Accusé d’avoir reçu des pots-de-vins lorsqu’il était gouverneur en 2014, Martin Vizcarra, le président péruvien, a été destitué ce lundi par le Parlement pour «incapacité morale permanente». Cette destitution, intervenue quelques mois à peine avant l’élection présidentielle prévue en Avril 2021, a fait suite au vote d’une motion de défiance ayant été soutenue par 109 députés alors que 19 ont voté contre et que 4 se sont abstenus.
Naguère héraut de la lutte anti-corruption au Pérou mais n’étant membre d’aucun parti politique, Martin Vizcarra qui s’était retrouvé à la tête du pays après la démission, en 2018, de Pedro Pablo Kuczynski dont il était le vice-président, ne disposait donc d’aucun soutien à la Chambre ; ce qui a facilité son éviction.
Ainsi, après avoir annoncé, à l’issue de ce vote de défiance, que «la résolution déclarant la vacance de la République a été approuvée», Manuel Merino, le président du Parlement, s’appuyant sur la Constitution, est tout désigné pour prendre officiellement les rênes du gouvernement à l’issue de la prochaine session parlementaire, prévue ce mardi, et le conserver jusqu’au 28 Juillet 2021, date à laquelle devait s’achever le mandat du président déchu.
Rejetant «avec véhémence et catégoriquement» les accusations ayant donné lieu à cette motion mais refusant, toutefois, d’intenter une quelconque «action légale», Martin Vizcarra qui affirme n’avoir «pas reçu le moindre pot-de-vin de quiconque», a tenu à rappeler que le choix de déclarer une vacance de pouvoir «est une mesure extrême» qui ne devrait pas être tentée par le Congrès «tous les mois et demi» avant de déclarer : «Je quitte le palais du gouvernement comme j’y étais entré, il y a deux ans et huit mois : la tête haute».
Pour rappel, une première tentative de destitution par le Parlement péruvien du président Martin Vizcarra auquel il était reproché d’avoir fait signer, par le Ministère de la Culture et en pleine épidémie, un contrat d’embauche de complaisance au bénéfice d’un artiste de faible notoriété avait déjà échouée en septembre dernier lorsque seuls 32 députés l’avaient soutenue.
Mais, en faisant de Manuel Merino le 3ème président qu’aura connu le Pérou en l’espace de 4 années, cette destitution, qui est un signe de la grande fragilité institutionnelle qui caractérise encore cette ancienne colonie espagnole, a été dénoncée tant par la rue que sur les réseaux sociaux notamment en ce moment où les organisations patronales espéraient voir le gouvernement se concentrer davantage sur le redémarrage d’une économie moribonde bien malmenée, depuis mars dernier, par cette pandémie du coronavirus qui a fait près de 35.000. Aussi, pour dénoncer la motion de défiance aux allures de «coup d’Etat» votée par le Parlement, plusieurs groupes de manifestants, hostiles à l’éviction du président, se sont rassemblées, ce lundi, dans les rues de Lima, la capitale, en tapant sur des casseroles et en brandissant des pancartes et des banderoles sur lesquelles on pouvait lire «Merino, tu ne seras jamais président !» ou encore «Congrès putschiste !» avant d’être rapidement dispersés par les quelques 600 policiers déployés pour l’occasion qui ont fait usage de gaz lacrymogène. Les médias parlent d’une trentaine de personnes arrêtées et de plusieurs autres blessées.
Mais même si les manifestations ont eu lieu dans de nombreuses autres villes du pays et que la déchéance du chef de l’Etat ne fait pas l’unanimité et suscite de vives craintes dans les secteur économique et financier du Pérou, ce mardi, Manuel Merino, un ingénieur agronome de centre-droit de 59 ans, a endossé, officiellement, la fonction de président et a « juré devant Dieu, par le pays et par tous les Péruviens » qu’il l’exercera fidèlement.
Or, bien qu’ayant annoncé, la veille, qu’il ne ferait pas d’obstruction à sa destitution, le président déchu, Martin Vizcarra, a remis en cause, ce mardi, l’accession au pouvoir de l’ancien président du Parlement et fait part de son inquiétude en rappelant que, pour être exercée légalement «une autorité a besoin de deux principes et conditions de base» lesquelles sont «la légalité et la légitimité» et qui, dans ce cas, feraient défaut au nouveau président péruvien. L’ancien président du Parlement péruvien et nouvel homme fort du Pérou va-t-il parvenir à se maintenir au pouvoir en dépit de cette «défaillance» ou alors allons-nous assister, encore une fois, à une énième crise institutionnelle dans ce pays andin de près de 32 millions d’habitants couvrant une partie de la forêt amazonienne ? Attendons pour voir…
Nabil El Bousaadi