L’inflation me tue…

C’est une coutume, en pareille période, à l’approche du mois de ramadan, les médias font état de réunions au niveau ministériel et de sorties de commissions ad-hoc au niveau des agglomérations pour contrôler les prix des denrées alimentaires et de la qualité des produits achalandés. La caméra communique ainsi la situation des marchés dont l’approvisionnement est assuré et, de temps à autre, quand un fraudeur est attrapé, le journal télévisé en fait un événement qui se termine par relever la vigilance de l’administration.

La population n’est pas dupe de cette ritournelle ramadanesque, car la réalité de l’augmentation des prix la rattrape à chaque moment. Sauf que cette année, la flambée des prix est telle que les esprits s’échauffent et les langues se délient, entre l’espoir d’une action gouvernementale, même tardive, mais qui jugulerait le fléau et la condamnation de ce « laissez aller laissez faire » insupportable.

Dans un quartier populaire de la capitale, le prix des légumes est tel que les démunis se rabattent sur le rebut, auparavant laissé à la disposition de ceux qui le ramassent pour le bétail.

Les femmes, économes du ménage, essayent de retrouver ce qui pourrait servir à leur pitance, en fonction des quelques dirhams dont elles disposent.

Les marchands eux-mêmes, non habitués à cette déflagration des prix présentent leurs factures pour signifier qu’ils ne sont pas à l’origine du mal. Leurs étals ne sont pas fournis comme à l’accoutumée ; comme si par cela ils veulent épargner la population de dépenses jugées inappropriées.

Bien au chaud dans leurs jellabas, sirotant un verre de thé, ils partagent leurs opinions, dans un humour qui leur est propre, sur les causes de ce renchérissement dont ils ne sont pas bénéficiaires et qui nuit à leur commerce. Tout y passe, les conditions météorologiques, le jeu des intermédiaires et la spéculation, les difficultés des agriculteurs, l’export, le coût du transport … « dont l’envol ressemble à celui du pigeon », précise l’un des marchands. « Au fait, il n’y a ni pigeons, ni beauté … » rétorqua un autre en paraphrasant les paroles d’une chanson populaire. Implorons la miséricorde, répliqua un troisième ; car quand la pauvreté, la maladie, le froid et l’inflation s’attaquent à une personne en même temps, on perçoit réellement ce que signifie « inégalité sociale » dans notre beau pays.

Une grande partie de la population vivote et se trouve dans une situation d’autant plus déplorable qu’elle vit dans l’informel à l’instar des circuits commerciaux du marché intérieur. Ce sont ces derniers qui font les prix, à leur guise d’autant que leur contrôle n’est pas certain. Ces circuits, non encadrés par une réglementation adéquate, se trouvent encore plus spéculateurs avec l’usage des téléphones portables et traquent le profit chaque fois que l’occasion se présente. L’absence de mécanismes de régulation fait que le souk est maître de lui-même, variant d’autant plus que les autres facteurs (disponibilité de la denrée, transport, stockage…etc.) connaissent des fluctuations importantes.  

Cet aspect de l’informel dans notre société, qui ne veut pas se corriger, fait que le dénuement mécréant se répand avec la pression de l’inflation, les conséquences de la sécheresse et celles de la pandémie. Il donne au besoin insatisfait une pression assommante que celui (celle) qui en souffre perd sa raison et sa dignité. Qu’il s’agisse de maladie et de l’impuissance à accéder aux soins, cela se transforme en souffrance et en dépérissement de la personne humaine à jamais. Si à cela s’ajoute le froid,alors que l’inflation galopante réduit le peu du pécule dont on peut disposer, la vie devient accablante et l’abandon de soi est tel que la personne la plus faible est écrasée par le poids des exigences du métabolisme basal.

Alors que Ramadan est aux portes,et avant l’expression de la foi; face à l’inflation, venir à l’aide des démunis, des défavorisés, des pauvres, des couches sociales dont le revenu est de plus en plus sollicité par l’augmentation du coût de la vie, répond non seulement à une exigence économique et sociale, à une responsabilité gouvernementale ; mais aussi au respect des dispositions constitutionnelles qui prescrivent que  « Nul ne doit infliger à autrui, sous quelque prétexte que ce soit, des traitements cruels, inhumains, dégradants ou portant atteinte à la dignité humaine. ». Car c’est ce que fait l’inflation… 

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