Sami Abdelmounaime, spécialistes dans le livre numérique
La crise sanitaire mondiale liée à la pandémie du nouveau coronavirus a eu pour effet une migration massive vers le digital, accélérant de fait une transformation numérique amorcée il y a plusieurs décennies. Le secteur du livre et de l’édition est concerné lui aussi par cette transition. Dans un entretien à la MAP, Sami Abdelmounaime, co-fondateur des éditions Le Manifeste, une start up spécialisée dans le livre numérique, présente une radioscopie de cette niche au Maroc et dans le monde.
1 – Bien avant la pandémie, l’édition numérique a connu un essor à la faveur du développement des nouvelles technologies. Qu’en est-il du Maroc ?
Les leçons qu’on peut tirer de la période de confinement c’est que les technologies numériques ont pris une place fondamentale dans notre vie. En effet, l’essor des technologies de l’information et de la communication a touché presque tous les secteurs de la vie. Celui de l’édition n’est pas en reste. Aujourd’hui, l’édition numérique, dans plusieurs pays arabes et africains, est devenue une réalité.
Au Maroc, un environnement propice pour le développement de la lecture numérique existe, vu le fort taux de pénétration d’internet et de la technologie mobile, le développement de l’e-commerce et une volonté politique.
En Afrique, plusieurs éditeurs se sont lancés dans l’édition numérique et ce depuis 2005, comme le Madagascar avec les éditions Jeunes Malgaches, le Togo avec les éditions AGO Média ou encore au Cameroun avec les Presses universitaires d’Afrique, qui se sont lancés dans l’édition numérique. L’expérience de NENA (Nouvelle Edition Numérique Africaine) au Sénégal est très intéressante. Elle a été créée en 2005 et propose une formule originale, à la fois éditeur 100 % numérique, diffuseur et distributeur. Elle a mis en place une librairie numérique et une offre destinée aux bibliothèques.
2 – Quelles sont les principales difficultés auxquelles fait face le secteur de l’édition numérique au Maroc en particulier et le monde en général ?
Au Maroc, il y a une réelle prise de conscience des pouvoirs publics de la nécessité de développer une offre numérique dans le secteur de l’édition. Cette prise de conscience a été concrétisée par la publication en 2019 d’un rapport très détaillé du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) intitulé « Promouvoir la lecture, urgence et nécessité ». Ce rapport a mis l’accent sur le fait que la révolution numérique et le développement connectés ont profondément changé l’accès à l’information et au savoir ainsi que la communication, avec des outils d’un usage simple, peu coûteux et largement adoptés et diffusés au sein de la population.
Aussi, il y a le développement de l’Internet et des supports connectés au Maroc. Selon le rapport Digital de 2021 publié par « We Are social » et « Hootsuite », 74,4% de la population marocaine a accès à Internet, 89,6 % des internautes se connectent depuis un appareil mobile et les internautes marocains passent en moyenne presque 4 heures chaque jour sur le web.
Si la crise pandémique a porté un coup dur à l’activité économique classique, l’e-commerce a tiré son épingle du jeu durant l’année 2020 qui a vu l’explosion des achats en ligne.
Malgré ce contexte favorable, nous sommes conscients de la méfiance de tous les intervenants de la chaîne du livre vis-à-vis du numérique. Les raisons principales de cette méfiance concernent le peu de ventes des ebooks, la crainte du piratage, l’absence d’une stratégie claire et unifiée ainsi que l’absence de partenariats entre les différents acteurs du secteur.
3 – Vous êtes la première maison d’édition spécialisée en édition numérique. Des éclairages sur cette expérience ?
S’engager dans le secteur du livre ou la culture en général est une aventure entrepreneuriale à risque vu l’environnement culturel (crise de la lecture…). Ce risque, nous l’avons pris en considération en développant une offre intégrée et prête à pénétrer un marché en développement, qui s’appuie sur 4 pôles: le pôle édition numérique, le pôle librairie numérique en ligne, le pôle bibliothèque numérique et le pôle livres gratuits. Nous sommes une entreprise sociale et solidaire. Cette solidarité s’est manifestée durant le confinement avec le lancement d’une opération de solidarité COVID-19 avec une offre d’abonnement à une bibliothèque numérique généraliste au personnel de santé travaillant dans les CHU et une offre d’abonnement à une bibliothèque numérique scolaire aux établissements scolaires (4 CHU et 6 établissements scolaires ont répondu à notre appel avec plus de 3.000 élèves ayant bénéficié de notre offre). De plus, les ventes de certains de nos livres sont versés à des associations.
4 – Comment évaluez-vous la situation de l’édition digitale au Maroc ?
Les statistiques de la Fondation du Roi Abdul Aziz Al-Saoud pour les études islamiques et les sciences humaines montrent qu’en édition numérique, 112 revues ont été éditées au cours de l’année 2018-2019, dont 88 sont en langue arabe contre 24 en langue française. S’agissant des ouvrages numériques, 439 sont en arabe et 255 en français pour 745 ebooks.
Les principales publications ne sont pas dues à des maisons d’édition mais sont majoritairement publiques tels que les ministères de l’Économie et des Finances marocains ou Bank Al-Maghrib.
5 – Comment voyez-vous l’avenir ?
Nous sommes confiants et nous projetons de développer une bibliothèque numérique généraliste et scolaire, de produire des audiobooks pour sauvegarder le patrimoine culturel immatériel et enfin de développer une offre de manuels scolaires numériques. Depuis le lancement de notre activité, nous avons pris contact avec les différents éditeurs papier pour nouer des partenariats. Nous estimons que notre offre vient compléter celle des éditeurs marocains et que notre démarche n’est pas concurrentielle mais complémentaire.
Notre démarche commence à porter ses fruits. Nous avons signé des partenariats avec des maisons d’édition pour l’édition numérique de certains de leurs ouvrages. Nous souhaitons développer ce type de partenariat, d’une part, pour créer une synergie avec les éditeurs du livre papier et, d’autre part, pour donner une deuxième vie à des œuvres éditées au début de l’activité des éditeurs papiers. Il s’agit aussi d’encourager la lecture sur les supports connectés.