Le pouvoir des mots et la recherche de la beauté

Le monde de Julie Guégan

Par Noureddine Mhakkak

Le dialogue avec Julie Guégan est un voyage culturel dans les mondes des Lettres et des Arts. C’est-à-dire dans le monde de la poésie, de la prose, du cinéma, de la peinture et de la photographie d’une part et dans le monde de l’actualité aussi. Ainsi, nous allons parler des relations humaines, nous allons parler de l’amour, de l’amitié, de la tolérance et de l’ouverture d’esprit et la connaissance de l’autre. Nous allons parler des villes, des livres, des films, nous allons parler de nous, de nos pensées, de nos réflexions, de nos passions, et nous allons parler de vous en tant que lecteurs. Des lecteurs fidèles qui nous lisent avec tant de plaisir.

Comment avez-vous vu le monde après l’obtention de votre baccalauréat ? Et quel chemin avez-vous choisi pour atteindre vos rêves ?

Connaissez-vous la chanson « Place des Grands Hommes » de Patrick Bruel ? Eh bien, inspirés par les paroles, avec mon grand ami du Lycée, Julien, nous avons écrit une lettre, en forme de contrat, le jour où nous avons eu notre baccalauréat. Notre objectif était que, quel que soit notre parcours de vie, nous nous retrouverions tous les dix ans en ce même jour, à cette heure précise et en ce lieu. Dix ans plus tard, nous nous sommes effectivement retrouvés… Entre ces deux rendez-vous, j’ai commencé ma vie d’adulte et j’ai pris les décisions qui détermineraient le reste de ma vie.

Tout a commencé une nuit de 1997, alors que je me destinais à une carrière de kinésithérapeute. Je venais de commencer mon école depuis quelques jours seulement, quand tout à coup j’ai fait un rêve étrange encore… Le cauchemar ultime pour l’insatiable curieuse que je suis ! Bref, le lendemain, je me réveillais avec le besoin urgent de changer de voie. Et quelques heures après avoir réglé tous les détails administratifs et bouclé ma valise, j’étais dans le train pour Dijon, où mon petit ami depuis deux ans s’y était installé pour étudier.

Évidemment, je me débrouillais. Je trouvais une colocation et je m’inscrivais à l’université pour étudier la littérature anglaise. Seulement, si j’avais gagné en liberté avec ce choix, j’allais rapidement découvrir qu’il serait à l’origine de pas mal de difficultés. D’abord, mon petit ami me quittait car j’avais quelque peu contrarié ses plans, lui qui aspirait à vivre une année universitaire sans attache. Ensuite, je ne m’épanouissais pas vraiment dans ces études, trop littéraires à mon goût et manquant de concret. Enfin, je continuais toute l’année à me reprocher d’avoir causé de l’inquiétude à ma famille en partant du jour au lendemain.

Avec cette première histoire, je réalisais que la fugue est un mode de fonctionnement assez récurrent dans ma vie. C’est en général ce qui me donne l’espace pour régler mes problèmes, grandir et me renouveler. Au fond, elle est une façon comme une autre de me respecter et de respecter les autres. Seulement, vous le savez bien, le terme a une connotation très négative, et il m’a donc fallu faire un gros travail pour être en paix avec mes fugues, qui n’ont vraiment rien de mauvais. Ainsi, j’ai choisi de remplacer le terme de « fugue » par le mot « passage ». Il ajoute ce côté rassurant, si essentiel pour moi, pour que je me fasse confiance. Il est également nécessaire pour les autres, à qui je tiens à donner mon amour éternel lorsque je les quitte. Je vais d’ailleurs vous confier un petit secret : je suis la plus fidèle fugueuse au monde !

Après l’obtention de mon diplôme, je suis d’abord partie quelques temps au Royaume-Uni, comme jeune fille au pair, pour m’occuper des jumeaux d’un célèbre avocat britannique. Lorsque je ne m’occupais pas des enfants, je regardais les matchs de football de la coupe du monde 1998 avec des amis londoniens et français, où je passais des heures avec le papa, à écouter ses récits de procès les plus improbables les uns que les autres. Cette période a été marquante car j’ai compris que j’aurais toujours le besoin d’être entourée d’enfants, d’animaux (ils avaient un bouvier bernois incroyable) et de belles conversations.

Au retour, je décidais de poursuivre mes études à Paris. Cette fois, j’intégrais l’université du Val de Marne, pour un diplôme de DEUG en commerce international. Comme, entre-temps, j’avais rencontré un homme, je m’installais pour vivre chez lui. Je n’envisageais pas de retourner vivre dans ma famille, m’étant bien habituée à un mode de vie de femme indépendante. Pendant plusieurs mois, nous vécurent ensemble chez ses parents, grecs d’origine. Ils étaient d’une gentillesse incroyable.

Bref, retour en 1998. Au bout de quelques mois, je m’ennuyais à nouveau dans cet enseignement abstrait et je décidais de prendre le temps pour réfléchir à mon avenir. À travers des amis, j’obtenais un petit boulot de vendeuse dans un magasin Swatch, situé près de la place Saint-Sulpice à Paris. Durant six mois, je verrais les plus beaux mannequins du monde entrer dans les jolies boutiques du quartier. Alors, depuis ce petit espace sans prétention aucune, j’ai commencé à rêver d’une vie faite de voyages, de rencontres interculturelles et de création.

Septembre 1999, ma décision était prise. Je voulais intégrer une école de communication, dont le bâtiment se trouvait sur les Champs-Élysées. Tout de suite, je sentirais poindre ma passion pour cette discipline. Premiers stages aussi, dans la production audiovisuelle, la télévision, le marketing…

Si vous le voulez bien, j’ai envie de vous raconter deux histoires de cette période. Premier souvenir : je faisais un stage dans une agence de relations publiques, connue pour ses salons grand public internationaux. Les tâches ne me motivaient pas plus que ça. Et puis, un jour, la directrice, accompagnée de son fils, vint m’évoquer un projet fou dans lequel ils choisissaient de se lancer : redonner vie à une chocolaterie célèbre du siècle dernier. Ils recherchaient une stagiaire pour les aider et me proposaient de changer de projet. Sans hésitation, devant l’ampleur de la tâche, j’acceptais et découvrais en même temps mon goût pour les défis. Mes activités consistaient par exemple à trouver l’artiste chocolatier qui donnerait naissance aux nouvelles créations, tout en s’assurant qu’elles seraient alignées avec les valeurs de cette enseigne prestigieuse, à rencontrer un tas de fournisseurs pour l’espace salon de thé (souvent des passionnés derrière la production de thé, de café ou encore de cacao) ou à fouiller les caves des boutiques, pour en dénicher des trésors d’un autre temps. Et puis, évidemment, j’ai eu des moments inoubliables avec tous les acteurs du projet. Nous passions nos soirées à goûter des chocolats, des pâtisseries des plus beaux endroits de la capitale, ou à réfléchir à l’ensemble des stratégies de prix, de marketing… Autant d’activités qui me permettraient de découvrir l’envers du décor de l’entreprenariat, et d’explorer ma créativité, d’une manière inédite.

Deuxième histoire. Je rejoignais un projet de création de chaîne de télévision sur le câble. Mon rôle était là encore assez polyvalent. Il y avait tout à faire, du travail de production à l’écriture des synopsis des émissions, en passant par les relations publiques. Et puis, soudain, on me demandait de jouer l’animatrice pour le pilote qui serait présenté aux actionnaires et décideurs. Et comme à mon habitude, j’acceptais le défi. En peu de temps, je me retrouvais donc devant la caméra à promouvoir des technologies de l’époque. On me félicitait, on m’acclamait même et on me disait que j’étais faite pour ce métier, tandis que moi je me voyais comme une coquille d’huître vide… Et je prenais la décision ce jour-là que je ne passerais plus devant la caméra tant que je n’aurais pas enrichi mon cerveau d’expériences et de savoirs.

Après ces quelques histoires de vie, vous comprenez déjà un peu mieux qui je suis et ce qui me motive. Je suis curieuse face au monde qui nous entoure et je cherche à apprendre le plus possible en vue de lui être utile. J’ai bien des tas d’autres récits mais je les garde pour une prochaine fois, si vous voulez bien. Ainsi, je vous raconterais comment j’ai travaillé aux côtés de grands comédiens, ou pourquoi j’ai rejoint Bruxelles il y a 16 ans.

Il y a un proverbe français qui dit « Laisser le temps au temps ». Pourriez-vous nous parler de votre façon de gérer le temps, et de voir le monde lui-même à travers la notion du temps ?

J’ai lu, il y a quelques mois de cela, le livre « Blink » de Daniel H. Pink. Il s’agit de l’un des quelques livres utiles sur le temps. Un sujet de recherche tellement essentiel, alors que l’on ressent à quel point il s’accélère et parfois même nous échappe. J’ai tiré plusieurs enseignements de tous ces livres que j’aimerais vous partager ici.

Tout d’abord, le temps doit se voir comme un bien encore plus précieux que l’argent. Si je ne donne pas d’argent à tous ceux qui me le demandent, je dois en faire autant avec mon temps. Évidemment, je ne dis pas qu’il faille toujours calculer, il y a du temps qu’on aime donner sans compter et puis il y a le temps stratégique. À nous de trouver les formules qui nous conviennent le mieux, en fonction de nos intérêts.

Le second enseignement concerne la structure du temps. Dans un monde qui s’accélère, il est bénéfique de reprendre le contrôle. Cela implique de lui donner un peu de structure, pas trop toutefois, afin de laisser de la place aux imprévus (qui, comme vous l’aurez compris, ont tendance à me rendre heureuse !). Attention aussi à la rigidité, qui selon mon expérience est un vilain défaut qui nuit à notre corps. Ainsi, il est bon d’avoir quelques rituels et autres routines tout en maintenant une certaine souplesse. Chaque matin, je commence ma journée par un peu de ménage. J’aime évoluer dans un espace rangé, aéré et plutôt propre. C’est un moyen comme un autre de me vider la tête et de débuter la journée toute neuve. Ensuite, lorsque mes enfants sont là, c’est un moment pour eux. On ne se prive pas de câlins avant de se préparer pour l’école et au départ… Jusqu’à mon retour à la maison (en musique si possible !) pour un jogging avec mon chien. Ensuite, je travaille jusqu’au déjeuner. Temps durant lequel j’essaie de garder de l’espace pour des rendez-vous ou des courses. L’après-midi se passe à peu près comme le matin. Je précise que je mange très léger le midi pour pouvoir garder de l’énergie durant l’après-midi. Quant au soir, j’ai mon rendez-vous quotidien avec les voisins du quartier, pendant que les enfants jouent ensemble au parc. Mes soirées sont occupées par du rangement, encore des câlins et des livres ou du travail. Je réserve les activités de loisir, tels que cinéma, shopping (j’adore les brocantes et boutiques de seconde main !), sorties entre amis, ou expositions nocturnes pour les semaines où mes enfants ne sont pas là.

Une autre leçon que je souhaite partager avec vous, en lien avec la structuration du temps, est l’importance des débuts et des fins. Ainsi, lorsque j’organise nos vacances, par exemple, je prends bien soin à avoir une attention particulière pour ces moments-là. Je sais que s’ils sont réussis, alors nos vacances seront mémorables ! Une tactique que je vous encourage à suivre pour l’avoir expérimentée de nombreuses fois.

Enfin, j’ai conservé de ces livres, l’importance de notre rapport au futur. Plus nous développons cette croyance que le futur est proche, et plus nous sommes à même de prendre des décisions responsables dans le moment présent. Face aux nombreux biais que nous pouvons avoir sur le temps, je pense que cette leçon a été pour moi la plus efficace. Alors bien entendu, je suis convaincue des bénéfices à vivre l’instant présent et à se poser les questions qui nous permettront de l’optimiser (comme par exemple « comment puis-je rendre ce moment encore plus inoubliable ? »). Cependant, je ne perds plus de vue les conséquences logiques de mes actions. C’est une habitude à prendre…

Avez-vous un journal intime dans lequel vous écrivez les petits secrets ? À votre avis, quel est le rôle de ce type d’écriture intime dans la vie psychique de la personne ?

Je suis droitière. Lorsque j’écris avec la main droite, je fais parler mon conscient. En revanche, lorsque j’écris avec la main gauche, je fais parler mon inconscient. Et alors, vous me direz, que se passe-t-il quand je tape sur le clavier de l’ordinateur avec les quelques doigts que je mobilise seulement ? Eh bien, aucune idée ! Moi qui aime les expériences, je crois qu’il serait intéressant que je regarde si j’écris les mêmes choses en réponse à vos questions, selon le modèle que je choisis.

On s’amuse mais cette réflexion bien légère me permet de rappeler l’importance d’être ouverte et de tester en permanence nos convictions ainsi que notre réalité. Il serait dommage de ne pas vivre le présent tel qu’il est vraiment.

Tout est éphémère, même la connaissance de soi. Un jour, j’ai l’impression d’être arrivée à cerner tout ce que je suis, et le lendemain, tout me semble bouleversé et je me dis que je dois vraiment être plus humble…. Alors écrire me donne le moyen de confronter mes croyances et mes limitations.

Ainsi, je décide de changer mon passé en le rendant plus gai lorsque je le vois triste. Je pense qu’il n’y a jamais qu’une facette de l’histoire et c’est à nous de nous amuser à la réinventer. Pour cela, la meilleure manière que j’ai trouvée est d’écrire mes peines, d’en ressentir toute la palette d’émotions et de sentiments depuis une position adulte et responsable, de vérifier avec mon corps si le ressenti est plaisant ou si quelque chose doit changer, et si c’est le cas réécrire, tel que je souhaite à présent vivre ces événements. Le pouvoir de l’écriture est réel. Et comme je m’amusais à le dire plus haut en introduction, il ne faut pas hésiter à changer de main, la vie m’a appris qu’il peut être intéressant de communiquer avec son inconscient.

J’ai eu beaucoup à pardonner, et je continue d’avoir des pensées négatives. C’est à la fois dans mes gênes, et dans ma culture. C’est un peu aussi notre mode par défaut, nous, les humains. Des aimants à négativité, lorsque nous sommes las par exemple… Si j’entre dans une pièce, vais-je être plus attirée par les craquements dans la peinture, ou par le magnifique tableau sur le mur ? Cela dépend un peu des jours, mais l’engagement que j’ai fait avec moi-même est de chercher la beauté, même et surtout dans les jours de fatigue. 

Ainsi, quand je prends conscience que les craquements dans la peinture m’obsèdent, je reconnais ma responsabilité, en mobilisant mon énergie pour changer de lunettes. Je peux faire en sorte d’avoir le moins possible de jugements et de vivre le présent vraiment, sans bagages. Enfin, je sais que face au futur, je peux réduire une anxiété qui ne sert finalement pas à grand-chose.

Je ne veux pas d’un corps ou d’un esprit marqué par des blessures qui m’encombrent et m’empêchent de m’épanouir. C’est un travail continu et en profondeur. Mais je ne lâche pas, je sais combien il est important d’apprendre à se libérer de ses chaînes. Combien si on ne guérit pas le mal, alors il y aura « mal-a-dit ».

Je vous raconte tout ceci, et me dis que vos lecteurs vont penser que je passe mon temps à m’analyser. Il faut savoir que ce travail m’aide surtout à mieux vivre avec les autres et l’acte de réparation est bien plus généreux qu’on ne le croit. Ainsi, il serait bon que tout le monde entreprenne un travail de guérison. Un vrai sans pilules factices du bonheur.

Oui, je pense que de ne pas se relever d’une position que je qualifierais de victime est égoïste. Ce n’est pas « cool » d’être un poids pour la société ou ceux que l’on aime, c’est encore moins « cool » d’abandonner sur le chemin de la montagne. J’ai beaucoup d’empathie pour ceux qui souffrent parce que, comme je vous l’ai dit, je souffre encore souvent. Je suis sensible, un peu comme une éponge et je capte très bien les ondes négatives. Seulement, je ne lâcherai rien. Quelles que soient les épreuves, j’ai décidé que je resterai debout, pour mes enfants. Nous avons le pouvoir de régler les problèmes un à un, de chercher la lumière et de dire « non » à tout ce qui nous fait du mal. On peut décider vraiment de s’en sortir et de garder l’espoir, même lorsque la vie ne nous fait pas de cadeaux. J’ai compris, vous savez, que ceux qui veulent le bien sont plus testés et challengés. Mais plus on persiste, plus on acquiert cette conviction que guérir ses maux est le seul chemin possible vers le bien-être et l’épanouissement. Et même si cela fait mal, et que nous ne voyons qu’un épais brouillard.

L’écriture est essentielle pour évacuer, pour chercher à comprendre et pour conscientiser chaque palier vers la guérison. Car, il serait dangereux de penser que l’on se lèvera en une fois. Il s’agit d’être patients, déterminés, de beaucoup se pardonner et si un jour nous nous sommes déçus, ce n’est vraiment pas grave, il suffit de transformer notre voix intérieure en coach interne encourageant et bienveillant. J’ai la chance d’avoir une copine, Stéphanie, qui fait office de super coach et qui a le don de me remonter dès que je me fais des reproches. Rien que de penser à sa voix énergique et positive, je me sens bien. J’encourage tous nos lecteurs à trouver leur Stéphanie !

Enfin, rappelons-nous que nous ne sommes qu’humains. Alors, acceptons-nous, aimons-nous et aidons-nous, quels que soient nos choix, ou nos origines.

Écrire une lettre à un ami ou à une amie ou recevoir une autre de lui ou d’elle est une chose qui est bien présente dans la littérature contemporaine. Je pense aux lettres d’Henri Miller à Anaïs Nin et ses lettres à lui. Que pensez- vous de ce genre de lettres ? Autrement dit : est-ce que vous aimez écrire des lettres à des amis/ amies, ou en recevoir d’eux ou d’elle ?

Souvent, j’ai pris la plume pour écrire des lettres, que je n’ai finalement pas envoyées. L’acte de le faire a été libérateur, il est souvent un bon moyen de laisser exprimer ses émotions et ses sentiments. Ensuite, on se sent plus légers.

Je pense aussi que les lettres permettent de véhiculer l’amour et la tendresse, d’une manière puissante. J’ai la chance d’avoir une famille pour laquelle écrire des lettres est encore une belle habitude. Il y a comme un côté officiel avec les lettres, et puis j’apprécie le don du temps. Lorsque je veux dire quelque chose de très important, je le fais au travers d’une lettre. Pas un email ou un simple coup de téléphone. « Le message, c’est le médium », nous disait Marshall McLuhan.

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