Le soleil au cœur des hommes : Une plongée dans des sphères inconnues et salvatrices

Nouvelle publication de Abdelhak Najib aux Éditions Orion

Par Noureddine Bousfiha

L’expérience poétique de Abdelhak Najib nous suggère qu’une certaine poésie peut être pour les néophytes un art totalement abstrait. Elle ne peut, tout comme la peinture conceptuelle, se donner pour entièrement achevée. Le lecteur qui s’y hasarde, s’émerveille de ce monde qui se dérobe sous ses yeux, et ne peut lui-même s’y dérober. Tel est le contrat de ce cercle enchanté!

Il n’est pas de poète plus prométhéen que cet homme rivé à son roc, Le Soleil au coeur des hommes qu’il vient de publier, apporte aujourd’hui son écot au lyrisme dans une esthétique qui ne fait au lecteur solitaire aucune révérence. Le critique qui s’acharne sur l’oeuvre de ce poète retranché dans ses pudeurs, connaît le même cinglant revers. Il s’avance à découvert vers une lumière qui l’aveugle, s’accorde à un mystère qui fait de lui un piètre archaïsant, subissant la cruelle maladresse de l’interprétation et de la reconstruction.

Avec une ferveur lucide, Abdelhak Najib replonge dans son époque et recrée autour de lui un contexte inséparable de sa quête. Rien de superficiel dans ce cheminement initiatique, rien d’artificiel, nulle trace d’immobilité ou d’impassibilité; somme toute une oeuvre faite de chair vivante où le lyrisme pur et l’intelligence parfaite font tout son mérite; une oeuvre très profonde, attachée à sa vérité intime. Il faut venir à elle pour en faire le tour même si elle dépasse les limites matérielles de ce volume. Il est évident que le poète semble chargé d’exprimer tout ce que l’existence place sur son chemin avec la vocation d’entretenir des liens subtils, voire ésotériques avec un ordre imprévisible qui refuse de donner accès au lecteur impatient. Dans sa quête, Abdelhak Najib porte à son climat une parole suprême. Il va de son pas de sourcier extatique vers le delta alluvial étancher sa soif. Fraternel aux éléments, aux essences célestes, il s’abandonne avec candeur au fluide universel, franchissant à tire-d’aile, l’assez mince frontière qui le sépare de la divine fontaine.

Nous écoutons le long des pages un chant admirable, le plus déchirant, le plus consolent aussi. Car il faut lire et relire encore ces poèmes qui sont des relais placés en abîme. Peu à peu les images s’organisent, elles ne paraissent plus seulement exactes mais expressions complètes d’instants de vie, ce qui nous met dans la condition de suivre le poète où qu’il aille. En vrai chef d’orchestre, il traîne un orgue de barbarie gonflé de cartons perforés. Chaque note a ses raisons que le poète n’ignore pas. Il s’adresse à nous comme au dernier homme, nous livre son étonnement et sa fascination dans un album de métaphores qui semblent venir d’un autre astre, permettant au regard de s’assurer un moyen de contrôler une certaine fidélité à la nature.

Dans ce recueil, chaque poème a sa place, subordonné à l’ensemble. Il n’est pas indispensable d’être un druide pour comprendre et goûter cette poésie qui fortifie l’âme et la chair. Le poète tourné vers la vie intérieure, tire de cette âme les causes les plus latentes, mais aussi les moins visitées de la lumière du jour. Ses pensées s’ouvrent avec force pour répondre au temps et à la limite, bannissant tout ce qui n’est pas nécessaire. Il semble que ce poète soit le seul à dire les choses essentielles, hurler haut sa passion à un Dieu qui pointe l’oreille et qui lui serine qu’il est mortel.

Formellement, le recueil compte quatre partitions. Dans « Spiritus Mundi » qui ouvre le recueil, le poète nous propose de très beaux poèmes dans un élan de panthéisme fervent. Une essence astrale pointe, et le rayonnement cosmique lui est favorable. Le poète force les portes du temps en quelques mots, trace une courbe, une circularité entre le premier vers et le dernier, posés comme une allégorie spirituelle:

« Il faut bien partir un soir pour entamer ta nuit folle » (p.19)/

« Â l’aube, ouvre ton aile et vole vers l’oubli » (p.41)

   Nous avons, dans cette suite en deux vers, une volonté impérative de s’affranchir des déterminations, ultime concession à l’amnésie pour se réinventer loin des puissances nées de l’ombre: fantasme, rêve ou réminiscence obsédante de la chaude pâte humaine des bas-fonds s’y confondent. La tératologie du corps n’est pas en reste. Nous savons que cet arrière-plan ne saurait masquer l’essentiel. Sans la moindre justification, on fuit le diable au corps pour se purifier et s’épanouir librement, dans les sept hautes sphères où règne à chaque pallier, la divine lumière.

Dans la deuxième partition, le poète, absorbé par de petites doses bien terriennes, abandonne le modèle inaccessible  pour en dresser un autre et s’y maintenir dans une ligne mélodique, guidé par de vagues souvenirs d’airs, entendus autrefois. Maître de sa sérénade, il mêle « la voix de la terre » « au chant de la nuit ». Ses gammes deviennent prétexte pour égarer le verbe et se plier au vieux désir qui tente de combler le manque de la figure tutélaire avec le souci de réinventer le foyer. La légende du géniteur s’estompe dans la mémoire de l’enfant qui oublie. Quant à l’homme, il fait retentir un accent tragique, au moment même où il évoque cette femme devenue à la fois emblème d’une nostalgie et d’une menace.

Dans la troisième partition, le poète reconsidère « Le livre du temps », le néant reprend ses droits. Une frayeur subite face à l’espace à vaincre qui annonce l’imminence d’une perdition certaine. Encore faut-il dérober au chaman son secret, au terme de sa longue quête. Étrangement cérémonieux dans son détachement de tout, le poète, à grand renfort d’anaphores et d’antépiphores, finit, dans un badinage lyrique, par se glisser dans l’âme d’un enfant qui n’a pas fini de s’ébrouer, la chargeant d’un message prémonitoire, annonciateur d’un petit éden à venir que rien ne saurait troubler.

Dans la quatrième partition, nous semble-t-il, il y a une prise en compte de l’inquiétude toujours mordante et la pesanteur qui n’est pas encore vaincue. Le poète va de sa crispation, laisse parfois filtrer une note d’espoir, assurément faible, mais fait d’ores et déjà l’objet d’une expérience décisive : l’attente d’une « terre à renaître » dans un demain qui aura du mal à dissimuler l’unité foncière de cet homme qui hait les farceurs et le simulacre.

Le Soleil au coeur des hommes écrit sans doute par juxtapositions, s’organise à la façon de la matière qu’on pétrie, laissant soudre entre ses bulles  une vie organique, prête à tout recommencer. La vigueur du style mesure sans doute cette observation. Nous pensons que ce recueil, sans déprécier les autres travaux, est le plus accompli, réalisé dans une subtile et parfaite harmonie, captivante en sa grâce mystérieuse. S’il y a une magie dans la poésie, c’est dans cet univers mouvant qu’elle se révèlera, et il n’est pas possible de la saisir en dehors de ce langage.

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