«SSI ALI CHERCHE UN JOURNALISTE».

Arrivé le 8 octobre 1977 au journal, je ne l’ai quitté que le 28 août 1982.

Juste avant la fin de la période de mon service civil en 1977, le secrétaire de la cellule dont j’étais membre à Hassane à Rabat m’a dit que Ssi Ali cherche un journaliste, moi qui n’avais aucune idée sur le travail journalistique et encore moins sur la confection d’un journal.

Un mois ou deux avant la fin de mon service civil, le secrétaire de la cellule dont j’étais membre nous avait donc confirmé en pleine réunion  que «Ssi Ali cherche un journaliste».

Après des études de droit à Casablanca, au cours desquelles j’étais très impressionné et emporté par le mouvement de contestation, conduit par l’Union des étudiants du Maroc contre les injustices et les interventions musclées contre les étudiants dans les années 70, j’ai accompli mon service civil, période au cours de laquelle je fréquentais de nombreux meetings organisés ici et là à Rabat et Salé par plusieurs partis politiques.

Et c’est là où je suis tombé un jour sur un meeting d’AliYata dont j’entendais parler. C’était dans une salle de cinéma à Rabat.

Sans appartenance partisane, je côtoyais des jeunes du PPS et d’autres, chez qui le débat portait essentiellement sur le devenir de l’UNEM, de l’Université marocaine, de l’enseignement et de la situation du pays en général.

On parlait aussi de tous ces grands de l’histoire que sont Lénine, Marx, Engels, Bakounine, Sartre, Simone de Beauvoir, Rosa Luxembourg et j’en passe. C’était les discussions qui m’enthousiasmaient le plus. Après donc un bref entretien, Ssi Ali me recruta le 8 octobre 1977.

J’étais le seul journaliste permanent au journal. Je m’occupais de tout : distribution de la copie aux linotypistes, correction des articles, pagination, correction des morasses, et envoi des pages pour en faire des plaques avant le montage dans la rotative.

Les journées commençaient tôt pour moi (vers 06H00 ou 07H00) et se terminaient tard. Personne ne m’indiquait les horaires de travail.

Après une première période difficile, j’ai gagné en confiance et j’ai commencé à me débrouiller tout seul avec les linotypistes qui avaient des comptes à rendre à Ssi Ali pour se faire payer pour le nombre de lignes tapées. C’est pourquoi, ils se bousculaient pour avoir de la copie, c’est-à-dire des articles à taper, problème que je devais affronter tous les jours de 7H00 jusqu’au bouclage avec le remplissage de toutes les pages.

Je devais aussi adapter mon travail avec tous ceux qui apportaient leurs contributions et articles au journal. Des militants, en particulier deux, Mohamed Bennis, Khalid Naciri et ensuite Simon Lévy venaient de temps en temps nous donner un coup de main.

Tout le monde apportait des articles et le journal était à son apogée avec  des articles d’Aziz Belal, Simon Lévy, Abdellah Layachi, Ismail Alaoui, Mustapha Labraimi, Mustapha Alaoui, et de nombreux autres sans oublier les articles et couvertures du « Correspondant », signature que portaient tous les articles en provenance de toutes les régions du pays.

La fameuse rubrique « Mauvaises langues » était la plus appréciée par les lecteurs pour sa concentration, ses critiques grinçantes et piquantes et son humour. Elle était facile à lire en quelques secondes et constituait une particularité du journal. Elle était la plus célèbre de tous les articles du journal.

Après l’élection de Ssi Ali au parlement, les choses sont devenues très difficiles pour moi. C’était pour lui l’occasion d’ouvrir mille chantiers à Bousmara à Casablanca, de recevoir dans son bureau tous les jours des habitants de sa circonscription, de répondre aux questions et aux différentes  correspondances qu’il recevait non seulement des habitants de Casablanca, mais également de nombreux citoyens des quatre coins du pays.

Il devait aussi préparer ses interventions-fleuve au parlement, faire des recherches sans oublier la gestion du parti et du secrétariat général dont il avait le charge.

A cela, s’ajoutent ses éditoriaux presque quotidiens que toute la classe politique marocaine attendait. De l’aveu de plusieurs responsables politiques, les analyses de Ssi ALI éclairaient les gens et les aidaient pour se faire une idée juste sur les différents évènements et situations dans le pays et ailleurs.

La lecture et la correction de ces éditoriaux étaient pour moi un exercice que j’accomplissais avec beaucoup de concentration et de sérieux. Pour certains éditoriaux, qui m’enthousiasmaient, je m’amusais à les apprendre par cœur et à les mémoriser.

Je devais me débrouiller tout seul, car Ssi Ali, qui avait l’habitude de passer vers 06H00 ou 07H00 glisser la copie sous la petite porte, ou la remettre au gardien de l’imprimerie, n’a plus le temps de le faire.

Un jour, il ne l’a pas fait: De retour le soir tard dans l’imprimerie, il était surpris de trouver la rotative en train de tourner. Et sans me poser la question, il est parti jeter un coup d’œil sur le numéro.

Je ne me rappelle plus ce qu’il m’avait dit, mais il avait l’air satisfait. Il racontait toujours aux autres journalistes, qu’à nous deux, lui et moi, on faisait sortir le journal. Une façon pour lui de leur demander de mieux faire.

Les conditions de travail étaient pénibles dans l’imprimerie où les machines linotypes de fabrication russe ou allemande crachaient tout le temps du plomb. Comme je veillais à imprimer le journal à l’heure, pour que le journal soit envoyé à temps par la CTM, je devais faire vite.

Je devais rester auprès des linotypistes et une fois une partie d’un article tapé, je fais sortir une preuve pour la corriger. Je devais travailler aussi sur le marbre avec les monteurs de pages pour qu’ils mettent les articles en plomb à la place choisie. Il fallait aussi faire beaucoup de gymnastique pour que les suites dans les pages intérieures ne débordent pas ou ne soient pas insuffisantes.

Avec les corrections des preuves et l’encre fraiche, je terminais la journée le visage, les mains et les habits que je portais pleins de tâches noires. Je ressemblais en fin de journée à un ouvrier qui sortait d’une mine de charbon.

Après le petit déjeuner, il m’arrivait souvent d’oublier le reste et ne prendre un autre repas que très tard. Quelques fois vers minuit, complètement exténué. Durant toute la journée, je me contentais de tasses de café noir.

Le jour de la paie, – nous étions payés à la quinzaine – , on faisait la fête et on mangeait à notre guise, souvent la nuit.

Après l’arrivée des jumeaux, Fahd et feu Nadir Yata, la situation a changé et il était possible pour moi de rédiger des articles. J’ai essayé de tout, bien que je préférais les luttes ouvrières et les communiqués de l’UMT. J’ai signé aussi «oncle hisham», plusieurs articles de sport et d’autres.

NOSTALGIE

Depuis le 1er février 2013, c’est le retour au bercail à Al Bayane avec beaucoup de nostalgie pour des retrouvailles qui continuent de susciter en moi chaque jour de nouvelles sensations d’espoir et d’optimisme. Le traitement et la traduction de tout ce qui est partisan me jettent en plein cœur de toutes les batailles que mène actuellement le PPS et les injustices commises en son encontre. Ce qui me permet aussi de gouter à ma manière les bonnes nouvelles sur le parti et les réalisations hautement positives de ses responsables et militants de tout rang au profit du parti, du pays et de son devenir. C’est dire, que je revis donc depuis cinq ans la nouvelle expérience des journaux Al Bayane et Bayane Al Yaoum, conduite par Mahtat Rakas, président du directoire de la société Bayane SA et directeur de publication des deux journaux, à qui je dois rendre hommage au même titre qu’à toute l’équipe rédactionnelle d’Al Bayane et à son rédacteur en chef, Najib Amrani. Ce faisant, je remonte encore plus loin le temps pour retrouver des sensations perdues de l’enfant que j’étais dans les années 50 et que son père voulait  garder près de lui, loin de l’école des Français (Francis), pour l’aider dans ses tâches de paysan très pauvre.
J’ai abandonné les vaches pour aller m’inscrire à l’école :
Mais comment donc, moi fils de paysan très pauvre, j’ai fait des études.
Incroyable ou pas, un jour d’octobre, un enfant du douar appelé Allal Lakraâ, plus âgé que moi, m’a appelé, alors que je gardais nos vaches –celles de mon père- en train de paitre, pour me dire qu’il se rendait à l’école et que c’était le jour de la rentrée scolaire. Sans trop penser, je lui ai répondu de manière spontanée que je vais l’accompagner pour aller m’inscrire moi aussi à l’école. J’ai abandonné donc les deux vaches sur un champ et je suis allé tout seul avec mon ami à l’école, où j’ai retrouvé mon frère ainé Mohamed à qui j’ai demandé de m’aider pour m’inscrire à l’école. Nous sommes donc partis, mon frère et moi chez le directeur de l’école qui n’a pas voulu m’inscrire. J’ai cherché un autre enfant du douar, plus âgé et plus costaud que mon frère, qui a accepté de m’accompagner chez le directeur, à qui j’avais inventé une histoire justifiant l’absence de mon père. Il m’avait cru et m’avait inscrit à l’école. De retour chez moi, ma mère m’a demandé des nouvelles des vaches que je n’ai retrouvées que très tard dans la nuit.
Mais c’était sans compter avec le refus et la réaction virulente de mon père, qui, aidé dans son «raisonnement » par ma tante et ma grand-mère, voulait me garder à tout prix sous sa main pour travailler pour lui. Non, répondis-je. Et depuis, je n’ai jamais quitté les bancs de l’école et les réflexes qu’elle m’a inculqués. Je dois avouer que je ne l’ai jamais regretté.

M’Barek TAFSI

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