Pérou: Fujimori poursuivi pour «stérilisations forcées»

Attendons pour voir…

Nabil El Bousaadi

Un procès aussi historique qu’inédit s’est ouvert le 1er mars à Lima, la capitale du Pérou. A la barre, l’ancien président Alberto Fujimori, 82 ans, et trois de ses ministres à qui la justice péruvienne reproche une « atteinte à la vie et à la santé des personnes », des « blessures graves » et des « violations des droits humains ». En effet, à la fin des années 1990, Alberto Fujimori, qui avait présidé aux destinées du Pérou de 1990 à 2000, avait ordonné à son gouvernement, de procéder à la stérilisation forcée des femmes indigènes qui vivaient, dans leur grande majorité, dans la précarité en milieu rural.

Mais cet ordre incongru faisant fi de la vie, de la santé et de la liberté des citoyens n’a pas concerné uniquement la gente féminine touchée par la pauvreté car outre les 272.028 femmes qui, contre leur gré, ont subi une ligature des trompes, 22.000 péruviens de sexe masculin ont, également, été stérilisés sans leur consentement.

Par cette politique de « planification familiale », le régime autoritaire de Fujimori, soucieux de contrôler les naissances afin de contrecarrer « l’épuisement des ressources » et le « ralentissement économique » né du violent ajustement néolibéral qu’il avait mis en place dès sa prise de fonction, entendait résoudre ce que le président et les siens considéraient comme étant le «problème indien» en s’appuyant sur le fait que chez les indigènes le taux de natalité était supérieur à celui des péruviens d’origine européenne.

Ainsi, ce 1er mars l’accusation a présenté des preuves accablantes révélant l’existence d’une politique d’Etat criminelle, d’une «guerre sociale et démographique» contre les populations «en surnombre » dont les premières victimes furent, bien entendu, les femmes d’ascendance quechua. Leurs récits font froid dans le dos et c’est, en effet, le moins que l’on puisse dire quand on les entend conter cette « violence sexuelle» qu’elles subirent à cause du cynisme d’une politique empreinte du racisme le plus sordide.

Cette «stérilisation forcée» constitue, aux yeux de l’anthropologue Alejandra Ballon, «le crime de guerre le plus grave que l’Etat péruvien ait commis contre les femmes autochtones dans le contexte du conflit armé interne» des années 1990 car, pour arriver à leurs fins, les autorités péruviennes usèrent des procédés les plus sordides.

Voici, ci-après, ce qu’avait vécu Esperanza Huayama Aguirre, originaire du nord du Pérou, quand après avoir été enlevée, par les forces de l’ordre, elle s’était retrouvée enfermée dans une clinique avec une centaine d’autres femmes de sa communauté : « Ils ne voulaient pas nous laisser sortir, nous étions prisonnières. Ils m’ont emmenée. J’ai été anesthésiée mais ils ont commencé l’opération avant que je ne sois endormie ; çà faisait mal. Je les ai entendus dire : la dame est enceinte. Je ne voulais pas que mon enfant meure. Je leur ai dit que je ne voulais pas que mon enfant me soit enlevé. Je préférais encore mourir avec lui ». Face à ce qui était devenue affaire d’Etat, l’intéressée n’avait plus rien à dire et l’opération de ligature des trompes fut menée à son terme en dépit de son refus.

Or, après avoir constaté l’impunité qui entourait ces crimes étant donné que les multiples plaintes qui avaient été déposées par les intéressées étaient restées sans suite, la Commission Interaméricaine des droits de l’Homme, qui s’était saisi du dossier en 2003, avait poussé l’Etat péruvien à «reconnaître sa responsabilité» et ouvert la voie à «une enquête exhaustive».

Mais, si la nouvelle instruction ouverte en 2011 n’avait visé que des fonctionnaires subalternes et des médecins car les juges avaient invoqué un « manque de preuves » contre le président Alberto Fujimori, le Parquet Général a, cette fois-ci, engagé une procédure judiciaire contre l’ancien chef de l’Etat dès lors qu’il est visé par plus de 2.000 plaintes pour «stérilisation forcée».

De quelle manière les victimes vont-elles être indemnisées et qu’encourt le vieux chef de l’Etat alors qu’à son âge, il n’est plus très loin de la porte de sortie et que son emprisonnement reviendrait à opter pour le fait de lui faire quitter sa cellule les pieds devant ? Une compensation morale des victimes serait, évidemment, la bienvenue mais attendons pour voir…

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