Solidarité et partage, comme fondements des politiques publiques…

Entretien avec Abdelwahed Souhail

«Si par malheur le confinement dure plus longtemps,  il y aura des préoccupations bien réelles»

Propos recueillis par Fairouz El Mouden

Dans cet entretien accordé à Al Bayane, Abdelwahed Souhail, économiste et membre du BP du PPS, nous livre son analyse de la situation actuelle et des mesures prises par le gouvernement pour gérer la crise sanitaire liée au nouveau coronavirus. Ce sont des mesures,  dit-il, qui ont leur importance pour permettre à l’Etat d’agir de manière proactive et efficace notamment la création du  fonds de solidarité. Néanmoins, dit-il, la fragilité de notre économie nous incite à exprimer des inquiétudes  quant aux perspectives de relance. Souhail rappelle, qu’il y a, certes, un comité de veille qui gère la situation. Mais il reste convaincu que dans l’avenir on aura besoin de développer une stratégie sanitaire, économique, financière et sociale efficace et efficiente. Il craint que si par malheur le confinement dure plus longtemps,  il y aura des préoccupations bien réelles avec des conséquences économiques et sociales sans oublier les conséquences sur la scolarité… Son souhait est de voir notre pays sortir de cette crise pour qu’on puisse appréhender  l’avenir sous une autre vision, avec un Etat plus social et une démocratie économique plus affirmée et réelle et généralisée. Souhail estime, enfin, qu’il faut mettre l’homme au coeur de toutes les préoccupations et de toutes les politiques. La solidarité et le partage doivent devenir le fondement des politiques publiques…Pour cela, il est temps de sortir du néolibéralisme et du système du chacun pour soi conclut-il.  Les propos.

AL BAYANE : Le gouvernement a engagé une série de mesures économiques et financières pour gérer la crise sanitaire et éviter l’écroulement de l’économie nationale. Quelle évaluation en faites-vous?

Abdelawahed Souhail : Evidemment, le gouvernement a pris un certain nombre de mesures suite au déclenchement de la pandémie, notamment pour essayer de parer aux plus pressés concernant les décisions qui ont eu comme  conséquence d’arrêter les activités économiques.

 C’est une première au Maroc, il faut le souligner. Ces mesures sont importantes, notamment la mobilisation d’un fonds de solidarité qui peut permettre un certain nombre d’interventions mais également de payer une partie des salaires  pour les gens qui sont en chômage partiel où en arrêt de travail. Il peut également payer dans le cadre d’une solidarité sociale des indemnités pour les familles qui sont bénéficiaires du  Ramed.  Ce sont des mesures qui ont  leur importance qui suppléaient l’arrêt de l’activité qui permettait aux gens de gagner leur vie.  J’estime également que le prêt du Fonds monétaire international (FMI), l’éventuel crédit que devrait bientôt nous accorder la Banque mondiale, ainsi que l’aide prévue par la banque européenne en plus de la solidarité nationale à travers le fonds de solidarité social décidé par le Roi, sont des mesures extrêmement importantes.

Toutefois, il est clair que l’étape de préparation du gouvernement de ces mesures (comme cela a été le cas dans tous les pays du monde) et avec  notre vulnérabilité,  révèle un certain nombre de choses qui se font  dans la hâte et dans la rapidité.

Pour le moment on a essayé de parer aux plus pressés.  Mais,  le problème qui se pose et qui se posera est de savoir comment faire si le confinement devait se prolonger ?  Personnellement, je ne vois pas quelles sont les perspectives et ce que le gouvernement pourrait faire s’il arrivait s’il cela ?  A un plan ou non. Bien évidement il y’a un comité de veille mais on n’a pas besoin d’une veille mais de développer une stratégie aussi bien sanitaire, qu’économique, financière et sociale. Il manque un certain nombre d’éléments pour pouvoir le faire. J’espère que le confinement de la population ne durera pas très longtemps.  Plus il durera, plus il mettra le pays devant des difficultés.

Dans quelle mesure notre économie  résiste ou peut résister aux chocs externes et internes?

Notre économie n’a pas résisté. Les notations des agences ont été faites certainement  avant le déclenchement de la pandémie. Il faut se promener dans la rue pour voir tout ce qui ne marche pas, tout ce qui est fermé et voir comment la vie des gens a totalement changé…où sont les touristes, où est l’activité commerciale…bref le pays est à l’arrêt.  Evidement, on a payé les salaires  de ce mois mais il y a certaines entreprises qui ne pourraient pas le faire le mois prochain. Et si cela devait durer plus longtemps notre capacité de résistance risque de s’effondrer. Pour le moment, on n’est qu’au début et je prie et tout le monde prie avec moi pour que ça se termine le plus vite possible et qu’on reprenne, même la reprise ne sera pas facile. Lorsqu’on arrête la machine économique et qu’on demande aux gens de rester chez eux, la reprise ne se fait pas du jour au lendemain.  Ca reprendra progressivement, sauf qu’on ne sais  quand ? Le Ramadan est pour bientôt. C’est un mois qui connait une forte demande, des dépenses et une vie sociale assez intense et si par malheur nous ne vainquons pas cette pandémie, il y’aura des conséquences économiques et sociales graves, sans oublier les conséquences sur la scolarité des enfants et sur les perspectives de l’été qui n’est pas loin. Il y a des préoccupation qui sont bien réelles.

Peut-on parler aujourd’hui de la défaillance de la politique économique et financière dans notre  pays?

Il est vrai que nous avons des faiblesses. La meilleure preuve est la décision du Roi Mohammed VI de nommer une commission pour un nouveau modèle de développement économique et social. Ca veut dire que quelque chose ne tournait pas convenablement. Evidement, si vous êtes fragiles  et qu’il vous arrive une attaque ou une maladie, votre capacité de résistance est relativement faible et vous payer le prix de cette fragilité.

Si nous étions dans un autre état de développement et à un autre niveau de préparation probablement que nous aurions peut-être résisté mieux et que nous aurions eu beaucoup de moyens. Aujourd’hui, une des problématiques qui  se pose est de savoir si le confinement suffira pour que la pandémie ne s’étende pas   ? On n’a pas les moyens pour faire les tests, pour isoler les malades …Pour reprendre l’activité normale,  on ne peut pas garder les gens confinés indéfiniment, mais seulement ceux qui ont besoin d’être protéger et gardés chez eux ou  les malades dans les hôpitaux). C’est dire qu’il  y a des d’autres choix que ceux qui ont été fait par le Maroc ou par d’autres pays.

Aujourd’hui, je ne vois personne qui pourrait me dire quelles sont les hypothèses de travail du gouvernement ?  Comment entrevoit-il les choses ? Quel est le plan A, le plan B ou le plan C de l’évolution de la situation de la pandémie ? Comment la vaincre pour que le pays se remette au travail et que  les gens puissent reprendre la vie? La situation est dure et nous avons besoin de beaucoup de solidarité et de lucidité. Je pense aussi qu’il y a un énorme problème de communication. Il faut parler aux Marocains et leurs expliquer ce qui se passe. Aujourd’hui le secteur bancaire et financier joue un rôle de premier plan dans la gestion des effets de la crise sanitaire. Quels sont les risques qu’il encoure?

Je souhaite que le secteur bancaire restera solide et qu’il puisse jouer son rôle. Effectivement, le secteur bancaire n’est pas étranger à l’économie. Si demain l’économie ne reprenne pas et le chômage augmente, et si la demande se contracte ou encore des sociétés déposent le bilan, le secteur bancaire continuera certainement à jouer son rôle mais il sera dépourvu de moyens. Le secteur s’est développé, il a fait un certain nombre de gains, il a des moyens mais  une bonne partie de l’argent des banques se trouvent chez les entreprises  et une bonne partie de l’argent des entreprises et des particuliers se trouveraient dans les banques.

J’espère que ce secteur restera solide. L’un des points forts de notre pays est d’avoir un système financier  qui peut tenir le coup. Il faut le préserver. Il faut absolument faire en sorte qu’il puisse continuer à jouer son rôle. Le secteur joue aujourd’hui pleinement son rôle, les moyens ont été mis en place et la Banque centrale  est là pour assurer les liquidités. Heureusement qu’il  n’y a pas de crise éternelle. Il ’y a eu la crise de 1929, celle de 2008…Il faut garder espoir.

Le Maroc a procédé à la ligne de précaution  et de liquidité auprès du FMI et compte s’endetter davantage sur le marché international, quel est l’avantage pour le Maroc et quels sont les risques aussi?

Le Maroc n’est pas seul, il faut se mettre à l’évidence. Il y a des voies qui se lèvent un peu partout notamment au sein de l’Organisation des nations Unies (ONU). Tout le monde est englouti dans cette pandémie. Donc, il y a des pays qui veulent régler le problème à leur niveau. A ce sujet, même au niveau de l’Union européenne, il y a une très grande discussion aujourd’hui entre les pays qui demandent à être aidés. Cas de l’Italie, de l’Espagne et dans une moindre mesure la France et d’autres pays qui demandent à ce que chacun se débrouille tout seul.

Le Maroc et les pays de l’Afrique en général et un certain nombre de pays pauvres, s’ils ne sont pas intégrés dans un plan international qui peut les  aider à s’en sortir de la situation actuelle, si l’économie nationale ne reprend pas et s’il n’y a pas des aides internationales…Le Maroc n’est pas un pays extrêmement riche. D’ailleurs,  même les pays pétroliers  ont de sérieux problèmes à cause de la chute des cours du pétrole. Aujourd’hui la France aura le taux de croissance le plus catastrophique  depuis 1945.  L’évolution de la situation nous donne une idée de ce qui nous attend. L’ONU a sorti un rapport qui annonce qu’il aura 500 millions de nouveaux pauvres suite à la pandémie et demande qu’il  y ait un plan d’aide internationale. Je souhaite que notre  pays   puisse s’en sortir et que cette malheureuse pandémie ne séjourne pas longtemps et que nous puissions retrouver le travail. Que nous puissions regarder l’avenir avec un nouveau regard, avec un Etat plus social, avec plus de justice social  et plus d’intérêt pour les marocains  et pour leur avenir, notamment à travers un système d’éducation et de santé et  une démocratie économique et social plus affirmée et plus grande.

Le risque aujourd’hui est de voir le chômage exploser pour toucher une grande partie de population. Comment à votre avis,  le gouvernement peut-il intervenir pour contenir les effets de cette problématique?

C’est sûr que le chômage augmentera. Honnêtement je ne sais pas ce que pense le gouvernement. Les mesures qui ont été prises ce premier mois de la crise ont permis aux gens au chômage partiel et aux ramedistes de pouvoir bénéficier d’aides, mais le financement des indemnités pour  perte d’emploi  est pour le moment réservé pour les gens affiliés à la CNSS dans certaines mesures. C’est une loi que j’ai eu l’honneur de  présenter. Elle donne relativement peu de moyens et elle n’est pas étendue. Beaucoup de salariés ne sont pas malheureusement sous le parapluie de la CNSS. Il y a des délais de cotisation et il y a aussi des gens qui sont dans l’informel qui n’ont pas d’autres sources de revenus. Cela va des gardiens de voitures jusqu’au ouvriers qui ne sont pas déclarés à la CNSS.

Le gouvernement n’a pas d’autres solutions que de faire appel à la solidarité nationale. Mais comment faire?  Faut-il le faire par l’impôt dans une économie qui va se rétracter ? Ce sont des difficultés très sérieuses qui sont devant nous. D’un autre côté, on ne peut pas  laisser des gens sur le bord de la route. Si la pandémie se prolonge nous allons vers des problèmes extrêmement sérieux qui ne seront certainement résolus que si l’économie reprenne.

Quels enseignements tirés de cette  situation?

J’espère que nous n’aurons pas de pandémie avant un siècle.  Mais en tout état de cause, dans le monde ou nous vivons, on s’est rendu compte que dans les pays où il y avait une gouvernance extrêmement rapide et assez perspicace où il n’y avait pas le souci du marché et du coût de la santé, ils sont arrivés à s’en sortir. Mais dans les autres pays où la santé est considérée comme une marchandise dont l’Etat ne devrait pas s’occuper, il y a  eu beaucoup de  problèmes. La conséquence provient du fait qu’il faille mettre l’Homme au milieu de toutes les préoccupations et de toutes les politiques. Aujourd’hui la solidarité et le partage doivent être le fondement de toutes les politiques publiques. Il faut sortir du néolibéralisme et du système du chacun pour soi.

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