Entretien avec Brahim El Mazned, Directeur-Fondateur de Visa For Music
Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef
Le Visa For Music, premier marché-festival des musiques d’Afrique et du Moyen Orient, souffle sa 10ème bougie du 22 au 25 novembre 2023, à Rabat. Rendez-vous musical et professionnel incontournable en Afrique et dans le monde arabe, ce hub des artistes et des professionnels de la filière musicale reçoit cette année, 2 000 professionnels nationaux et internationaux. À l’affiche, 70 concerts, 15 conférences et speed meetings, 4 formations et workshops ouverts au grand public, une parade de 3 carnavals internationaux. Et pour revenir sur ces 10 années du VFM, on a interviewé son Directeur-Fondateur, Brahim El Mazned. Les propos.
Al Bayane : Le Visa for Music boucle ses 10 ans de présence sur la scène musicale marocaine et africaine. Quel bilan faites-vous d’une décennie dédiée à la filière musicale ?
Brahim El Mazned : Les 10 années du Visa For Music ont été des années très intenses en termes de contenu artistique, de conférences qui sont programmées, d’ateliers, de concerts, de réseautages. Ce sont des années où ont été l’occasion pour beaucoup d’artistes marocains et subsahariens de se produire à la fois au Maroc, mais aussi dans plusieurs festivals internationaux grâce aux rencontres qu’ils ont pu effectuées ici. En effet, plusieurs centaines de bénéficiaires ont profité des stages et des workshops qui sont organisés à l’occasion du Visa For Music, plusieurs speed meetings ont été organisés tout au long de ces 10 années, plusieurs milliers d’artistes se sont produits dans le cadre du VFM. Par ailleurs, pendant la pandémie, on n’a pas arrêté puisqu’on a organisé un des meilleurs festivals au monde en termes de diffusion digitale. Chose qui nous a permis d’explorer une nouvelle communauté qui ne vienne pas forcément au festival, surtout celle qui est loin de Rabat. Le VFM a permis aux milliers d’organisateurs de découvrir la dynamique culturelle de notre pays. Je peux dire que ces 10 années ont été vraiment l’occasion d’instaurer et d’installer au Maroc un vrai marché dédié à la musique.
Quelles sont les nouveautés de cette 10ème édition ?
Nous avons voulu faire de cette 10ème édition, un moment fort à la fois par la quantité et la qualité des artistes qui sont prévus : plus de 70 concerts programmés sur 6 lieux de la ville de Rabat, plusieurs conférences de haut-niveau, plusieurs temps forts en termes de réseautage. Plusieurs formations seront également au menu. On a aussi des artistes qui viennent de pays assez dynamiques et attractifs sur le plan artistique, entre autres, la Colombie, la Corée du Sud, sans oublier toute l’Afrique Subsaharienne. Je pense que ça va être une programmation à la fois éclectique, très riche, intense et surtout on a plusieurs institutions internationales qui ont fait le choix de venir célébrer avec nous les 10 ans. Il y a déjà plus de 2000 professionnels qui se sont déjà inscrits, et je pense que d’autres vont s’inscrire directement en arrivant. Le VFM est un festival ouvert pour la population marocaine, sans oublier que l’intégralité de la recette va être versée intégralement cette année à la caisse officielle des victimes du séisme qui nous a touchés dernièrement.
En termes de chiffres, quelles sont les retombées de ce hub professionnel sur l’écosystème musical marocain et continental ?
En termes de retombées chiffrées, j’espère qu’on aura l’occasion, à l’avenir, d’avoir un cabinet qui pourra nous accompagner pour avoir un impact direct. Mais en tout cas, de ce qui a été estimé à ce jour pour la ville de Rabat, c’est plus de 15 millions de dollars en termes d’hébergement, restauration, transport local, autant en termes d’image positive sur la capitale culturelle de notre pays. Sans oublier les retombées directes sur les artistes qui ont pu décrocher soit des tournées, soit des dates en Europe, en Asie, en Amérique, voire même quelques dates en Afrique subsaharienne, puisque on a plusieurs artistes qui se sont produits en Tanzanie, au Sénégal, en Afrique du Sud, en Côte-d’Ivoire… En termes d’impact, c’est énorme sur le plan financier à la fois pour le territoire, mais aussi pour les artistes et acteurs culturels.
Face aux enjeux actuels de la filière, quid du modèle économique du secteur de la musique dans notre pays ?
C’est une question intéressante. Effectivement, il faudrait prendre en considération les deux aspects, c’est-à-dire la partie digitale et la partie live. Je pense qu’au Maroc, on a une belle infrastructure, mais on peut travailler sur de nouveaux lieux comme des salles de musique actuelle pour pouvoir exposer nos artistes, notamment ceux qui sont dans les musiques urbaines qui ne trouvent pas des lieux adaptés à ce genre de musique. Dans les grandes villes, on peut réfléchir à des lieux beaucoup plus grands. Pour la partie digitale, il faudrait voir comment attirer les investisseurs pour investir sur la production et pour exposer les nouvelles expressions, notamment les musiques pop marocaines. Je pense qu’aujourd’hui, on a quelques locomotives qui font partie des bons artistes streamés, en tout cas dans la région MENA. Je crois qu’on peut aller encore au-delà si on trouve des investisseurs qui s’installent chez nous à Casablanca ou à Rabat.
Tout au long de cette décennie, le Visa For Music a accompagné les grands projets structurants des secteurs de la culture et des arts. Qu’en est-il des états des lieux des industries culturelles et créatives ?
Effectivement, tout au long de ces 10 dernières années, nous avons travaillé sur des projets plutôt structurants, parce que je crois profondément à l’importance de la formation, à l’importance du réseau, à l’importance du développement de capacités sur lesquelles on travaille tout au long de l’année et non seulement pendant le VFM. Je pense qu’il faut continuer ce chantier. Pour ce qui est des industries culturelles et créatives, je pense qu’il y a un travail pédagogique qui a été fait. La preuve : les gens sont aujourd’hui conscients de l’importance de ces industries. Par ailleurs, il y a beaucoup à faire parce qu’il faut qu’il y ait une volonté politique et une action concrète et surtout beaucoup d’investissements pour sortir du langage «subvention» et passer plutôt à un discours d’investissement et à produire et investir dans le contenu. A vrai dire, on a des gens qui ont investi sur les infrastructures, mais je pense qu’il faut investir aujourd’hui dans le contenu pour garantir et promouvoir la qualité pour que le public soit au rendez-vous. Chose qui sera bénéfique pour la production marocaine et les artistes.