Prenez de la peine, comment et autant que l’on voudra
Par Mustapha Labraimi
Dans le contexte de notre société où le chômage est structurel et où la population inactive s’accroit ; le patronat, dans son action assidue pour la réduction de l’intervention de l’Etat dans la vie économique et sociale et dans le cadre du néolibéralisme sauvage pratiqué, monte au filet afin d’avoir les coudées franches pour licencier à sa guise au nom de la flexibilité nécessaire, semble-t-il, à sa compétitivité qui reste à évaluer à sa juste mesure.
La libéralisation et la grande souplesse du fonctionnement du marché du travail introduites par la loi 65-99 relative au code du travail ne suffisent plus à la CGEM alors que ses dispositions répondent entièrement à ses vœux et à ses arguments publiés dans un fascicule intitulé « La flexibilité responsable au service de la compétitivité et de l’emploi ».
A remarquer que l’adjectif « responsable » sert à vouloir faire passer « la flexibilité » tout court, n’excluant pas un côté « irresponsable » comme ce fût le cas de l’entente illégale de certains patrons sur les prix des hydrocarbures ! Une amende ridicule servira à dissimuler l’irresponsabilité.
Ne voulant pas assurer la sécurité de l’emploi, la confédération patronale se débarrasse dans sa proposition de « flexibilité responsable » du chapitre II de la loi 65-99 qui est consacré à « la formation du contrat de travail » et où il est stipulé que le « contrat de travail est conclu pour une durée indéterminée, pour une durée déterminée ou pour accomplir un travail déterminé. ». Elle envisage un contrat de travail unique « sans date de fin pour tous les salariés. Un contrat qui, naturellement, doit être accompagné par des licenciements simplifiés. ». Ce « naturellement » fixe l’objectif à la simplification du licenciement, de ce fait, désigné par « rupture conventionnelle ».
Et que le travail temporaire se généralise ! Le marché du travail transformé en « mouquaf ». Quelle belle perspective pour notre jeunesse et pour la population active qui sue et plie l’échine pour « gagner son pain ».
Certes, la liberté d’embaucher et de licencier des salariés intérimaires en fonction des besoins immédiats du patronat et des conditions du marché pourrait permettre une adaptation aux changements dans un climat d’affaires encore à assainir et où l’incertitude domine ; mais quelles en seraient les conséquences sur la population active et sur la société ? Celles de condamner encore plus les forces du travail à la vulnérabilité, à la précarité et à la pauvreté. Cela au moment même où les travailleurs en particulier, et la population défavorisée en général, ont besoin de filets de protection sociale pour ne pas succomber au stress, à l’instabilité sociale et à l’ambivalence de leur devenir. La société dans son ensemble, déjà ébranlée par les inégalités sociales qui se creusent et le pouvoir d’achat qui s’érode, serait mise à rude épreuve par la disparition d’un travail permanent. La population inactive aurait tendance par ce fait à augmenter et toutes les chaines de solidarité faibliront par manque de revenus assurés. La cohésion sociale s’en retentira.
La flexibilité est déjà pratiquée dans le marché du travail dans des pays où la mise en œuvre de la protection sociale est établie et où les droits des travailleurs sont consolidés (à part aux USA, où la vulnérabilité des travailleurs accompagne la flexibilité) dans un contexte économique, politique et culturel résilient et dynamique pour créer de la croissance. Le royaume du Maroc aspire à l’émergence et affronte des défis socioéconomiques importants pour « Libérer les énergies et restaurer la confiance pour accélérer la marche vers le progrès et la prospérité pour tous » ; on n’en est pas encore là pour accentuer la libéralisation du marché du travail.
On pourra relever que les propositions du « Nouveau Modèle de développement » abordent la question en précisant la nécessaire anticipation « sur les modalités permettant de conjuguer la flexibilité des relations sociales de travail, l’évolution des compétences avec la sécurité des droits sociaux et l’amélioration des revenus des travailleurs. ». Sauf que le NMD englobe d’autres aspects socioéconomiques, politiques et culturels où la réforme doit être conduite d’une manière concomitante pour que la société se transforme dans « un cadre macroéconomique au service du développement ». On ne peut mettre la charrue devant les bœufs, au risque de tout faire à l’envers ! Et comme disait l’autre « rien ne sert de courir, il faut partir à point. ».