Traduit par M’barek HOUSNI
Obsession
«Le moi est toujours l’autre, même dans le cas où je croirais que c’est effectivement moi, je suis à jamais séparé de moi-même »
On s’assit l’un face à l’autre, sa tête dépasse à peine la mienne, elle se déchausse et grimpe à mon corps s’élevant pour voir ce qui s’y trouve à l’intérieur. Chaque matin, je la mets dans mon sac. Svelte et mince, elle tombe par terre et je la ramasse. D’allure ébouriffée, elle me taquine me reprochant certaines décisions prises. Elle se faufile dans mon lit. Lorsqu’elle se met en colère, elle disperse le contenu de mon armoire. Elle dort près de moi, me tord les bras pour me faire tomber par terre. Oh obsession maligne, depuis quand tu es là ! Elle rit fort. Sa présence est éternelle. Plus que ça, le temps et l’obsession sont identifiables l’un à l’autre. Elle a une identité psychologique. On partage notre moi scindé, on est deux constructions mentales dans un univers parallèle.
L’obsession est un être qui marche vers lui-même. Elle ne bavarde pas mais pense. Elle est cette frontière qui nous sépare du monde, et ses fondements sont organiques. Elle colle à nous comme nos propres idées, comme notre ombre et le reflet de nous-mêmes. Légères et fragiles, nos obsessions vivent à côté de nous sans qu’on s’en aperçoive, car j’ai toujours cru que les obsessions sont minces et ne vieillissent jamais. Je ne connais pas d’obsession obèse, comme je ne sais rien à propos de l’âge que peuvent avoir les obsessions. Chercher à connaitre son origine est une démarche qui demeure floue. Tout comme le fait de chercheur le paradis et la langue que parlent ceux qui y demeurent, ou les choses abandonnées qui attirent notre attention. Peut-être nait-elle avec nous, peut-être même que son destin est le nôtre, qu’elle n’est pas une punition qui nous est infligée. On lui confie beaucoup de choses, comme quelqu’un qui conserve des choses en dehors de lui.
L’introduction qu’un britannique psychiquement malade avait écrite dans sa biographie, et que j’avais lu, disait ceci : “ la moitié des gens ne sait rien de la façon avec laquelle vit l’autre moitié “. Cela m’a donné l’idée que nos obsessions sont la moitié de nous-mêmes. Elles ne sont assurément pas des illusions, mais un témoin actif de nos situations. Elles ont des oreilles dressées vérifiant toute chose avec précision, et de petits yeux tel un chas d’aiguille, des yeux qui regardent en tous sens tel un lièvre qui sort d’un chapeau et se place dans nos sens, il se réveille au premier embranchement, nous surveille comme l’insomnie et tels des miroirs occupés à attirer notre attention.
Je pense à celui dont les obsessions lui sont interdites, et je me pose la question sur son état, elle serait comment ? De même, je me pose la question sur la possibilité où les obsessions seraient très ombreuses en ce monde, qu’en serait-il de lui ?
Les anciens égyptiens ont cru en trois choses : l’âme, le corps le “K », un type de fantôme qui accompagne les hommes partout où ils sont. L’âme chez Platon est composée de trois parties : l’élément qui raisonne, l’élément irascible et l’élément qui aime. Freud a divisé l’âme en trois parties : l’Égo, le Ça et le Surmoi. Les obsessions ont, de tout temps, été imputées aux forces de la nature. Chez les hindouistes, par exemple, il y a le “Gray » qui est une obsession spéciale, cette femelle qui peut habiter le corps de l’homme. En Inde, on croyait que le chien peut habiter le corps d’un homme. Les babyloniens croyaient que les perturbations sont le fait d’obsessions et d’esprits maléfiques. Oui, les obsessions nous habitent, ce sont nos jumeaux siamois, sans qu’elles le paraissent, car elles sont soigneuses envers nous et parfois elles nous inspirent.
Il m’arrive souvent, lorsque je lève mes yeux vers le ciel lointain, de me souvenir de ce qu’avait dit un écrivain français ; il disait que les êtres invisibles ne sont que des êtres comme les humains, exilés loin de leur terre d’origine, alors que nous on vit sur leur planète, qu’est la terre, cette planète particulière et singulièrement différente des autres planètes. Mais elle nous berne avec ce mouvement ordonné et alterné qu’est le cycle du jour et de la nuit. Car celui qui la regarde d’un endroit lointain de l’univers la voit différemment.
Ombre salutaire
Un homme est assis au coin du large boulevard. Il remue des braises devant lui, il les ordonne lentement. Dans son autre main, il y a probablement une bière, et il savoure, dans sa solitude, les pensées qui traversent sa tête. L’homme fait deux pas, s’arrête et scrute son ombre, puis marche et reprend son manège en faisant attention comme si son ombre risque de lui être enlevée, ou comme s’elle est sur le point de tomber, ou carrément se séparer de lui. Les anciens croyaient que l’âme résidait dans notre ombre, et que sa perte causerait notre mort. Ils croyaient aussi que le changement qui affectait le volume de notre ombre est un signe de maladie, que notre santé en pâtirait. On est liées dans notre voisinage par nos ombres, elles sont étroitement liées à nous et ne nous quitteront jamais. C’est vrai qu’elles nous dépassent largement, en longueur et largeur, mais leur réflexion salutaire nous imite avec précision, telle une image dans une glace, ou comme des reflets dans l’eau claire, malgré notre dissemblance, puisque ne reflétant pas clairement nos traits, et ne portant pas des habits semblables à ceux qu’on choisit dans notre vie quotidienne.
Nos ombres sont nos âmes collées à nous, plus que ça, ce sont nos images fidèles, ou bien elles sont nos obsessions dont on ne peut se départir ; suivant cette loi qui dit que « ceux qui s’assemblent se ressemblent », un moi qui nous reproduis de nouveau en plusieurs personnes, en plusieurs constitutions et strates, qu’on supporte à peine, dont on ignore le rôle joué, du moment qu’on croit qu’elles sont intruses et étrangères, croyant même qu’elles sont autres et n’ayant rien à voir avec nous.
*Écrivaine et journaliste