En 1855, quand une expédition militaire menée par Faidherbe se rend au Sénégal pour le coloniser officiellement, les Français sont surpris de rencontrer la résistance d’une femme : Ndaté Yalla Mbodj, reine du royaume Waalo, situé dans le nord-ouest de l’actuel Sénégal. Sachant qu’en France ce n’est que près d’un siècle plus tard que la citoyenneté féminine sera reconnue. Pendant ses 22 années de règne, Ndaté Yalla combattra à la fois les arabo-musulmans esclavagistes dans la rive droite du fleuve Sénégal et les Européens installés depuis le XVIIe siècle à Saint-Louis au Sénégal et cherchant à annexer les différents royaumes pour s’emparer du territoire.
En 1846, après la mort de sa sœur Ndjeumbeut Mbodj qui s’est battue à la fois contre les Européens et les arabo-musulmans, Ndaté Yalla Mbodj monte au pouvoir. Née en 1810, elle est officiellement couronnée reine du Waalo le 1er octobre 1846. En effet, elle était issue de la famille Tiédek, une famille qui s’était enrichie durant son règne en accumulant fortune et armes, via ses échanges avec les comptoirs français installés au Sénégal depuis le XVIIe siècle. Elle est la dernière souveraine du Waalo et est considérée comme une héroïne de la résistance à la colonisation française en Afrique de l’Ouest au XIXe siècle.
Aussitôt qu’elle prend le pouvoir en 1846, elle se heurte aux autorités françaises. Ayant reçu une éducation de dirigeante et de guerrière depuis son bas âge, elle dirige le Royaume d’une main de fer et constitue une véritable menace et une source de problèmes pour les colons français à qui elle résiste de toutes ses forces. Elle est également à la tête d’une immense armée.
Si précédemment, les français ne signaient des accords avec le peuple wolof qu’à travers des Brack (nom donné au roi) dont les noms figuraient sur les accords signés, quand Ndaté Yalla monta sur le trône, la donne changea. La signature d’une femme commença à figurer sur les accords signés. Ndaté Yalla impressionna tellement les Français qu’ils se contentaient de ne passer que par elle et ne donnaient plus d’importance aux Bracks (rois) des autres royaumes wolofs. Dans ses lettres au gouverneur français, elle faisait preuve de fermeté, de vigilance et d’intelligence. En 1851, elle s’adressa à l’administrateur Faidherbe, en ces mots : «Le but de cette lettre est de vous faire connaître que l’Ile de Mboyo m’appartient depuis mon grand-père jusqu’à moi. Aujourd’hui, il n’y a personne qui puisse dire que ce pays lui appartient, il est à moi seule». Durant tout son règne, elle défiera les Français et leur livrera une série de batailles acharnées.
Abritant une population de seize à vingt mille âmes, pour la plupart cultivateurs et commerçants, le Waalo était le grenier à mil de la région. Cette contrée bénéficiait de vastes champs de riz et d’arachides, d’eaux poissonneuses, de riches pâturages et d’imposants troupeaux de bœufs, de moutons, de chèvres et de chevaux. Dans les jardins familiaux entretenus par les femmes, poussaient en abondance des cultures maraîchères, patates douces, courges, melons, tomates. Le fleuve représentait en outre une importante activité économique puisque le Waalo en contrôlait la traversée grâce à son imposante flotte de pirogues affectée au transport des marchandises. Ainsi, les étrangers européens de passage dans cette région devaient fournir un impôt pour emprunter les voies fluviales et commercer avec les villages.
Lorsque les Français se rendirent compte que le fleuve pouvait servir de point d’appui à leur conquête et constituer un axe stratégique de pénétration de l’Ouest africain, la ville de Saint Louis se métamorphosa. D’entrepôt d’esclaves, elle devint une plaque tournante pour le pillage et l’exportation des produits tropicaux (or, épices, ivoires, gomme arabique, …) et l’introduction de fusils, poudre, alcool et pacotilles dans l’intérieur du continent. Les ambitions françaises sur cette zone étaient donc claires : tuer tous ceux qui voulaient entraver leurs activités commerciales et freiner l’expansion coloniale. Ces tentatives d’implantation se heurtèrent à l’hostilité des royaumes locaux qui y pressentaient la perte de leur souveraineté. Avec le temps, des conflits fonciers émergeront entre le peuple waalo et les planteurs français qui commenceront à s’approprier de manière intempestive les terres des habitants.
De plus, face aux avancées progressives de l’armée coloniale dans la région, les commerçants européens de Saint-Louis commençaient à refuser de payer les redevances dues au Waalo dirigé par Ndaté Yalla pour se déplacer sur le fleuve et commercer sur ce territoire. Privé d’un impôt indispensable, le royaume du Waalo s’engagea sur le chemin de la résistance. Dans une lettre très ferme au gouverneur de Saint-Louis, Ndate Yalla exigea l’évacuation des parcelles autour de la ville coloniale et relevant de sa souveraineté. Elle interdit en outre tout commerce européen sur les escales de son royaume.
Ce fut l’occasion que saisit le chef de bataillon de Louis Faidherbe, qui venait d’être nommé gouverneur du Sénégal. La révolte de la reine Ndate Yalla lui offrait un prétexte pour s’emparer du royaume du Waalo, des royaumes voisins du Baol et du Cayor.
Par un matin de février 1855, Faidherbe quitta Saint-Louis, armé de puissantes canonnières et d’une colonne de milliers de soldats, dont un corps de militaires africains enrôlés pour combattre leurs propres frères. Alors que les colonnes de Faidherbe entrèrent au Waalo avec 15 000 hommes, Ndaté Yalla s’adressa ainsi aux principaux dignitaires de son pays :
«Aujourd’hui nous sommes envahis par les conquérants. Notre armée est en déroute. Les tiédos du Walo, si vaillants guerriers soient-ils, sont presque tous tombés sous les balles de l’ennemi. L’envahisseur est plus fort que nous, je le sais, mais devrions-nous abandonner le Walo aux mains des étrangers ?».
Ndaté Yalla et son armée tenteront de résister, mais malgré la vaillante résistance des guerriers du Walo, en dix jours de marche, les troupes coloniales françaises incendieront vingt-cinq villages, pilleront les récoltes, captureront de nombreux troupeaux de moutons, d’ânes et de chevaux et emporteront deux mille bœufs qui étaient destinés aux Blancs de Saint-Louis qui craignaient de manquer de lait et de beurre. Après plusieurs mois de résistance, Ndate Yalla trouva refuge dans le royaume du Cayor où elle tenta d’organiser une seconde résistance avec son fils Sidia Diop, mais en vain. Elle mourra au cours de cet exil en décembre 1856, après vingt-deux ans de règne.
Danielle Engolo