Par Anissa Bellefqih
Comment devient-on écrivain ?
Si je devais me demander comment je suis venue à l’écriture, ma réponse serait “par la lecture”. Celle-ci permet d’apprivoiser une langue, de la maîtriser, de l’aimer et peut donner envie d’écrire. Ce désir ne suffit pourtant pas. Certains affirment que l’écriture, c’est «5% d’inspiration et 95% de transpiration ». « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage », a dit Boileau. Flaubert, lui, aime « les œuvres qui sentent la sueur ». L’inspiration seule ne suffit donc pas. Un travail méticuleux est essentiel pour ciseler la trame narrative et traquer les imperfections qui se glissent à notre insu.
Pourquoi écrire ?
Au début, on écrit d’abord pour soi. C’est un jeu avec les mots qui permet de garder une trace de notre vécu émotionnel. Plus on avance dans la vie, plus notre implication dans notre environnement grandit et plus nous avons envie de changer ce qui peut l’être.
L’écriture devient alors un jeu de séduction qui vise le lecteur. J’écris pour le plaisir de partager avec ce dernier en exposant, non ma réalité, mais un réel. L’objectif implicite ou inconscient étant de sensibiliser le public aux problèmes cruciaux concernant la femme ou la société.
Mes livres me donnent le pouvoir d’exprimer l’indicible au nom des femmes qui ne peuvent parler ou se faire entendre. Ce désir rappelle un credo fondamental qu’on apprenait à l’école, à savoir le concept de “adaâf al imane”, le seuil minimum de la foi, qui est de changer par la parole ce qui nous paraît injuste.
Je n’ai aucun sujet tabou. La maîtrise des mots me permet de parler de manière que le lecteur décrypte tous mes messages. L’important est d’oser. Il faut en effet du courage pour écrire car cela revient à s’exposer sur la place publique.
On écrit donc par amour des mots, mais aussi pour témoigner, crier parfois, pour laisser une trace et permettre aux lecteurs de prendre le relais et de continuer la réflexion sur des solutions. Ce désir de transmettre des idées ou des expériences fait de moi une passeuse qui met à nu nos maux autant que nos réussites.
Tout cela me permet de dire que je n’ai jamais assimilé l’écriture à une thérapie. Mon “je” est un “je” militant que le lecteur peut s’approprier. C’est donc un “Nous” qui nous implique tous.
Choix de la langue d’écriture :
J’ai choisi d’écrire en français, une langue que je me suis appropriée et qui est devenue mienne, si familière qu’elle fait partie intégrante de mon imaginaire sans pour autant bousculer ni faire de l’ombre à ma langue-mère, l’arabe, nourricière et si riche. Cela crée un “mé-tissage” parfaitement assumé.
Le texte intègre ainsi des apports de ma langue arabe, dialectale ou classique. Il est enrichi par des mots, proverbes et même des versets du Coran. Le tout transcrit, traduit ou expliqué pour le lecteur francophone. Ce choix me permet de juxtaposer deux cultures, deux imaginaires. Je dois dire qu’au plaisir de partager la saveur d’une langue choisie (le français), s’ajoute parfois le sentiment qu’il n’y a que la langue arabe qui puisse rendre avec justesse certains faits de culture. Ex : les mots “hanine” et “hogra” dont l’équivalent en français, nostalgie et mépris, ne rendent pas la richesse sémantique de ces mots en arabe.
Mes publications
Mon œuvre romanesque est une trilogie qui évoque les grandes lignes du destin d’une femme, Yasmina, et sa quête pour tenter de donner un sens à sa vie. Son parcours montre sa lutte pour sa liberté et son indépendance, pour s’affirmer contre le machisme dans le milieu professionnel et privé et contre le sexisme dans le milieu politique. Le dernier roman fait réfléchir sur le monde de la finance et sur certaines lois ou coutumes imposées sous couvert de religion, telles que l’héritage et le mariage oôrfi ou coutumier.
Force est de reconnaître que je ne peux me contenter de donner au lecteur le simple récit d’une vie. Je développe toujours un arrière-plan social et politique. On se rend compte à chaque fois qu’en parallèle de la désespérance qui habite Yasmina, son intérêt pour ce qui se passe autour d’elle la fait réagir aux événements marquants de la période que couvre le récit.
Conclusion
L’écrivain, qui se veut créateur et passeur, dispose d’un espace de liberté pour créer des textes à son image en puisant de son imaginaire fertile et pour laisser une trace des événements de son temps. Sa seule contrainte majeure doit résider dans le soin à apporter à la qualité et à l’esthétique du texte qu’il met entre les mains du lecteur.
J’ai à cœur de témoigner et de contribuer à faire connaitre notre société et une certaine manière d’être d’une femme qui revendique la liberté de concilier un profond ancrage culturel arabo-musulman et une ouverture sur le monde, facteur d’enrichissement. En entrant dans cette voie, je me suis rendu compte que l’écriture est en vérité une “voix”. Une voix de femme. C’est un pouvoir et une responsabilité.
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Publications de Anissa Bellefqih chez L’Harmattan, Paris : un essai et une trilogie.
– «La lecture du roman policier : Du jeu au “je” », 2010.
– “Yasmina et le talisman, 1999. Traduit en arabe, “Sihrou alkalimat”, par F-Z Zriouel. Prix Grand Atlas des lycéens, 2004, éditions Marsam, Rabat.
– “Je ne verrai pas l’automne flamboyant…”, 2003.
– “Années volées”, 2012. Réédité en 2018 chez Marsam sous le titre “La Salamandre”.