L’invité de la Fondation Ali YATA, Mokhtar Homman
La Fondation Ali Yata, fidèle à ses nobles objectifs visant à contribuer au débat national en cours autour de la problématique du développement et du meilleur modèle possible qui corresponde le mieux au Maroc pour réussir cette œuvre, a invité, jeudi 11 novembre 2021, le professeur Mokhtar HOMMAN, un mathématicien de formation reconverti en « historien amateur » à présenter un travail de recherche intitulé « Modernisation du Maroc (1860-1894) au regard de l’expérience Meiji (1868-1889).
Ouvrant cette rencontre, organisée en modes présentiel et distanciel, le président de la fondation Abdelouahed Souheil a donné un bref aperçu du parcours du Pr Mokhtar Homman, ce Tangérois d’éducation né à Larache d’un père marocain et d’une mère espagnole, un militant du parti, qui se tient au service de son pays, le Maroc.
La manifestation a été rehaussée par la présence de membres de la direction de la fondation et du Parti du Progrès et du Socialisme avec à leur tête Moulay Ismail Alaoui, Mohammed Nabil Benabdallah et d’autres intellectuels.
Aux termes de sa présentation, le conférencier a rappelé que l’historiographie du Maroc au 19ème siècle est travaillée par le dilemme du facteur déterminant dans la perte de l’indépendance du Maroc : endogène, l’échec des réformes ou exogène, l’impérialisme.
Dans le cadre de ce «mémoire de diplôme de l’Ecole des Hauts Etudes en Sciences Sociales» (France), le Maroc est «regardé» du Japon, un pays qui a su préserver son indépendance et devenir une grande puissance industrielle, grâce à son expérience Meiji, devant inspirer le Maroc pour réussir enfin son œuvre de développement et de modernisation pour le bien du pays et du peuple.
Selon Mokhtar Homman, le Japon de l’ère Meiji entre 1868 et 1889 s’est modernisé à la nippone et est devenu une puissance industrielle et militaire et a réussi à préserver son indépendance.
La stratégie Meiji poursuivie consistait à «enrichir la nation pour renforcer l’armée».
LE MAROC ET SES PREMIERES TENTATIVES DE REFORME
Pour ce qui le concerne, le Maroc entre 1860 et 1894 avait tenté de se réformer et de se développer à la faveur des années de bonnes récoltes, poussé par une volonté de défendre son indépendance.
Malheureusement, il n’avait pas réussi à se transformer et acquérir la puissance suffisante pour préserver son indépendance qu’il avait perdue pour subir la double colonisation franco-espagnole.
Ce qui l’avait conduit à «se moderniser» timidement à l’européenne au cours du 20ème siècle pour mieux servir les intérêts coloniaux.
Cette situation trouve son explication dans le rapport des forces avec les puissances européennes défavorable au Maroc, a-t-il dit, estimant que même en cas de réussite, les puissances européennes allaient imposer leur volonté en bloquant les réformes.
D’après lui, les raisons de cette impuissance au cours du 19ème siècle résident par ordre d’importance décroissant dans la force et l’appétit des puissances européennes coloniales pour dominer le Maroc, un pays si riche en ressources et si proche, via la guerre, les traités commerciaux, la dette, les pressions diplomatiques, la protection et la perversion des réformes.
D’autres raisons expliquent cet échec dont la faiblesse démographique (sous l’effet des calamités naturelles et des famines, (867- 68 et 1876-78).
Et d’ajouter que ceci trouve aussi son explication dans la faiblesse du Makhzen et les freins idéologiques ainsi que dans l’absence d’une couche bourgeoise entreprenante dans l’industrie et la modernisation. L’accaparement des terres était la principale préoccupation des riches du pays.
En parallèle, le commerce extérieur était de plus en plus sous protection des puissances étrangères.
En guise de conclusion, l’auteur de cette œuvre d’une grande rigueur scientifique venu des sciences dures (Maths) a indiqué que le Maroc a perdu en fait la possibilité de rester indépendant dès la fin du 16ème siècle, des suites des famines, des épidémies et des guerres civiles qu’il avait connues.
MOHAMMED III LE VERITABLE ARCHITECTE DU MAROC MODERNE
D’après lui, le règne de Mohammed III marquait la dernière période durant laquelle le Maroc avait connu à la fois une longue stabilité politique, un équilibre dans ses relations avec l’Europe (début révolution industrielle) et des réformes.
C’est d’ailleurs pourquoi, l’historien Abdellah Laroui soutient que «Mohammed III fut le véritable architecte du Maroc moderne», a-t-il dit.
ALI YATA, l’ANALYSTE
Pour mieux résumer cette évolution, le conférencier a cité feu Ali YATA qui écrivait dans un article publié à la revue Lamalif (8), 1966, p. 20-22 sous le titre: «L’occupation étrangère est venue freiner le développement interne» :
[À la fin du 19ème siècle] furent mis en œuvre des processus nouveaux en vue de créer des conditions propices [au] développement et [à la] modernisation [du Maroc]. Sans entrer dans les détails, citons les tentatives faites sous le règne de Hassan premier pour poser les jalons d’un développement industriel, pour moderniser les institutions, l’envoi de Marocains à l’étranger pour leur permettre d’acquérir les capacités techniques nécessaires, etc. Des tentatives qui ne sont pas sans rappeler celles du Japon à la même époque.
L’occupation étrangère est venue freiner et bouleverser ce développement interne».
Revenant sur les points faibles qui ont facilité la colonisation du pays, il a cité en premier l’insuffisance des ressources fiscales et de l’épargne, les déficits en matière de santé et d’éducation et l’absence d’élites entreprenantes et modernisatrices outre les perceptions isolationnistes à fondement religieux.
Parmi les points forts du pays figurent en premier l’unité nationale à fondement religieux et la volonté de préserver l’indépendance du pays et son développement à travers des réformes, a-t-il dit, estimant que le Maroc se doit aujourd’hui de revoir les traités inégaux avec ses partenaires (UE, USA, Turquie), parachever son intégrité territoriale à travers la récupération des présides occupées dans le nord du pays et œuvrer pour combler le déficit chronique de la balance commerciale.
Il est également nécessaire de procéder à la refonte des structures économiques du pays qui sont toujours tournées pour servir l’intérêt des anciennes puissances coloniales et d’adapter les efforts déployés pour faire face aux effets dévastateurs du réchauffement climatique (sécheresses, inondations etc.).
Il est vrai en l’état actuel des choses que l’on est en présence d’un Etat «presque développeur», mais il est vrai aussi que le Maroc actuel a des défis énormes à relever pour s’assurer « un développement à la marocaine », a souligné le conférencier, estimant que le pays dispose toutefois d’un atout de taille qu’est sa civilisation.
Selon lui, toutes ces tâches sont susceptibles d’être réalisées en l’espace d’une décennie (2021-2030) à travers une implication plus forte de l’Etat pour jouer pleinement son rôle d’orienteur et de développeur ainsi que dans la préservation de l’indépendance et de la souveraineté du Maroc en matière de santé, d’éducation, de formation, de développement technique et technologique, d’agriculture, d’investissement et de financement interne des projets de développement.
Mbarek Tafsi