Abderrahim Souiri est justement d’avoir démontré grâce à leurs façons de chanter que la musique anda¬louse, telle la musique classique, transcende les époques et les générations et qu’il faut bien en saisir le sens textuel, musical et vocal. Et c’est ce dernier volet qui a été développé par Bajeddoub et Souiri avec, en plus, une plus grande recherche dans la poésie, notamment les Mouachahates.
La musique andalouse au Maroc a pourtant connu, à travers les âges, une nette évolution.
Aussi dans les pays où cette musique a gardé une présence plus ou moins forte comme l’Algérie, la Tunisie et la Lybie, les tempos et les mélodies diffè¬rent-ils sensiblement de ceux connus au Maroc qui a su préserver et améliorer ce patrimoine culturel plu¬sieurs fois séculaire. C’est ce qui a permis à notre pays de donner naissance à de grands maîtres à l’image de Haj Abdelkrim Raïss et de Tamsamani, ceux-là qui ont saisi le sens noble de cette musique et ont veillé à ce qu’elle soit transmise et surtout admirée par tous les âges. Et c’est justement Bajeddoub et Souiri qui ont pris le relais et ajouté une approche nouvelle en intégrant des textes et des mélodies orientaux, ayant eux-mêmes été influencés par le folklore et les Mouachahates de Syrie et d’Irak notamment. En parlant des vétérans et ténors on ne peut occulter le nom de Abdessadek Chekkara dont les recherches et le travail accomplis à ce niveau là ne sont plus à démontrer, tant le rayonnement de son œuvre a touché de lointaines contrées.
Soucieux de l’originalité de la musique andalouse et de la sauvegarde de ses racines, Chekkara avait quelque peu critiqué la démarche de certains jeunes chanteurs qui cherchent à étendre le champ du chant à d’autres mélodies qui, a priori, n’ont aucun lien avec les origines de cette musique.
Il a tout à fait raison dans le sens où il faut éviter les dérapages sous peine de dénaturer un patrimoi¬ne cher aux Marocains et aux Maghrébins en géné-ral.
Mais la paire Bajeddoub-Abderrahim Souiri, en intégrant des airs nouveaux et en modernisant, si l’on peut dire, la façon d’interpréter, ont réussi à redorer le blason de la musique andalouse.
Lumière sur un art séculaire
La musique andalouse du Maroc perpétue un large répertoire de chants et de musique instrumentale Al-âla, jalousement conservé grâce à une forte tradition orale.
De nos jours, ce répertoire se compose de onze nûba : suite vocales et instrumentales basées chacune sur un mode principal spécifique et un nombre variable de mode secondaires.
Chaque nûba se divise en cinq mouvements principaux ou mizan, d’inégales durées et correspondant respectivement aux cinq rythmes de base. Le déroulement de chaque mizâne est soumis à un principe d’accélération progressive en trois phases : muwassa (large), mahzûz (relevé), insiraf (allant rapide), chacune de ces phases se distinguant par une tendance à la simplification du rythme de base.
La nûba se compose pour l’essentiel de mouwashahat, genre post-classique construit sur un enchaînement de stances s’opposant au principe métrique (arûd) de la quasida classique arabe, ainsi que le zajal Andalousie (dérivé de mouwashahat) et des barwala (poème en dialecte arabe marocain).
On a coutume d’appeler le texte poétique chanté San’a (métier, œuvre d’art). Les San’a traitent de sujets variés : hommage aux plaisirs de l’amour et du vin, piété, soufisme.
La nûba couvre une durée moyenne de cinq à neuf heures, elle n’est donc généralement pas exécutée dans sa totalité. On se contente lors des fêtes de jouer un mizan ou une succession d’extraits de mizan. Selon la tradition, chaque mizan commence par des préludes instrumentaux non mesurés, bughya, mishâliyya, qui a pour rôle « d’asseoir » le mode.
Ils peuvent être suivis d’un tûshiya, prélude instrumental exécuté sur un rythme vif.
Immédiatement après ces préludes, l’orchestre entonne en chœur la suite de San’a. Parfois un ou deux chants individuels (mawwal ou inshad) viennent s’intercaler entre deux San’a, ou se substituer au préludes instrumentaux du mizan.
L’orchestre traditionnel se compose d’instrumentistes chanteurs au milieu desquels se place le chef dépositaire de répertoire et ayant à son actif une longue éxperiance du style et du mode d’agencement des San’a.
Si le jeu instrumental et l’exécution vocale respectent de manière générale le caractère monodique de la nûba, chaque musicien se voit néanmoins conférer une relative liberté d’exécution par rapport à l’ensemble, ce qui peut provoquer des enchevêtrements de lignes mélodiques hétéro phonique très gouttés des mélomanes. Des nos jours des instruments de l’orchestre interprétant Al-âla sont le rbâb, le ûd, le violon, l’alto, le violoncelle, le târ et la darbûka.
Le rbâb est une vielle monoxyle à deux cordes frottées en loyau. Dépourvue de manche, elle est constituée d’une caisse naviforme en bois de noyer, cèdre ou acajou. La caisse est recouverte dans sa partie supérieure d’une mince lame de bois ornée de rosaces et dans sa partie inférieure d’une peau de chèvre. L’archet, court et massif, se compose d’un morceau de fer en forme d’arc tendant une mèche en crin de cheval joué verticalement, le rbab repose entre les cuisses de l’instrumentiste. L’ûd est un luth piriforme à cinq ou six rangs de doubles cordes dont la manche est dépourvue de frettes.
Il est joué avec un plectre de corne. Le violon et l’alto occidentaux, introduits au XVIIIéme siècle et encore souvent montés de corde en boyau, sont joués verticalement sur le genou gauche comme tous les instruments à archet dans la tradition marocaine. Le violoncelle, quant à lui d’introduction récente, peut être joué à l’archet ou en pizzicato.
Le târ, « colonne vertébrale » de l’orchestre est un petit tambour sur un cadre d’environ 15cm de diamètre muni de cymbalettes ou sequins d’argent ou de cuivre. Tenu dans la main droite, il est frappé par les doigts ou la paume de la main gauche, tandis qu’un savant travaille de la main droite et heurte le cadre contre le poignet droit.
La darbûka est un tambour calice en terre cuite recouvert d’une peau de chèvre. Posée en travers la cuisse gauche elle est frappée à mains et à doigts nus. L’anthologie Al-âla, publiée conjointement par le ministère de la culture du Royaume du Maroc et la maison des cultures du monde à paris, vise à constituer un fond documentaire, une mémoire sonore, réalisé dans les conditions techniques les plus performantes, alliant la haute fidélité du son numérique au respect de l’authenticité et des règles classique de l’interprétation.