Par Abdeslam Seddiki
Où en est le Maroc au niveau de la régionalisation après neuf années de la mise en œuvre de la loi organique relative aux régions de 2015 ? Il est temps de faire un diagnostic sans concession pour mettre le doigt sur les insuffisances et les dysfonctionnements sans pour autant sous-estimer les réalisations. C’est l’objet du deuxième colloque qui sera organisé prochainement à Tanger (20 et 21 décembre) sous le Haut patronage de SM Le Roi. Cette rencontre vient après le premier colloque organisé en 2019 à Agadir.
Le maitre mot de ce colloque est le «défi». C’est son titre officiel : «entre les défis d’aujourd’hui et de demain». On le trouve pratiquement dans toutes les pages et les paragraphes de la note d’orientation préparée à ce sujet. Ce document a constitué la base des rencontres préparatoires organisées dans les différentes régions sous la présidence des walis. L’initiative d’organiser un débat national est louable pour mettre le pays à jour par rapport à la Constitution de 2011 et aux recommandations du rapport sur le Nouveau Modèle de développement. La démarche retenue l’est également dans la mesure où on part de la base pour remonter au sommet. Ce qui a l’avantage d’impliquer le plus grand nombre d’élus et de compétences diverses dans les régions.
Si le colloque se déroulera avec le même esprit d’ouverture et donnera la possibilité à tous de s’exprimer, il atteindra, à coup sûr, les objectifs ambitieux qui lui sont assignés et qui sont de quatre ordres : faire le constat et dégager le bilan des neuf années de la pratique ; partager les bonnes pratiques ; approfondir les débats sur les défis futurs ; adopter des recommandations pratiques, réalistes et réalisables. Ces assises vont se dérouler autour de six axes allant de l’attractivité territoriale à la transformation numérique en traitant la convergence entre décentralisation et déconcentration, la gouvernance hydrique, la question du financement et la mobilité durable.
Dans l’ensemble, la note d’encadrement a posé de bonnes questions. Espérons qu’on aura de bonnes réponses, celles qui répondent aux attentes du pays et de la population. Le Maroc a fait son choix. Un choix irréversible. Celui des régions et qui plus est une « régionalisation avancée ». Il faut par conséquent assumer nos choix collectifs et agir en conséquence. Sans faux-fuyants et sans hésitation aucune.
Nous avons un problème sérieux qu’il faudrait résoudre absolument si on veut aller de l’avant. Il réside dans le décalage entre les textes et la pratique. Entre le dit et le fait. Ainsi, nous disposons d’une constitution qui n’est pas idéale certes, mais qui est très avancée par rapport aux lois fondamentales précédentes. Toutefois, nous relevons avec regret que des articles entiers ne soient pas encore mis en œuvre. Nous avons des lois qui ne sont appliquées que partiellement. La loi organique relative aux régions en fait partie.
En relisant ce texte, on y trouve toutes les réponses aux questions posées aujourd’hui. Y compris sur la question lancinante du financement. Le problème fondamental, à la lumière de l’expérience réside, encore une fois dans la mise en œuvre. Admettons que la phase précédente a été une phase «d’apprentissage», il n’est pas permis à l’avenir de faire encore du « bricolage régional ». La loi organique, telle qu’elle est, demeure valable, à condition de résoudre deux questions fondamentales intimement liées : la tutelle administrative et la qualité des élus.
S’agissant de la tutelle administrative, et plus précisément celle des Walis, il est fondamental de faire un vrai toilettage du chapitre 3 de la loi organique portant sur le contrôle administratif. Qu’on laisse la Cour des Comptes et les Cours régionales faire leur travail !
Pour ce qui est de la qualité des élus et en particulier du Président de la Région et des Membres du Bureau Régional, nous touchons à un sujet extrêmement sensible, à savoir la question démocratique et la manière dont sont organisées les élections. Cette question centrale et déterminante pour l’avenir de la démocratie dans notre pays est absente des débats. Ce qui arrange certains intérêts bien établis. Des mal élus, et nécessairement mal aimés, s’accommodent parfaitement de la tutelle, ne serait-ce que pour justifier leur incompétence et leur inaction. Le Maroc des Régions auquel nous aspirons ne peut pas aller loin dans ce cafouillage.
Pourtant, la région est dotée de compétences stratégiques pour la vie des citoyens. Les compétences propres portent sur le développement économique, la formation professionnelle, le développement rural, le transport, la culture, l’environnement et la coopération internationale. Sous la bannière du développement économique, on trouve de tout : le soutien aux entreprises; la domiciliation et l’organisation des zones d’activités économiques dans la région; l’aménagement des routes et des circuits touristiques dans le monde rural ; la promotion des marchés de gros régionaux ; La création de zones d’activités artisanales et des métiers; l’attraction des investissements ; la promotion de l’économie sociale et des produits régionaux.
Outre ces compétences propres, les régions bénéficient de «compétences partagées» avec l’administration centrale (Etat). Elles portent pratiquement sur les mêmes domaines que les compétences propres. Ce qui n’est pas sans poser des problèmes d’interprétation. Une clarification à ce sujet est nécessaire.
L’avenir du Maroc s’écrit dans ses régions. En actionnant le principe de subsidiarité d’une façon intelligente et créative, il faudrait se décharger progressivement de tout ce qui touche à la vie quotidienne des citoyens au profit des collectivités territoriales. Ce qui donnerait un souffle réel à la démocratie qui commence à montrer des signes de «fatigue». Agir au plus près du citoyen et être à son écoute en le faisant participer aux décisions et en le traitant come une personne majeure. La participation des citoyens et de la société civile n’est pas un slogan creux sans consistance. Il faut la concrétiser à travers des mesures concrètes. Par exemple, outre la concertation des citoyens, on pourrait leur donner la possibilité de choisir certains projets en organisant un vote citoyen à l’échelle de la commune, voire de la région. Ce faisant, on donnerait un contenu concret à la démocratie qui signifie étymologiquement «pouvoir du peuple».
Notre pays qui ambitionne de jouer un rôle leader sur la scène régionale aurait intérêt à aller dans cette voie. C’est la voie qui le mène vers des lendemains meilleurs avec une croissance réellement inclusive, une nation solidaire et unie dans la diversité et une stabilité sociale contre vents et marées. Ensemble, nous relevons ces défis !