Ramadan, l’hygiène du corps et de l’esprit

« Si tu n’espères pas l’inespéré, tu ne le trouveras pas »

Héraclite

Le mois de Ramadan ouvre une séquence toujours chargée d’insolite dans la configuration du quotidien. Certes, c’est un rituel porté par une dimension sacrée immuable qui en fait un moment de grande ferveur religieuse ; mais la religion n’est jamais un acte « gratuit », coupé de son environnement social et culturel. Elle prolonge  toujours d’une manière ou d’une autre ce qui nourrit l’horizon d’attente des croyants. Ce mois est, non seulement un geste inscrit dans l’ordre sacré où les signes de religiosité bénéficient d’une visibilité exceptionnelle,  mais c’est une visibilité socialisée, sommes-nous tentés de dire.

Dans la tradition marocaine, on peut même parler d’une certaine spécificité qui renvoie à la fusion du sacré et du profane ; fusion illustrée par les délices de la table du ftour et par l’expression galvaudée en ce mois, « Ramadan karim », Ramadan mois généreux ; la générosité étant ici comprise dans son sens large, celui du don qui inclut le recevoir. Autant la pratique religieuse envahit l’espace publique, autant elle  est portée par une soif de vie, par un désir de voir, de lire et de connaître. La rue ramadanienne est emblématique de cette métamorphose du moi social. Elle est d’abord duale ; celle du jour et celle de la nuit. Toute la journée semble être tendue vers ce moment crucial de la rupture du jeûne. Tendu est souvent à prendre au double sens du mot y compris dans sa dimension psychologique. Une tension qui se convertit comme dans une histoire de fée en une convivialité généralisée qui marque les relations sociales. La nuit s’offre alors à un commerce des sens.

Plusieurs indicateurs concordent pour dire aussi que c’est le mois où la lecture  retrouve ses droits. La consommation des signes culturels est en effet importante pendant cette période : la télévision notamment devient un objet de prédilection. La presse écrite adopte des formules appropriées pour répondre à une demande accrue en matière de diversité rédactionnelle. On retrouve aussi des expositions de livres, des conférences, des concerts… Chaque mois de Ramadan offre la possibilité de cette pause spirituelle propice au débat, à l’Ijtihad. Des publications de fond sont éditées, des théories sont débattues, des monographies sont mises à jour. Les réseaux sociaux prennent une autre coloration au niveau iconique et scriptural.

On peut dire alors, avec toutes les précautions de rigueur, que la pensée est retrouvée. On ose espérer que ces retrouvailles donneront l’occasion à une introspection, à un échange utile et fructueux sur l’état de la pensée aujourd’hui dans la sphère culturelle qui se nourrit de la tradition islamique. Des intellectuels ont pris le devant pour appeler, entre autres, à une attitude intellectuelle critique pour libérer la pensée des pesanteurs de la mythologie historique. Il est temps de penser la pensée pour libérer nos sociétés de  » l’arrogance de l’ignorance institutionnalisée  » pour citer feu Mohamed  Arkoun qui rappelle avec pertinence  qu’un nombre impressionnant d’acteurs sans formation scientifique, ni culture religieuse, s’autorisent à intervenir avec une arrogance proportionnelle à leur ignorance, pour satisfaire à l’obligation qui incombe à chaque musulman de  » commander le bien et corriger le mal « .

L’idée formulée dans l’hypothèse d’une pensée repensée est le rétablissement de l’esprit critique dans notre paysage intellectuel ; une façon d’être conforme avec l’esprit du mois sacré visant à la protection de l’hygiène spirituelle de l’âme.

Mohammed Bakrim

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