Entretien avec le cinéaste marocain, Faouzi Bensaïdi
Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef
Faouzi Bensaïdi a reçu, mercredi 29 novembre, des mains de la comédienne Nezha Rahil, qui n’est d’autre que sa compagne de route, l’Étoile d’Or du Festival International du Film de Marrakech (FIFM), symbole de reconnaissance suprême du festival. Un condensé d’émotions. La preuve : son vibrant hommage était d’une grande sincérité et surtout de poésie.
Tout le monde y était : les artistes, les cinéphiles, les festivaliers… Sur scène ses fidèles artistes tels que Rabii Benjhail, Abdelhadi Talbi, Nadia Kounda, Fahd Benchemsi, Mouhcine Malzi, Hajar Graigaa et Nezha Rahil n’ont pas manqué ce moment historique et si précieux célébrant les 25 années de la carrière riche et brillante du cinéaste. Entretien.
Al Bayane: votre mot lors de l’hommage qui vous a été rendu lors de la 20e édition du FIFM était à la fois poétique et profond. De prime abord, revenant sur ce regard interrogatoire notamment sur un monde actuel vivant une véritable dérive, sachant que vous êtes l’un des cinéastes habités et hantés par les questions de la réalité dans laquelle nous vivons tous et toutes. Quelles sont les tâches du cinéma et des cinéastes dans le contexte actuel ?
Faouzi Bensaïdi : je pense que le cinéaste ne vit pas coupé du monde dans lequel il vit, bien au contraire. C’est vrai comme je disais, les bruits du monde m’arrivent, et je les entends, ils sont juste très durs, très atroces, en ce moment, avec tout ce qui nous arrive et tout ce qui se passe en Palestine sans oublier bien entendu la montée générale d’une pensée extrême. C’est quelque chose de très inquiétant et qui prend de plus en plus de la place notamment en ce qui se passe en Europe, notamment avec l’arrivée de plus en plus de partis de l’extrême droite au pouvoir. Autrement dit, c’est une chose extrêmement inquiétante.
L’hommage a été un moment fort : vos mots si poétiques et sincères en témoignent. Que représente cet instant important pour vous, à Marrakech, après un quart de siècle de création ?
C’est vrai que cette émotion là et le fait d’être invité à recevoir cet hommage a créé aussi une émotion qui a fait que ces mots sont arrivés et qui a fait que cette émotion a été partagée. C’est un hommage qui arrive dans mon pays, c’est quelque chose d’important et extrêmement important. C’est aussi un hommage qui arrive alors que j’ai plutôt une carrière de films qui était un choix pas toujours très évident par rapport au marché, par rapport à l’industrie. J’ai toujours fait des films toujours avec beaucoup de liberté qui n’était pas facile tous les jours parce qu’il fallait l’assumer et assumer ce qui va avec. Quand on fait des films comme ça, quand on fait des films libres tout le temps, on ne répond pas, peut être, aussi aux attentes parce qu’il y a des difficultés à financer des films. Donc, c’était un chemin qui n’était pas non plus facile de tout le temps.
Dans vos films «Jours d’été» qui a été projeté au Festival national du film de Tanger ou encore votre nouveau western moderne «Déserts» qui a été projeté au FIFM, il y a cette continuité, voire attachement aux personnages complexes et compliqués, et qui sont, néanmoins, porteurs de questions existentielles et ontologiques. Il faudrait rappeler aussi dans votre film «Trajets», il y a cette mélancolie qui habite les personnages sachant que dans les autres films vous avez donné cette liberté à vos personnages de s’exprimer librement au point qu’on a l’impression que le personnage est plus important que l’intrigue. Peut-on dire que le personnage est plus intéressant que l’histoire dans votre démarche de cinéaste ?
C’est vrai, mais je pense que le cinéma a été beaucoup réduit à raconter des histoires alors que le cinéma est capable de beaucoup plus. Il faut dire que parfois le personnage est plus riche et plus intéressant à suivre que de s’occuper trop de l’intrigue. À vrai dire, on est dans une période où on s’occupe trop de l’intrigue. Et j’en dis qu’un scénario est bien parce que l’intrigue est bien faite ; pour moi ce n’est pas vrai. Je ne pense pas que c’est la chose la plus importante, mais on est passé dans quelque chose comme ça. Oui, il y a cette idée de l’intrigue, du scénario, de la dictature du scénario et on oublie la poésie, on oublie la beauté, la force du cinéma qui est l’évocation aussi. Tout ça on l’oublie et on focalise beaucoup sur l’intrigue, on croit souvent que les films sont bons parce qu’ils savent raconter une histoire de A à Z, selon les normes. Mais, quand on est dans les normes, on n’est pas dans l’art.
Certes que dans les films «Jours d’été», qui est une adaptation de la pièce de théâtre d’Anton Tchekhov, ou encore «Déserts» il y a aussi du théâtre, du mélange des genres. Parlez-nous de cette théâtralité qu’on croise souvent dans vos œuvres cinématographiques?
C’est vrai, il y a cette théâtralité que le cinéma accepte sachant que le cinéma n’accepte pas toutes les théâtralités. Il y a une certaine théâtralité que le cinéma accepte. Moi, maintenant, je sais ce qui est cinématographique dans le théâtre. Et la théâtralité fait partie un peu de mon travail parce que je développe quelque chose dans ce sens, mais il y a dans les deux la même démarche, c’est toujours les mêmes questions, c’est toujours la question de la mise en scène au cœur des films. C’est quelque chose qui existait dans les films «Jours d’été» et «Déserts».
Il y a cette fascination, si n’osons dire, pour le plan large comme on l’avait vu dans votre dernier film «Déserts» et bien d’autres. Dans ce plan large il y a une profondeur, voire une singularité de votre travail de cinéaste. Pourriez-vous en dire plus ?
Effectivement. C’est une lettre d’amour aussi parce que souvent, aujourd’hui, on vous pousse à faire des plans proches parce qu’on considère que le film va passer à la télévision. Donc, il faudrait que les gens réussissent à le voir. On pense même dire : mais attention, on voit même des films sur les portables, donc il faut faire attention. Il ne faut pas écouter ça si non on n’est pas libre et si non on ne fait pas les choses comme il faut. C’est vrai que «Déserts» est un film totalement de cinéma avec ces plans là. D’ailleurs, c’est depuis toujours parce que c’est l’une des grammaires que j’utilise beaucoup.
À vrai dire cette notion du «désert» dans le sens nietzschéen ou deleuzien est présente dans votre dernier film où on a l’impression que les personnages sont perdus dans les dédales de la vie, de l’existence. Par ailleurs, il ne faut pas oublier aussi le symbole et cette espèce d’abstraction qu’on trouve dans le film. Parlez- nous de ces choix ?
Ce n’est pas un choix de délibérer, mais c’est vrai qu’il y a quelque chose extrêmement préméditée. De manière générale, dans la construction du film, il y a quelque chose où je pense que le film connecte avec quelque chose qui dépasse l’homme et qui le connecte avec l’univers. Je ne pense aussi que les éléments de la nature, les éléments principaux de force de la nature devaient exister dans le film. Évidemment, il y a beaucoup de matériaux, de texture, de la roche, des montagnes et de l’atmosphère western. La nature est très présente dans le film. On peut dire aussi que la nature reprend ses droits à la deuxième partie.
Dans le film « Déserts», la caméra suit certes les deux agents de l’agence recouvrement qui sillonnent les quatre coins du pays, mais il y a aussi ce regard très minutieux sur les petites gens. Pourquoi un tel intérêt aux personnes qui sont à la marge et qui font le sujet de vos films ?
C’est vrai, les gens me touchent beaucoup, énormément. Les gens simples, les gens qui n’ont pas eu de chance dans la vie. Or, les gens qui ont des destins fracassés sont toujours plus intéressants, plus touchants, plus humains. Je dis souvent que les gens parlent des trains qui arrivent en retard et après des trains qui arrivent à l’heure, mais quand ça déraille ça devient intéressant.
Dans vos films, il y a toujours de la poésie en filmant la dureté du vécu des gens. Et par le biais du cinéma vous tentez aussi de poétiser quand même ce monde difficile et parfois atroce. Qu’en pensez-vous ?
En tous les cas, il y a une approche poétique du cinéma. Il y a aussi une relation poétique au monde. Je pense que l’art cinématographique est un art qui accueille cette dimension poétique de manière très belle et que c’est la meilleure manière de parler au monde, c’est passer par la poésie. On peut dire que le film commence comme un roman et finit comme un poème.
Il y a aussi cette séquence où on voit le journal de Bayane Al Yaoum qui a été mis en évidence.
C’est vrai. Bayane Al Yaoum était très présent, il y a toute la pensée et tout l’historique qui sont derrière.