient pas d’avoir vécu cette scène à la fois satirique et pleine d’enseignement humaniste.

En effet, Ali Yata avait constamment ce cachet d’humour qu’il imprima si audacieusement pour transmettre ses messages, dans des circonstances qui n’admettaient pas toujours cette rigueur cartésienne du traitement et de l’analyse.

On se souvient un jour, au fameux cinéma Salam d’Agadir, les leaders de la koutla, composée à l’époque des quatre formations politiques à savoir M’hamed Boucetta du PI, Abderrahmane El Youssoufi de l’USFP, Ali Yata du PPS et Mohamed Ne sais Ait Idder de la défunte OADP, célébraient dans la capitale du Souss la commémoration du manifeste de l’indépendance. Ce jour-là, cette rencontre se déroulait sous une pluie battante qui, subitement, se mit à tomber, après de longues périodes de sécheresse. Ali Yata, qui prenait la parole, après celles de ses compères Mohamed Boucetta et Abderrahmane El Youssoufi, empruntait encore une des formules humoristiques pour détendre l’atmosphère et crucifier les choix chaotiques des responsables de l’Exécutif, en s’adressant à leurs auteurs, en ces termes : « Les pluies bienfaitrices qui tombent aujourd’hui, sans doute, le gouvernement aura-t-il le culot de les mentionner, sans scrupule, dans le palmarès de ses réalisations ; bien que ce soit un don du ciel ». Là encore, une rafale d’applaudissements éclata dans la salle de cet édifice patrimonial. Cette assistance, fort accrochée par cette communication saisissante, avait droit par la suite, à un discours de haute teneur analytique de la situation économique, sociale et culturelle du pays.  Cette intervention qui avait, de bout en bout, enchanté l’auditoire composé essentiellement des cadres et militants des partis de la Koutla, insistait d’abord sur la nécessité de conjuguer les énergies du camp national, démocratique et progressiste pour faire face à la politique réactionnaire et impopulaire adoptée par le régime et ses acolytes défaillants. Ensuite, il fit étalage d’une panoplie d’alternatives à cette vision rétrograde, basée sur des mesures à court et long terme pour libérer le pays de l’austérité  et l’exclusion criarde des couches populaires déshéritées.

Ssi Ali avait également, en dépit de ses innombrables tâches, ce profond respect pour l’Homme, quel que soit son registre. Je me rappelle comme si cela datait d’hier, quand j’ai commencé à envoyer mes premiers écrits sportifs par le biais du «hors sac», à Al Bayane, au début des années 80, certains de ces papiers qui couvraient les matchs sportifs d’Agadir et environs, ne parvenaient pas à la rédaction à temps. Alors, à chaque retard, Ssi Ali prenait la peine de m’écrire pour me signifier que les articles sont arrivés tard, qu’il ne pouvait plus les publier et me présentait des excuses pour ces contretemps. Je garde toujours ces missives, avec fierté. «Vous savez, Ali Yata était pour nous un second père, nous qui avions passés des moments ensemble avec le regretté Nadir et Fahd. Notre père, feu Abdeslam Bourquia, nous disait que Ssi Ali était notre oncle et qu’il menait une noble cause pour le Maroc. Encore petits, nous avions un grand respect pour cet homme dont la progéniture était pétillante de finesse et d’intelligence. Un peu plus grand, nous nous rendions compte de la valeur de cet homme hors du commun et de ses enfants», remémorait Khalid Bourquia, fils de feu Abdeslam.

Ils ont dit :

Abdelouahed Souhaïl : « Feu Ssi Ali était un homme d’action »

Feu Ali Yata demeure l’une des figures emblématiques du mouvement national et l’un des dirigeants du Parti communiste marocain. Il a été contraint à l’exil pour longtemps avant de regagner la patrie après trois ans de l’indépendance. Feu Ssi Ali s’est fait distinguer par son esprit de combativité et la force de sa personnalité. Il a toujours aspiré pour un Maroc démocratique où règne la justice sociale. Il faut aussi souligner que feu Ssi Ali était un homme d’action.Il a épousé la cause des classes sociales défavorisées en militant au sein des rangs de la classe ouvrière, des paysans et des pauvres.

Qui plus est, il fut reconnu pour sa patience, sa persévérance et la constance de ses positions. Feu Yata a joué un rôle majeur dans le développement de notre pays après l’indépendance. Il faut dire que le regretté était porteur d’une pensée socialiste liée au peuple marocain et ayant des caractéristiques nationales. En sus de cela, le défunt était un fervent défenseur du bloc démocratique. L’histoire retiendra qu’il fut l’un des artisans du compromis historique entre la monarchie et le mouvement national, et il a réussi sur cette voie. Le Maroc vit aujourd’hui les développements de cette pensée qui s’est ensuite cristallisée par la l’adoption de la Constitution de 2011 et qui a permis à notre pays de consolider sa stabilité politique.

Mustapha Labraimi : « Un homme Hors-pair, toujours vent debout contre l’oppression »

La commémoration du décès de feu Si Ali Yata est une occasion pour se recueillir sur son âme, mais aussi un moment pour réévoquer les qualités de ce pur marocain, patriote, libre, militant et révolutionnaire progressiste qui a consacré toute sa vie à défendre les classes opprimées de notre peuple. Il faut dire que le défunt s’est fait distinguer par sa vision perspicace en matière d’approche idéologique. Nous avions appris beaucoup de lui, et avions été éduqués conformément à ses principes moraux et politiques, qui sont basés sur la présence permanente sur la scène militante.

Le défunt était, en outre, fin connaisseur de tout ce qui se passe dans le champ politique. C’était un homme hors-pair, toujours vent debout contre l’oppression pour faire prévaloir les droits des pauvres, des paysans et de l’intelligentsia révolutionnaire. Il avait la force de conviction. En fait, il avait la capacité de prendre tout son temps pour expliquer les tenants et les aboutissants d’une affaire au sein des rangs du parti. Feu Ssi Ali avait également l’art de l’éloquence. Il maitrisait parfaitement la langue arabe, imprégné de sa culture. Elle avait une grande dimension dans son cursus de formation. Éminent tribun, sa voix était merveilleuse. Le Maroc tout entier connaît sa tonalité vocale, car c’était une tonalité sincère incarnant les revendications et les aspirations du peuple marocain. En fait, il était fortement imprégné de la culture nationale marocaine.

Mohamed Berrada : « Il avait l’intelligence de surmonter les obstacles »

J’ai rencontré feu Ali Yata au milieu des années 70 alors que je me préparais pour la création de la société de distribution de journaux Sapress, que j’ai dirigée et gérée par la suite. En fait, J’ai contacté feu Si Ali à ce sujet et il a en exprimé son admiration totale pour le projet. Le regretté fut connu pour son patriotisme sincère. Il était imprégné de la pensée démocratique et moderniste, d’autant plus qu’il a milité dans des périodes difficiles de l’histoire politique de notre pays.

Le défunt était également connu pour son excellence dans la gestion de l’entreprise journalistique, car il supervisait tout le processus de gestion. Il avait l’habitude de me rendre visite chez moi, puisque nous vivions dans le même quartier, et nous étions habitués à discuter des conditions de la production la presse nationale et la situation difficile qu’elle connaissait à l’époque. Bref, Feu Ssi Ali avait l’intelligence de surmonter les obstacles. Il a réussi dans tout ce qu’il a entrepris.

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