Le britannique Actisa-t-il enfin décroché son ticket d’entrée au Maroc?

Echaudé par son échec en 2014 dans la reprise des filiales de Veolia, Redal et Amendis, le fonds d’investissement britannique Actis s’était fait discret depuis. Aujourd’hui, bien que la gestion déléguée et l’énergie soient toujours dans sa ligne de mire, il revient par la porte de l’éducation en devenant actionnaire majoritaire de l’université privée Mundiapolis.

C’est avec une fierté non dissimulée que Lotfi ElEulj, président du Conseil d’administration de Mundiapolis,dont les jalons ont été jetés avec la création de l’école supérieure Polyfinance en 1996, a annoncé l’arrivée du fonds britannique Actis dans le tour de table de l’université. Cependant, ni le montant du deal, ni même le montage financier n’ont été révélés. Accompagné par le cabinet d’avocats UGCC et par la banque d’affaires Upline(filiale de la BCP), la transaction a été conclue dans la plus grande discrétion. Car Actis a déjà fait les frais d’une surexposition médiatique lors de sa précédente tentative d’implantation au Maroc et qui s’est soldé par un échec cuisant. Aujourd’hui, la sortie médiatique est soigneusement orchestrée.

Après que le président de Mundiaspolis, Amine Bensaid, ait méticuleusement dressé le bilan des 20 ans d’activités de l’université, avec des réalisations à vrai dire assez concluantes (premier campus pluridisciplinaire, 6 pôles d’enseignement avec 38 filières accréditées), le directeur puis le président du fonds d’investissement britannique ont pris la parole. Objectif : dire combien cet investissement dans le secteur de l’éducation au Maroc a une approche hautement citoyenne…

L’éducation contre les concessions ?

A vrai dire, au-delà du discours habituel sur la dimension responsable de l’investissement, le management d’Actisn’a pas manqué d’admettre que ce premier pas au Maroc est motivé par le potentiel que représente l’économie africaine.  Cette première prise de participation a pour objectif de faire du Maroc un hub en Afrique pour le développement du pôle éducation du fonds d’investissement. « Notre objectif est de réaliser des acquisitions mais aussi des investissements Greenfield afin de faire émerger des leaders nationaux voire régionaux », affirme Hichem Omezine, directeur au sein d’Actis. Car il faut savoir qu’Actis est fortement présent dans l’enseignement supérieur au Brésil et en Chine (cf encadré). Le fonds a déjà investis quelques 400 millions de dollars dans ce pôle et compte continuer sur sa lancée, et plus particulièrement en Afrique. Cependant, aussi bien le top management de Mundiapolis que celui du fonds resteront des plus évasifs concernant le développement en Afrique. S’agira t- il d’implanter Mundiapolisen Afrique, ou de faire des acquisitions qui seront piloter selon un référentiel qui sera conçu en partenariat avec le pôle éducation d’Actis ? Même Amine Bensaid, président de l’Université restera assez évasif sur le sujet. « En Afrique, nous travaillerons main dans la main avec Actis. Il s’agira aussi pour nous de favoriser les échanges d’étudiants avec les pays africains », se contentera-t-il de répondre. Cela dit une chose est sûre, Actis connaît bien l’Afrique et même très bien : le fonds britannique a déjà investi plus de 3 milliards de dollars sur le continent à travers 19 pays.

Mais Actis connaît bien l’Afrique à une nuance près.  Il ne la connaît principalement que sous le prisme de la gestion déléguée et de l’énergie, car ce sont là les secteurs de prédilection du fonds. D’ailleurs au départ, Actis n’était intéressé au Maroc que par la reprise des intérêts de Veolia, à savoir Redal et Amendis, et rien d’autre.

Chronique d’un échec annoncé

Nous sommes en 2013. Toute la presse, nationale mais aussi française et britannique, se fait l’écho du deal entre Veolia et Actis. A l’époque, la multinationale française spécialisée dans l’énergie et l’environnement opérait un recentrage de ses activités et s’était lancée dans la cession de certaines de ses filiales jugées non stratégiques, notamment dans les pays émergents.

« Au terme d’un accord signé le 7 mars 2013, le groupe Veolia cède ces deux filiales marocaines, Redal et Amendis, délégataires des services d’assainissement et de distribution d’eau potable respectivement à Rabat et à Tanger, au fonds d’investissements Actis. Montant de l’investissement, 200 millions de dollars », pouvait-on lire sur les différents médias. Actis avait beaucoup investis pour réussir sa prise et s’était même entouré de compétences connectées aux plus sphères d’influences du des affaires. D’ailleurs, l’arrivée d’Actis au Maroc est l’œuvre de Younes Maâmar, ancien directeur de l’ONE –Office National d’Electricité- (devenu aujourd’hui ONEE). Il rejoint l’Actis en tant que directeur de projet Europe &Afrique. Peu de temps après, l’annonce du rachat, c’est le non moins connu Mourad Chérif (ancien PDG de l’OCP et de l’ONA, et plusieurs fois ministre) qui rejoint Actis en tant que Senior Adviser pour ses activités au Maroc. Mais l’’ancien ministre avait surtout pour mission de conseiller le fond britannique sur « les attentes des clients marocains », en somme de faire un un travail de lobbying.Actis a aussi fait appel aux cabinets internationaux les plus prestigieux pour verrouiller la transaction.

Landwell& Associés l’aconseillé sur les aspects fiscaux de l’acquisition des deux filiales, PWC avait effectué la due diligence etle cabinet d’avocats d’affaires international Clifford Chanceest intervenu sur les aspects Merger&Acquisitions et réglementaires ainsi que sur la structuration. Autant dire qu’Actis avait mis le paquet pour réussir son implantation au Maroc. Seulement l’approbation des autorités marocaines n’est jamais venue.

Le refus du conseil de la ville de Tanger, où Amendis est délégataire, est ainsi tombé en 2014. Raison invoquée: le contrat passé avec Amendis depuis 2002 était assorti d’une batterie d’engagements que la filiale du groupe français Veolia n’a pas tenus. «Les investissements prévus dans le cahier des charges n’ont pas été respectés, les travaux des chantiers n’ont pas été achevés, et pour finir, il y a des hausses des tarifs non déclarés», avait avancé le chef de service concerné. Autrement dit, les autorités n’allaient pas laisser « filer » Veolia sans lui demander de rendre des comptes, mais il faut dire aussi que les jeux politiques ne sont pas non plus étrangers à cette décision. D’ailleurs pour la petite histoire, la révision du contrat concernant Amendis(toujours dans le portefeuille de Veolia) n’a eu lieu qu’au cours de ce premier trimestre 2O16.

Les véritables ambitions d’Actis au Maroc

Après l’échec du deal Veolia /Actis, voilà ce qu’avait déclaré David Grylls, à l’époque associé en charge du pôle Energie pour l’Afrique: «Actis est très intéressé pour investir au Maroc, pour des raisons stratégiques, et souhaite se concentrer sur le développement potentiel de sociétés de services aux collectivités ». En clair, bien que le fonds britannique vise tous les secteurs d’activités présentant un potentiel de développement important dans les pays en développement, la gestion déléguée reste sa priorité. « Evidement que nous souhaitons investir dans la gestion déléguée au Maroc. Seulement pour l’instant je ne peux pas vous dire dans quelle ville, ni quand », réplique Rick Philips, partner du fonds d’investissement Actis, présent lors de l’annonce de l’accord conclu avec Mundiapolis.

Ceci dit, il faut savoir que le parcours d’Actis en Afrique n’est pas une sinécure et que dans certains pays son implantation ne s’est pas faite sans heurts. Le fonds traine même certaines casseroles. C’est ainsi qu’au Cameroun, Actis a fait l’objet d’une demande d’enquête parlementaire en 2014, suite à l’acquisition des participations de l’américain AES Corporation dans le secteur de l’électricité.

« Le fonds ACTIS a été incapable d’améliorer le service de l’électricité en Ouganda depuis une décennie. Selon nos confrères, ce pays de plus de 34 millions d’habitants possède l’un des taux de couverture électrique les plus faible du monde (à peine 12%) ; pire, seulement 5% des citadins ougandais ont accès à l’électricité et moins de 3% de ceux vivant dans les zones rurales. Comme au Cameroun, les délestages font partie du quotidien des usagers là-bas, pendant que les tarifs augmentent continuellement(…)Ce sombre tableau de l’activité du fonds Actisen Ouganda crée une suspicion légitime des consommateurs d’énergie et de l’immense majorité des Camerounais sur le choix de cet opérateur. Mais surtout, il suscite plusieurs interrogations : Pourquoi le fonds Actis part-il si précipitamment de l’Ouganda et délocalise en vitesse au Cameroun ?», Peut –on lire sur le courrier adressé au parlement camerounais. En effet, le fonds s’est depuis retiré de l’Ouganda et aussi de la Côte d’Ivoire, du moins en ce qui concerne le secteur de l’énergie, mais est bel et bienresté présent au Cameroun. Parallèlement à cela, il faut dire que le fonds enregistre quelques succès certains en Afrique où il a réalisé 40% de ses investissements jusqu’à présent. Par exemple après le rachat de Celtel, le fonds a permis de développer l’opérateur dans 14 pays.

Dès lors, et vu la dimension du fonds avec ses 6,6 milliards de dollars sous gestion, il semble évident que Mundiapolis ne constitue qu’une porte d’entrée au Maroc bien que pour l’université ce soit une excellente opportunité de développement. « Oui, nous avons des vues sur le plan solaire, oui nous avons des vues sur les énergies éoliennes, mais nous ne négligeons pas non plus les secteurs de la santé, des biens de consommation et des services financiers. Tout ce que je peux vous dire, c’est que certaines réalisations interviendront à moyen terme », conclu Rick Philips, partner du fonds d’investissement Actis

Aujourd’hui, Actis semble décidé à pousser toutes les portes pour atteindre ses objectifs : exit la stratégie d’influence de base et place au pragmatisme…

 

Qui est Actis?

Actis puise ses origines du Commonwealth Developpement Corporation (CDC) crée par le gouvernement britannique en 1948 pour investir dans les pays en développement, dits aujourd’hui économies à forte croissance. Actis voit le jour en 2004 en tant que société privée et gère les activités de privateequity. Si Actis ne dispose pas encore de bureau au Maroc (le Maroc étant géré pour l’instant depuis Londres) il en a 14 à travers le monde, de Pékin à México en passant par l’Egypte, l’Ile Maurice ou encore Johannesburg. Actis accorde une attention particulière à l’Afrique du nord et au Magheb. Il a réalisé d’importants investissements en Egypte notamment dans la CIB, la plus grande banque privée du pays, en Algérie Y Djezzy, et par le passe en Tunisie dans de grands projets tels que la centrale électrique SIDI Krir et dans le groupe Poulina.

Concernant son pôle éducation, Actis est présent en Chine. Il a créé le 2ème plus grand groupe d’enseignement grâce à l’acquisition de 5 institutions d’enseignement supérieur et 2 de formation. PSE, c’est le nom du groupe, est ainsi passé en 3 ans de 12.000 à 52.000 étudiants. Enfin Actis est également implanté au Brésil à travers Cruzeiro do Sul depuis 2008, un des plus grands groupe d’enseignement du pays disposant de 9 campus et comptant quelques 70.000 étudiants.

Somayya Douieb

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