«Le Chapelet d’ambre» d’Ahmed Séfrioui : Si Fès m’était contée…

Un jour, un livre 

Mohamed Nait Youssef

Quatorze récits, un «Chapelet». «Le Chapelet d’ambre», (éditions Julliard-1949, Editions du Seuil-1964), réédité en novembre 2014 par les  Editions du Sirocco, fut le premier recueil de nouvelles d’Ahmed Séfrioui. La même année de sa sortie, en 1949, il a remporté le Grand Prix littéraire du Maroc, décerné pour la première fois à l’auteur marocain. Plume emblématique et l’une des pierres angulaires de la littérature marocaine d’expression française, Séfrioui a fait son entrée dans un paysage littéraire avec une belle brochette de textes plongeant les lecteurs et lectrices dans les dédales de la ville de Fès ; ses charmes, ses personnages, ses contes, ses saveurs, ses couleurs et ses lumières.

«Récits et descriptions, irréprochables en tant que symboles, ne le sont pas moins aux yeux des «gens du dehors» de par les dons très particuliers du conteur. Sefrioui promène sur les rues, les boutiques, les jardins, sur les enfants, les femmes et les fleurs, un regard aussi modeste que chaleureux, vrai regard d’inspiré.», écrivait François Bon Jean dans sa préface publiée en 1949 par les éditions Julliard.

Ahmed Séfrioui a fait de Fès, sa ville natale, et ses gens ; les artisans, les vagabonds, les pèlerins, les  boutiquiers, entre autres, une source d’inspiration inépuisable. Avec son œil  perspicace et son style fluide, l’auteur de la fameuse et mythique «Boîte à merveilles» a su décrire la vie du petit du peuple de l’une des cités importantes du pays. Tout y est dans la description fine et  détaillée. «Le Cadi Hadj Hammad s’en souvient bien. Lorsque sa domestique était venue le prévenir qu’un vagabond hirsute et déguenillé le demandait à la porte, Dada Messouda préparait le plat de semoule au miel pour fêter la naissance du Prophète. C’était donc le jour de l’Aïd Mouloud. Il était de tradition ce jour-là de déjeuner de bonne heure en puisant avec des cuillers de bois dans un grand plat de porcelaine plein à ras bords d’une grosse semoule bouillie avec des îlots qui flottaient à la surface, d’un miel brunâtre et parfumé.», peut-on lire dans la première nouvelle ‘’Le Cadi Hadj Hammad’’ (Editions du Seuil-1964) de Ahmed Séfrioui.

Dans «Le Chapelet d’ambre», Ahmed Séfrioui accorde un intérêt assez particulier au détail, à la narration descriptive qui nous rapprochent de près de l’ambiance de l’époque, de ses mœurs, rituels et coutumes. Par ailleurs, chaque nouvelle propose une situation, voire un récit à part entière. En d’autres termes, ce premier recueil de nouvelles de l’auteur est un florilège des histoires savoureuses des gens de la ville-musée.

«Mon père, maître babouchier, passe ses jours et une partie de ses nuits à tirailler les peaux entre ses mains, ses genoux et ses dents pour subvenir à nos besoins. Il rentre souvent tard pour dîner et me trouve déjà couché. Je le vois seulement le vendredi. Ce jour-là, nous nous rendons à la mosquée pour la prière en commun, puis au cimetière, sur la tombe de mes grands-parents. Pour un franc, un «fqih» vient bredouiller une «sourate». De retour à la maison nous déjeunons, servis par maman. Ces déjeuners sont les instants les plus agréables de notre existence. Maman soigne particulièrement le repas et l’agrémente souvent d’un dessert ou d’une salade. La musique de la bouilloire semble douce à l’oreille, dans l’intimité de notre pièce meublée de matelas bourrés de crin et d’un lit de bois peinturluré.», la porte enluminée, p.15. (Editions du Seuil-1964). 

Après plus d’un demi-siècle après sa dernière publication aux éditions du Seuil (1964), «Le Chapelet d’ambre» a été réédité, en 2014, par les  Editions du Sirocco, en hommage à ce grand de la littérature marocaine et maghrébine en langue française. «C’est à Fès que fut conçu ce livre. Dans cette ville où mon père lui-même était né… Au-delà de sa beauté formelle, Fès constituait pour lui un monde auquel le liaient toutes les fibres de son être… Chaleureuse, équilibrée, solidaire, cette société baignait dans une spiritualité profonde… La vie spirituelle de Fès, toutefois, s’ancrait dans une quotidienneté bien concrète qu’évoque chacun des contes du Chapelet d’ambre, à travers la destinée singulière de divers personnages inspirés par les souvenirs de l’auteur… Ces histoires, quoique empreintes d’une atmosphère de merveilleux, résonnent pourtant des bruits bien réels de la cité.», écrivait Anne Sefrioui, fille de l’auteur, dans la préface accompagnant cette nouvelle édition. Cette réédition a permis aux générations actuelles de découvrir non seulement les premiers textes de cet auteur important, mais aussi un pan de notre culture et imaginaire riches et singuliers.

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