Déficit inquiétant des ressources humaines

 Secteur de la santé au Maroc

Ouardirhi Abdelaziz

La pénurie de personnels de santé, et plus particulièrement les infirmières et les infirmiers, est un sujet d’actualité, qui occupe le devant de la scène.

Tout le monde en parle, le gouvernement, les parlementaires, les medias, les citoyens et bien entendu les professionnels de santé. Nous devons regarder la réalité bien face, et reconnaitre que notre système de santé fait face aujourd’hui à un réel problème de ses effectifs, auquel il s’agit de trouver des solutions à court terme faute de quoi nous nous dirigeons droit dans le mur.  

Dans cette histoire de pénurie des ressources humaines dont pâtit le département de la santé depuis plusieurs années. Il faut d’abord reconnaitre que le diagnostic a été posé depuis des années, et plus exactement depuis 1986 avec le fameux plan d’ajustement structurel. Depuis cette date, le mal est connu de tous les responsables et décideurs : tous ont a tenté de remédier à cette situation.

L’hémorragie qui a vidé nos hopitaux et centres de santé de ses professionnels soignants, est survenue au lendemain du DVD, ou plus de 1200 infirmières et infirmiers ont quitté leurs postes en même temps. Ce qui a compliqué encore plus la pénurie déjà existante, et qui est devenue inquiétante au fil des ans.

Alors ne faisant pas comme si cette réalité est nouvelle, ou que cette pénurie des ressources humaines du secteur de la santé, est un constat récent, que c’est une fatalité qui vient de nous tomber sur la tête , comme s’il s’agit d’une météorite .

Tous savaient …..

Non et mille fois non, et loin s’en faut. Tous savaient depuis plus de  trente ans,  depuis les années 80, que notre pays fait face une diminution, à un manque de médecins et d’infirmiers. Ces professionnels de santé ont toujours manifesté pour dénoncer les conditions de travail qui sont les leurs, des séries de grèves ont été planifiées par les différents syndicats les plus représentatifs du secteur de la santé, des sit-in ont été organisés devant le parlement , devant le ministère de la Santé……

Les causes déterminantes de cette crise sont connues ; elles intègrent la pénurie des ressources humaines, les charges de travail, les carences dans la gestion des carrières et des formations, la faible attractivité des rémunérations comme de l’environnement de travail, des perspectives professionnelles et familiales. Face parfois au mutisme des responsables, ou à un dialogue social responsable, serein et efficace, de nombreux médecins, infirmières, infirmiers et techniciens finissent par faire le choix douloureux de l’émigration. Ce qui au fil des ans aggrave encore plus la pénurie des ressources humaines du secteur de la santé, et donc tous les responsables savaient parfaitement, et savent encore plus aujourd’hui ce qui se passe.

Absence d’une réelle volonté politique

 Face à cette situation, aucune décision politique courageuse n’a été prise. C’est ça la réalité qui fait très mal. C’est cela qui enlève toute confiance, toute crédibilité dans les actions, décisions, planifications entreprises pour traiter le mal à sa racine.

C’est vrai que des réunions sont consacrées au sujet de la pénurie des ressources humaines dont pâtit lourdement, gravement le secteur public de la santé. Plusieurs intervenants, plusieurs experts, plusieurs acteurs de divers horizons apportent leurs savoirs, leur expérience, leur vision, leur approche. Chacun expose ses idées, on échange, on analyse, on palabre, on recommande …….

Des rapports élaborés, des recommandations soumises, mais rien de concret, de pratique n’a pu être dégagé, ou voir le jour malgré les enjeux sanitaires que pose la pénurie des effectifs des infirmières et infirmiers.

Un exode douloureux qui interpelle

Aujourd’hui, le ministre de la Santé et de la protection sociale , khalid Ait Talab , a reconnu lui-même lors d’une séance à la Chambre des représentants, le 10 juillet 2023 que « le système de santé au Maroc est confronté à une grande contrainte liée aux ressources humaines, qui se traduit par un manque de 65 000  infirmiers et 35 000 personnels médicaux….

Comme on peut le constater, les chiffres sont à la hausse,  la courbe du déficit est exponentielle, et le pire est à venir si aucune décision politique courageuse n’est pas immédiatement, pour juguler cette hémorragie inhérente à l’exode de nos médecins et infirmiers.

Pour l’heure, il convient de dire clairement, que ces professionnels de santé formés au Maroc sont déçus, lassés par le manque de reconnaissance, de valeur. On a l’impression que c’est un véritable ras- le bol qui est exprimé par les médecins et les infirmières et les infirmiers.

C’est en partie ce qui explique que beaucoup d’entre-eux préfèrent aller travailler dans d’autres pays tels le Canada, l’Allemagne, les Etats Unis, l’Angleterre, l’Australie, où  ces infirmiers et infirmières Marocaines sont mieux payés ( entre 25.000 DH et 35.000 DH ), auxquels il faut ajouter des indemnités, des heures supplémentaires , le travail des week-end et celui de la nuit, ces professionnels sont aussi  mieux considérés , mieux valorisés, mieux reconnus pour le travail qu’ils réalisent  …..

Une pénurie qui met à mal le système de santé

A la lumière des chiffres concernant la pénurie de professionnels de santé (médecins- infirmiers), que le professeur Ait Talab, ministre de la Santé et de la protection sociale avait présenté devant les parlementaires, une pénurie de 65.000 infirmières et infirmiers.

Des chiffres qui montrent si besoin est que la situation devient inquiétante, surtout si d’autres infirmières choisissent l’exode, prennent de nouveau la route de l’immigration. Le gouvernement a le devoir d’agir, de chercher ceux qui poussent ces compétences à partir ailleurs. Des mesures urgentes doivent être prises pour empêcher d’autres membres de la profession infirmière de quitter le secteur de la santé, car ce ne sera plus 65.000 infirmières et infirmiers qui manqueront à l’appel, mais bien plus.

Les premiers à pâtir de cette pénurie d’infirmiers et d’infirmières sont les malades. Au niveau des différents services de soins de santé, les malades seront contraints d’attendre plus longtemps, la qualité des soins s’en ressentira, moins d’hospitalisations, moins d’opérations, moins d’examens de laboratoires, de radiologie.

Les infirmiers devront faire face à une charge de travail rebutante, lourde, qui finira par exténuer les plus résistants, l’absentéisme sera en augmentation, ce qui se traduira par un malaise constant.

La pénurie d’infirmières et d’infirmiers, à Dieu ne plaise risque d’avoir une incidence considérable sur l’ensemble du système de soins de santé, les conditions de travail risquent de subir une dégradation  à cause des sous-effectifs

Aujourd’hui, certains hôpitaux font face à un manque de personnel, il y a pas plus de deux infirmiers au niveau des urgences la nuit.

Idem pour la garde au niveau des unités d’hospitalisations où on trouve une seule infirmière, le week-end. Il y a une seule infirmière pour tout un service de plus de 30 ou 40 malades.

C’est une réalité qui fait froid au dos, car qui sait si demain, nous pouvons nous retrouver dans cette situation, ou un membre de la famille.

Alors pour pallier un tant soi peu à ces situations, certains responsables d’hopitaux font appel aux stagiaires des différentes écoles de formation d’infirmières pour renforcer les équipes ….

ce que nous écrivons n’est pas une vue de l’esprit, nous écrivons tout cela pour tirer la sonnette d’alarme, pour que des mesures réalistes et réalisables, justes et équitables voient le jour.

En attendant le ministre de la Santé et de la protection sociale  a déclaré que de grands moyens financiers sont injectés pour tenter de remédier à la situation. C’est ainsi que 800 millions de Dirhams par an sont consacrés par le gouvernement pendant deux ans pour essayer d’améliorer l’offre de soins au niveau des centres de santé, auxquels il faut ajouter un milliard de dirhams par an pendant cinq ans dont bénéficient les CHU.

Un défi à relever

Au moment de la mise en œuvre de la couverture sanitaire universelle, un projet voulu par sa Majesté le Roi Mohamed VI, pour permettre à l’ensemble de notre population d’avoir accès aux soins, l’un des principaux défis que doit relever notre système de santé est justement celui de la pénurie des ressources humaines.

Il semble utile et opportun de rappeler ici, comme nous le faisons toujours, que la réussite de toute réforme qui cherche à asseoir sur des bases solides son système de santé, de mettre en place la couverture santé universelle, que cela dépend en grande partie des ressources humaines (médecins-infirmiers…), qui constituent le principal intrant. C’est de la performance et du nombre du personnel utilisés, que dépend en majeure partie, la qualité des soins dispensés et le bon fonctionnement des structures de santé et partant la santé et le bien- être de notre population.

La lettre Royale adressée aux participants à la 2è conférence nationale sur la santé organisée les 1er, 2 et 3 juillet 2013 à mis en exergue la place des ressources humaines. Sa Majesté le Roi Mohammed VI avait rappelé à cet effet que : « ……Partant de notre intime conviction quant au rôle central de l’élément humain pour l’aboutissement des chantiers de reforme, nous vous invitons à entourer la question des ressources humaines dans ce secteur vital, de toute l’attention qu’elle mérite.

Il convient donc de leur assurer une formation de qualité et, par conséquent, de garantir leur mise à niveau et leur adaptation à l’évolution scientifique et technologique intervenues en matière de traitement, de prévention, de gestion et de gouvernance sanitaire, et ce , conformément aux normes internationales.

Il est également nécessaire d’assurer des effectifs suffisants dans toutes les spécialités et tous les métiers de santé pour répondre à la demande croissante en services de santé et d’encourager la recherche et l’innovation dans les domaines de la médecine, de la pharmacologie et de l’industrie nationale du médicament .. »

Voici tout est clair, tout est limpide, tout est dit. Il reste à passer à l’action.

Que Faire ?

Le ministre de la Santé déclare que notre pays enregistre un déficit de 65.000 infirmières et infirmiers, que les ISPITS actuellement ne peuvent pas pallier à tous ces déficits. Sans oublier que chaque année, des centaines et des centaines de professionnels partent à la retraite. On se trouve devant un cercle vicieux. Dans ces conditions, on ne comprend pas le paradoxe qui caractérise le département de la Santé : d’un côté, il y a une pénurie d’infirmiers (ères) et de l’autre côté on ne recrute pas les infirmières et infirmiers polyvalents ou auxiliaires, qui sont formés au niveau des instituts privés pour pallier les sous-effectifs . C’est une main d’œuvre précieuse qui ne coûte rien au ministère en termes de formation et dont les lauréats sont prêts à travailler là où le besoin est durement ressenti et fortement exprimé par les populations.

Pourtant, c’est là une solution aux problèmes des sous-effectifs. Ces auxiliaires et infirmières polyvalentes formées au niveau des instituts privés disposent en règle générale d’une formation en soins infirmiers qui respecte le contenu du programme officiel du ministère de la Santé. Ils effectuent des stages au niveau des hôpitaux du ministère de la Santé aux cotés des stagiaires des ISPITS .

Ces jeunes filles et ces jeunes hommes, sont des Marocains, qui ont des droits conformément à la constitution, dont celui de l’emploi.

Les centre hospitaliers ont là une main-d’œuvre prête à l’emploi, et il n’est pas pénalisant de planifier des cycles de formation continue dont pourront bénéficier ces auxiliaires et infirmières du secteur privé, qui graduellement vont pouvoir acquérir une large qualification, dont les bénéficiaires seront les malades.

Par ailleurs, le ministère de la Santé peut aussi envisager de former dès à présent des aide-soignant avec un cursus (théorie et pratique) ramené à deux ans pour les jeunes qui ont le niveau du bac, qui une fois bien formés seront affectés là ou le besoin est urgent

Dans le cadre de la régionalisation avancée, il n’est pas exagéré de penser que les régions pourront, avec l’aide du ministère de la Santé avoir leur propres écoles de formation d’infirmières, et en assurer le recrutement, les salaires, l’évolution des carrières et donc une autonomie administrative comparable à celle qui existe au sein des entreprises privées.

Autre solution qui mérite amplement une réflexion aussi, c’est que la pénurie que l’on connaît à l’heure actuelle est probablement le résultat de l’institution dU quota limitant le nombre annuel d’entrées dans les ISPITS. Il faut augmenter le nombre des futurs infirmières et infirmiers, ouvrir encore plus d’écoles de formation. Si on fait un calcul rapide on peut aisément comprendre que les estimations des besoins réels à l’échelon national n’ont jamais été respectées ou pris en considération ou même constitué une priorité des décideurs, ce qui fatalement à fini par conduire comme on le constate aujourd’hui à cette situation de pénurie.

Pour finir je voudrais dire qu’il est essentiel de revoir les salaires des infirmiers, les indemnités, l’ordre des infirmiers doit voir le jour, comme celui des médecins ou des avocats.

En outre, il faut avoir conscience que la profession infirmière au Maroc reste à ce jour mal connue et insuffisamment reconnue. L’image que l’on a des infirmiers (ères) est encore loin de la réalité, cette profession à besoin d’être revalorisée dans tous les sens du terme.

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