En musique, on dit qu’il faut avoir l’oreille fine pour apprécier les airs, les mélodies et les notes subtiles de tel ou tel instrument joué en solo ou en orchestre.
Pour moi, les langues parlées ont le même effet et les mêmes secrets. Si les intonations de celles qui nous ont été apprises, nous paraissent aujourd’hui anodines, comme l’arabe, le français, l’anglais ou l’espagnol, je reste toutefois subjugué par les langues que je ne comprends pas et dont je cherche en prêtant l’ouïe auprès de ceux qui les manient, les mystérieuses notes chargées de mélodie, d’histoire et de richesse culturelle.
Tendre l’oreille à l’Italien, au portugais, au japonais ou même au wolof, c’est écouter un chant ondulant et plaisant. Le russe, ou l’allemand révèlent tout autant de tonalités captivantes.
Bizarre, cette attitude d’espionner deux personnes communiquant entre elles, sans se soucier du contenu de leurs échanges, mais juste du plaisir à capter les sons d’une langue que l’on reconnaît, mais que l’on n’arrive pas à déchiffrer. Je suis davantage frustré lorsque la discussion dégage de la joie et provoque des rires engendrés par une histoire certes amusante, mais encore plus drôle car racontée dans l’intelligence et la finesse de la langue originale. Comment ne pas ressentir une profonde amertume pour ne pas avoir appris une telle langue?
Ce sentiment a toujours été présent chez moi quand il s’est agit de la langue berbère dans ses diverses formes, notamment celle de l’Atlas que j’ai longtemps écoutée en côtoyant mes nombreux amis du collège et du lycée, ou en se frayant un chemin au souk hebdomadaire mitoyen à ma ville de résidence, tout comme celle du Souss que j’ai découverte d’abord chez notre cher épicier avec son célèbre « Manzakine », mais surtout auprès d’autres amis constitués par la suite au gré de mes pérégrinations. Ma pensée va aussi à ces chanteurs des restaurants d’Aourir dans la région d’Agadir gratifiant les clients d’une sobre mélodie berbère au violon typique du bled. Si ces humbles ténors ont souvent contribué à donner au tajine un goût du terroir, ils ont également suscité mon envie de décortiquer cette langue avec le même appétit.
Mais à ma grande désillusion, je me sens toujours lésé du fait de ne pas avoir appris cette langue, ou plutôt du fait qu’elle ne nous ait pas été enseignée. J’aurais tant aimé que des cours privés de berbère aient pignon sur rue, ouverts à ceux qui souhaitent se familiariser avec cette langue, non pas, à la limite pour la maîtriser, mais au moins pour s’en servir comme clef ouvrant le sésame d’une autre partie de nous-mêmes. Comment des berbères parlent t’ils la langue arabe et moi pas le berbère ? Une question qui m’a taraudé longtemps et participé à lester ma pauvreté linguistique.
Mais quel plaisir d’écouter deux personnes converser dans cette langue. J’en tire un sentiment de fierté en pensant à la richesse culturelle de notre peuple et à sa diversité que nombreux militants des temps modernes semblent oublier, en mettant dos à dos, si ce n’est les origines des marocains, au moins leur appartenance communautaire, dans un triste remake des terribles dérives de l’histoire humaine.
Alors, pour apprécier davantage cette langue, je me délecte de temps à autre, à écouter des chansons berbères d’autant, à la radio comme sur le web, venant du haut de nos montagnes 2
ou de la plaine du Souss, comme pour soigner mon handicap linguistique en captant les joies et les tristesses de l’amour et de la vie, portées par les cordes vocales de divas et raïs berbères, mais aussi par les sonorités d’instruments de musique qui donnent l’impression de vouloir se hisser au niveau des voix et des tonalités de cette langue ancestrale bien de chez nous.
Ainsi est mon histoire avec cette langue. On ne se parle pas, mais on se connait et on se comprend à notre manière. C’est l’essentiel!
Abdelkabir Rafky