Roman Don Quichotte de Miguel de Cervantès
Jill-Manon Bordellay
On entend le martèlement lent des sabots de deux équidés sur les chemins pierreux et les routes poussiéreuses de la Mancha, sorte de désert. L’un derrière l’autre, ils marchent d’un pas nostalgique en hennissant dans le creux d’un sentier. Le premier plus grand , osseux, décharné porte sur son dos le chevalier “à la triste figure”, personnage long et maigre , anorexique, dont l’armure est bricolée, sorte de prothèse sur ce corps fatigué, l’autre le suit avec ses longues oreilles qui tournent en tous sens comme les ailes des moulins , ayant sur son dos un petit homme replet.
Un duo devrait-on dire entre des hommes et/ou des animaux, entre deux personnages humains, entre deux équidés qui errent sans fin dans une éternelle quête, vaincus mille fois mais recommençant l’aventure. A voir les caricatures d’Honoré Daumier (1808-1879), les silhouettes de ces deux cavaliers marchent, désabusées sans savoir vraiment où elles se destinent.
Mais si le roman picaresque insiste sur les personnalités des deux cavaliers : Don Quichotte et Sancho Panza, on connaît moins leur monture. Pourtant sans elle, il n’y a aucune aventure possible, aucune marche pour les exploits supposés arriver. Les deux personnages s’imprègnent l’un de l’autre comme les deux équidés dans un destin commun.
Don Quichotte en bon chevalier a baptisé son cheval, Rossinante. Rocin signifie “cheval de bas-rang” mais également “homme illettré et rustre”. Ce terme est à comparer en français ‘roussin” ou “rosse” :”mauvais cheval”. Est-ce à dire que déjà la monture ne permettra pas au chevalier de réussir dans ses entreprises chevaleresques ? L’animal est-il le présage, plutôt mauvais, de la suite de l’aventure contre les moulins à vent ? Le mot espagnol “ante” signifie “devant ou “en avant” et comme l’indique la narration au début du livre, lorsque Don Quichotte cherche un nom pour sa monture, il choisit “Rossinante” pour signifier clairement que son cheval avait antérieurement été une simple “rosse”, avant de devenir la première de toutes les” rosses” du monde.
Rossinante est bien un cheval et non une jument qui semble en mauvaise santé étant donné son état de maigreur, il est efflanqué et à mauvaise mine. Il y a une similitude manifeste entre Don Quichotte et sa monture. Nous sommes loin de la représentation vigoureuse et fusionnelle d’Alexandre le Grand et de son cheval si célèbre nommé Bucéphale.
Derrière Le chevalier et Rossinante, apparaissent tous deux dévoués Sancho Panza et sa monture : un âne appelé Rucio qui se traduit simplement par “gris” en référence à la couleur du pelage de l’animal. Cet âne a l’espoir un jour de devenir un cheval, car sa petite taille lui donne un complexe d’infériorité. Dans le texte français original de Don Quichotte, l’âne est nommé Grison. Sancho est l’écuyer et le compagnon d’aventures de Don Quichotte. Participant à tous les exploits de son maître, Sancho essaie de raisonner. Il est sensé, posé, modérateur alors que Don Quichotte poursuit ses rêves de gloire et de projets insensés. Rossinante marche désespérément dans les sentiers de la folie, conduisant Don Quichotte vers une auberge que son maître prend pour un château enchanté, prend les filles de paysans pour de belles princesses et les moulins à vent pour des géants. Don Quichotte confond des troupeaux de brebis dans laquelle il prend les brebis pour deux armées qui vont se battre, il prend alors parti et attaque l’un des troupeaux mais les bergers le feront rapidement tomber de son cheval.
Ce livre a été le plus lu à son époque après les textes sacrés, c’est le plus grand chef d’œuvre de la pensée. Don Quichotte est un ouvrage qui vit, il ne reste jamais sur les rayons d’une bibliothèque. Ce chevalier mélancolique emporté par sa boulimie de lectures chevaleresques ressemble quelque peu à Miguel Cervantès (1547-1616) qui mena une vie aventureuse de soldat et participa à la bataille de Lépante en 1571 où il perdit l’usage de sa main gauche. En 1575, à son retour vers l’Espagne, il est capturé par les Barbaresques, captif à Alger. En 1580, il est racheté et regagne son pays. C’est en 1605 qu’il publie la première partie de cet énorme ouvrage : L’ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche
, dont la seconde partie paraît en 1615.
Don Quichotte est une part de l’idéal, d’un rêve littéraire de son auteur/narrateur. Rossinante n’est pas le cheval rêvé des héros militaires, mais l’anti héros dont le destin est associé à celui qui le chevauche.
5 juin 2023