Une trajectoire de poétesse et d’artiste en arts visuels.

                        Louise Brouillet,  de la plume au pinceau :

Par Noureddine Mhakkak

Un entretien exceptionnel avec une dame amoureuse des arts et des lettres. Une poétesse qui trouve du plaisir à jouer avec les mots et une artiste qui adore créer et voir surgir des images. Cette dame n’est autre que Louise Brouillet.Entretien.

1-Qui est d’abord Louise Brouillet ?

Je suis actuellement professeure de sciences politiques au Collège Lionel-Groulx, mais j’ai travaillér comme enseignante en sciences politiques au Cégep du Vieux-Montréal pendant 16 ans. J’ai d’abord étudié la littérature à l’Université d’Aix-en-Provence (France) en 1977-1978. Par la suite, j’ai fait un mineur en Communication et journalisme à l’Université de Montréal en 1979-1980. J’ai poursuivi mes études en allant chercher un majeur en sciences politiques dans cette même université en 1983. Je me suis ensuite inscrite à la maîtrise et j’ai obtenu un diplôme dans cette discipline en 1987.

En 1990, j’ai fini ma scolarité de doctorat en sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal sans avoir achevé mon doctorat.Par ailleurs, mon parcours littéraire a débuté par la publication d’un recueil de poèmes intitulé : « Appel à l’aube » à la maison d’Éditions Humanitas /Nouvelle-Optique en 1993.

En 2001, en collaboration avec Marguerite Paulin, nous avons produit une pièce de théâtre dont le sujet principal tournait autour d’une rencontre entre Saint- Denys Garneau, Anne Hébert, Réjean Ducharme et Gaston Miron et dont le titre évocateur était « Le mot dit pays ». La pièce a été jouée à plusieurs reprises, entre autres, au Café des Arts à Québec lors de la Journée internationale de la Francophonie en mars 2004. À l’automne 2004, j’ai aussi été sélectionnée pour faire une lecture de mes poèmes lors des Journées de la culture dans le quartier Miles-End (Montréal). On y a également joué la pièce « Le mot dit pays ».

J’ai également participé à plusieurs prestations poétiques : les soirées Place aux poètes de Janou Saint-Denis et celles de Solovox d’Éric Roger. J’ai aussi été sélectionnée pour une lecture de poésie à la Maison de la Francophonie à Québec au printemps 2004. Une autre lecture de poésie a eu lieu à la Maison de la culture Marie-Uguay à l’hiver 2008. Certains de mes poèmes ont également été lus à Paris dans le cadre d’une lecture de poésie internationale du groupe Europoésie organisée par le poète français Joël Conte. Certains de mes poèmes ont été traduits en polonais par mon ami poète et traducteur Marek Baterovic.

J’ai également publié le poème « La Maison-Dieu » dans le collectif intitulé : Le 11 septembre des poètes, édité chez Trait d’Union en septembre 2002. Deux autres poèmes ont été publiés chez Arcade no 63 en 2005 : un extrait de mon poème intitulé : « Le Temps » et « Bouquet stellaire ».

Du côté des arts visuels, j’ai commencé à peindre en 2003 et je n’ai pratiquement jamais cessé de me plonger dans l’univers merveilleux de ce qu’on appelle en France, les Arts plastiques. J’ai touché un peu à tout : aquarelle, peinture à l’huile, encre de Chine, sculpture sur bois, dessin, collage, céramique et plus récemment le monotype. J’ai eu le bonheur d’exposer dans plusieurs galeries : la Galerie Fôkus d’Abraham Weizfeld (docteur en sciences politiques et spécialiste des questions judéo-palestiniennes), la Galerie d’Arts Contemporains tenue par Stanley Borenstein, anciennement situé sur la rue Crescent à Montréal puis sur la rue Saint-Ambroise à St-Henri, mais aussi dans des espaces commerciaux, Caisses populaires, résidences pour personnes âgées et bureaux de députés avec des associations d’artistes en arts visuels de la région d’Ahuntsic.

Pour ma démarche artistique actuelle c’est comment décrire l’indescriptible ? Comment faire part d’une émotion s’exprimant sur une toile tel un poème dont on ne pourrait trouver les mots et dont les couleurs jailliraient comme des balbutiements de gestes inconscients ? Dans la mouvance des automatistes, de la peinture gestuelle voire des surréalistes, je navigue entre la plume et le pinceau afin de traduire en couleurs bigarrées, l’espace muet des mots.

Ma peinture procède d’une démarche dont j’ignore le début et la fin de l’œuvre avant que la pulsion créatrice ne me pousse à coucher sur une toile le trop plein de sentiments inexprimables que je n’arrive à faire comprendre que par un délire éclatant de couleurs. En résumé, je suis profondément habitée par le désir intense de traduire en images colorées ce que je ressens intensément dans le tréfonds mystérieux de mes entrailles.

2-Que représente les Arts et Lettres pour vous ?

J’avoue que si c’était à refaire, je serais restée en Arts et Lettres plutôt que de bifurquer vers les sciences politiques. Cependant, l’imaginaire aura toujours eu une place de choix dans mon univers qui s’est tourné vers l’art pictural abstrait ces dernières années. La plume et le pinceau sont un couple qui fait très bon ménage dans le monde artistique. Je trouve important d’expliquer mon passage de l’écrit à la toile qui, à mon avis, est la continuation visuelle de la pensée poétique transposée dans une constellation de couleurs. On se rappelle Rimbaud qui donnait des couleurs aux lettres de l’alphabet : « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, Je dirai quelque jour vos naissances latentes(…) ». Ce génie précoce avait bien senti ce qui unit ces deux mondes.

Comment imaginer une société sans les livres, sans les écrivains pour les mettre au monde ? Ce serait probablement un univers cauchemardesque comme l’ont été les autodafés perpétrés par les nazis en 1933. Faire disparaître le cœur et l’âme des poètes et des intellectuels, voilà bien l’œuvre abominable de l’obscurantisme qui s’était emparé de l’Allemagne nazie en détruisant tout ce que le peuple juif avait pu produire d’écrits tant scientifiques qu’intellectuels. Stefan Zweig finira par se suicider au Brésil en 1942, victime, lui aussi, de ces persécutions antisémites haineuses. L’existence des arts et des lettres est la garantie de l’expression ultime de notre humanité et de ce qui se passe derrière le miroir de son monde imaginaire.

Une vie sans poésie serait une vie sans amour, sans tendresse, sans espoir d’une lueur de bonheur possible en dehors de notre société matérialiste et utilitariste. « Le monde ne sera sauvé, s’il peut l’être, que par des insoumis » disait André Gide. Qui sont donc ces insoumis dont parle Gide ? Les marginaux, les artistes, les écrivains, les philosophes et les poètes trônent aux premières loges de cette insoumission. Sans eux, ce qui nous reste de valeur humaine serait appelé à disparaître dans un enfer dantesque que même le Léthé, ce fleuve de l’oubli, ne pourrait empêcher d’effacer de notre mémoire.

3-Que représente l’écriture et la lecture pour vous ?

La poésie a été ma première forme d’expression artistique. « La poésie est une insurrection » disait Pablo Neruda. À l’instar des poètes surréalistes qui ont su faire éclater le langage de la poésie en le débarrassant de toute soumission à la versification voire de tout carcan logique, je considère que l’écriture doit déranger, bousculer les valeurs établies, mettre au monde des idées subversives pour que naisse une nouvelle Atlantide de ce raz-de-marée libérateur. On ne peut devenir écrivain ou poète sans avoir été un lecteur boulimique de romans, de poésie ou d’essais.

La lecture est le passage obligé pour tout écrivain, quel qu’il soit. Bien que je sois passée à la peinture ces dernières années, en laissant de côté la poésie, je reste profondément attachée à la lecture tant des romans que des écrits scientifiques en sciences sociales et humaines. Les biographies historiques me fascinent aussi car elles me permettent de me retremper dans l’atmosphère d’une époque et de connaître les enjeux politiques, économiques et idéologiques qui ont traversé cette période.

Connaître l’Histoire me semble la voie royale pour mieux comprendre ce que nous sommes devenus comme peuples et comme humanité. Il est fascinant d’imaginer la vie des artistes et des poètes dans l’Europe de la première et seconde Guerre mondiale. Comment continuer à écrire, à peindre voire à créer et procréer lorsque l’on traverse des périodes aussi troublées que violentes ? Cela démontre bien que les artistes et les écrivains sont des êtres à part, habités par leur univers de création et que le monde extérieur ne peut complètement les empêcher d’exprimer ce qui habite leur imaginaire, souvent débridé, parfois même visionnaire.

4-Parlez-nous des villes que vous avez visitées et qui ont laissé une remarquable trace dans votre parcours poétique.

La première ville que j’ai visitée a été Madrid à l’âge de 18 ans. J’y étais allée pour apprendre l’espagnol, j’y ai découvert le monde de Cervantes et de son Don Quichotte de la Manche qui est devenu la figure même du fou idéaliste qui coure après des chimères, images transposées des moulins à vent de l’hidalgo espagnol. J’ai ressenti la toute- puissance de la poésie de Frederico Garcia Lorca qui soutenait que « Toutes les choses ont un mystère, et la poésie, c’est le mystère de toute chose. ».

Bien sûr Paris est la ville même des poètes, chacune de ses rues, chacun de ses carrefours, chaque sculpture, chaque troquet voient passer le fantôme d’un poète qu’il soit maudit ou pas… Puis la ville d’Athènes, bastion de notre civilisation gréco-latine, m’est apparue sans même que je l’ai eu visitée tant cette cité qui a vu naître les balbutiements de la démocratie, éveillait en moi les souvenirs enfouis des Panathénées et des fantômes qui hantent le Parthénon. Les villes de Bretagne aussi ont eu une influence dans mon cheminement de poète : Concarneau, cette ville fortifiée en plein cœur du Finistère, bordée par la mer Atlantique, a tout pour faire rêver les poètes. L’île de Groix qui n’est pas une ville mais une commune du Morbihan m’a aussi captivée et tenue dans ses filets pendant un bon mois.

Difficile de la quitter car on en tombe facilement amoureuse. François-René de Chateaubriand avait eu cette phrase célèbre en parlant de cette île bretonne :« Celui qui voit Belle-Isle voit son île; celui qui voit Groix, voit sa joie; celui qui voit Ouessant, voit son sang. »

Bien d’autres villes m’ont fait rêver : Venise, Florence, Rome, en fait toutes les villes italiennes sont imprégnées de poésie. Il ne faudrait pas non plus que j’oublie ma ville natale : Montréal à qui j’ai aussi dédié l’un de mes poèmes. Les villes m’habitent, m’inspirent, me font rêver d’un ailleurs meilleur, libéré des contraintes du paraître, laissant place à l’anonymat de la cité où l’on peut voyager incognito.

5-Que représente la beauté pour vous ?

La beauté, selon Baudelaire, est toujours bizarre et la Beauté ne peut être qu’un rêve de pierres, la beauté est satanique ou divine et nous entraîne dans les délices de l’extase ou dans les gouffres du malheur ou de la damnation. Pour ma part, je ne crois pas vraiment que la beauté puisse nous faire descendre aux enfers, elle ne peut qu’élever notre âme vers ce qu’il y a de plus spirituel et d’absolu. Si ce n’est, peut-être, ce qu’on appelle la beauté du diable. Mais ça, c’est une autre histoire, que le Faust de Goethe a bien su explorer. On pourrait se demander si la figure du Méphistophélès n’est pas une allégorie de la tentation matérialiste et consumériste qui vient constamment nous provoquer en nous faisant miroiter l’illusion d’un bonheur éphémère mais combien désirable et convoité par le commun des mortels.

La beauté est dans l’œil de celui qui la regarde disait Shakespeare. En effet, ce qu’une personne trouve beau peut paraître banal aux yeux d’une autre. La beauté est dans le regard de l’artiste qui la fait surgir de sa palette pour la coucher sur une toile ou de l’écrivain dont les phrases nous chavirent par leur inexprimable intensité.

  Mais pour parler de la beauté, il faut aussi revenir à la pensée des philosophes, qui, tel Platon, soutient que les humains sont animés par des idéaux de vérité et de beauté qui seuls peuvent les libérer de l’illusion du monde matériel en lui permettant de le transcender. Mais là s’arrête ma référence à Platon dont le jugement sur la peinture et la poésie est sévère et teinté, à mon avis, d’un purisme qu’on appellerait de nos jours, puritain. En effet, pour Platon la poésie et la peinture sont mauvaises car elles sont une expression de la révolte face aux dieux et ne peuvent qu’exacerber nos passions tout en créant un chaos dans nos sentiments. Pour Platon, les artistes ne sont que des séducteurs qu’il compare aux sophistes. En fait, Platon ne condamne pas complètement les artistes.

Selon lui, la seule beauté est, non pas la vision d’un objet ou d’un être mais plutôt celle des idées qui transcendent la beauté matérielle et physique pour accéder à celle de l’esprit. Ainsi ce que le philosophe appelle beauté relève davantage de la métaphysique. Finalement, la véritable beauté ne serait-elle pas à l’intérieur de nous ?

Parlez-nous des livres et des films que vous avez lus, que vous avez vus et qui ont marqué vos pensées.

Il me faudrait écrire un livre entier pour répondre à cette question tant les auteurs et les films que j’ai vus sont nombreux à avoir influencé ma démarche artistique et poétique. Les plus marquants du côté des livres sont assurément les poètes de la fin du XIXe siècle tels Baudelaire qui fut véritablement mon idole et mon maître à penser en poésie. Cependant, comment ne pas parler de Théophile Gauthier, de Guy de Maupassant, de Johann Wolfgang von Goethe qui m’a littéralement bouleversée à la lecture du roman Les souffrances du jeune Werther sans parler de son très sensible roman Les Affinités électives dont la fin tragique m’avait également fait jaillir des larmes. Je trouve qu’il y a chez Goethe des envolées poétiques et lyriques qui sont de purs chefs-d’œuvre.

Par la suite, viennent les écrits d’Arthur Rimbaud, de Paul Verlaine, de Guillaume Apollinaire, de Paul Éluard, de Jean Cocteau dont le film La belle et la bête est d’une beauté et d’une sensibilité infinies. Sans oublier Louis Aragon, Blaise Cendrars, Rainer Maria Rilke et son fabuleux Lettres à un jeune poète, un incontournable pour tout poète qui se lance dans l’écriture poétique. Boris Vian que j’ai découvert à l’adolescence, m’avait chavirée avec son roman L’Écume des jours, il m’a donné le goût de lire tous ses livres dont ceux écrits sous le pseudonyme de Vernon Sullivan. À l’instar de Vian, Romain Gary a aussi publié sous le pseudonyme d’Émile Ajar. Juste avant de mourir Gary écrit Vie et mort d’Émile Ajar où il va dévoiler la supercherie de sa démarche lorsque ce dernier roman fut envoyé à son éditeur, le jour de sa mort, en décembre 1980.

Du côté des écrivains et poètes espagnols, il y a eu bien sûr Pablo Neruda, Frederico Garcia Lorca, Octavio Paz et Jorge Luis Borges, une des figures de proue du réalisme magique latino-américain, dont le recueil Fictions, publié en 1944, laissait présager l’écrivain marquant qu’il allait devenir.

Des écrivains m’ont littéralement accompagnée lors de mes études en sciences politiques, pourtant leur œuvre n’avait rien de politique : Milan Kundera et son roman L’Insoutenable Légèreté de l’être et Michel Tournier qui m’a fait rêver avec Le Roi des aulnes et Vendredi ou les limbes du Pacifique, de même qu’Umberto Eco avec Le Nom de la rose.

Bien sûr, il ne faudrait pas oublier les femmes : Anna de Noailles, Louise Labé, Louise de Vilmorin, Émily Dickinson, Anaïs Nin, sans parler de la très sulfureuse Sappho. Colette et George Sand ont aussi éveillé en moi le désir d’écrire ce que je ressentais comme femme, ce sont des pionnières, elles ne pouvaient que m’inspirer et me pousser à écrire ma propre vision du monde.

Côté cinéma, il y a eu l’avant-garde de la Nouvelle Vague française : Jean-Luc Godard, François Truffaut, Éric Rohmer, Claude Chabrol, Alain Resnais, Louis Malle, Agnès Varda. Puis par la suite, André Téchiné, Jacques Doillon, Claude Lelouch et Roger Vadim. Le cinéma italien de cette époque a été aussi très marquant pour moi : Frederico Fellini et son très dérangeant Fellini Roma, mais aussi Satyricon, Juliette des esprits, Les Clowns et j’en passe. Sergio Leone et son cinéma spaguetti, Bernardo Bertolucci, Victorio Taviani, Pier Paolo Pasolini, Luchino Visconti pour Le Guépard et Mort à Venise. Un film qui m’a fait pleurer : On achève bien les chevaux de Sydney Pollack et bien sûr Le choix de Sophie de Alan J. Pakula adapté du roman de William Styron.

  Je ne parle ici que des films et auteurs que j’ai vus et lus dans ma jeunesse car il me faudrait encore bien des pages pour parler de ceux qui m’ont marquée plus récemment.

Parlez-nous de vos projets culturels et artistiques à venir.

Difficile de parler de projets culturels et artistiques futurs dans cette période troublée et troublante de pandémie au Covid-19. Comment vont se retrouver les Arts et les Lettres quand nous seront sortis de cette crise sanitaire ? Les arts visuels et les arts de la scène, sans parler du 7e Art, sont les victimes collatérales de cette crise sanitaire.

Le seul domaine culturel qui peut plus facilement s’adapter aux restrictions du confinement est, à mon avis, le monde des Lettres. Pour ma part, j’ai un bon nombre de poèmes qui dorment dans une chemise et qui attendent que je m’occupe d’eux, en les retravaillant puis en les envoyant à des maisons d’Éditions. Éditer, par ailleurs, n’est pas une sinécure au Québec, surtout dans le domaine de la poésie que je connais davantage que celui du roman. Plusieurs poètes que je connais en arrive même à publier à compte d’auteur car ils ont fini par se décourager d’attendre une lettre d’acceptation de publication de leur œuvre.

Je vais probablement me consacrer à ma poésie puisqu’il semble difficile d’exposer ses œuvres en ce moment et que mes toiles prennent déjà beaucoup de place dans mon espace restreint de condominium. La photo et la création par le numérique appelée aussi multimédias que j’ai commencé à explorer, pourraient également être une avenue intéressante pour continuer à développer mes habiletés en arts visuels.

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