A l’initiative d du secteur des avocats du PPS
Réunis à l’initiative du secteur des avocats du Parti du Progrès et du Socialisme, jeudi 5 décembre au siège national du parti à Rabat pour débattre de la nécessité d’amender le Dahir portant loi N° 1-84-177 du 6 moharram 1405 (2 octobre 1984) relatif à l’indemnisation des victimes d’accidents causés par des véhicules terrestres à moteur, des bâtonniers et avocats ont souligné que cette loi a la particularité de faire l’unanimité de tous contre elle par sa désuétude et son injustice.
Ouvrant cette conférence, Me. Loubna Sghiri, membre du bureau politique du PPS et coordinatrice du secteur des avocats du parti a souligné qu’à travers cette initiative, le parti compte apporter sa contribution et son appui supplémentaire au plaidoyer pour la révision de cette loi, qui risque d’être oubliée, au moment où le secteur connait une série de réformes, qui portent sur un grand nombre de lois : code de la famille, code procédure pénale, code de procédure civile, code pénal, code de la profession et bien d’autres.
Me. Birouaine : L’amendement de ce texte requiert une volonté royale
Prenant la parole, Me. Hassan Birouaine, bâtonnier du barreau de Casablanca a d’entrée affirmé que le Dahir de 1984 a fait perdre dès son entrée en vigueur aux magistrats leur indépendance, eux qui disposaient avant cette date d’un pouvoir d’appréciation des indemnités à accorder aux victimes des accidents de la circulation.
Il a rappelé que l’adoption de cette loi a eu lieu lors de la période de crise que connaissaient à l’époque le secteur et les compagnies d’assurance.
Et contrairement à ceux qui prétendent que ce sont les indemnisations importantes décidées par les magistrats qui sont à l’origine de cette crise, le bâtonnier Birouaine a indiqué que ce sont plutôt les dysfonctionnements et les défaillances en matière de gestion, d’audit et de contrôle qui l’ont provoquée. C’est ainsi que plusieurs directeurs de compagnies d’assurances ont fait l’objet de poursuites judiciaires dans ce sens, a-t-il rappelé.
L’adoption de cette loi est intervenue, alors que le pays traversait une grave crise économique, à l’issue de laquelle il a dû abandonner son plan quinquennal et adopter le plan d’ajustement structurel proposé par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale et réduit à zéro les dépenses à caractère social.
Après avoir rappelé que tout le monde y compris des responsables est convaincu de la nécessité de la révision de cette loi, il a affirmé que le gouvernement manque toutefois de courage et de la capacité requise pour faire face au pressing et au lobbying des grandes compagnies d’assurance. Dans ce cas précis, a-t-il ajouté, l’on a besoin d’une volonté royale pour faciliter la tâche au gouvernement qui engage une réforme de ce genre. Et ce pour la simple raison que la refonte de cette loi, qui concerne un secteur dont la gestion n’a rien de transparent, fait partie de ces grands dossiers qui dépassent par leur ampleur les capacités du gouvernement, a-t-il expliqué.
Tout récemment, le ministre de la justice Abdellatif Ouahbi a promis l’ouverture de concertations avec les compagnies d’assurance et d’autres acteurs pour parvenir à des compromis autour de cette question, a-t-il dit.
Pour le bâtonnier, ce Dahir ne permet guère aux victimes de bénéficier au cours de toutes les étapes de procès équitables et équilibrés. Les compagnies d’assurance disposent de la liberté totale de décider quand elles veulent exécuter les jugements rendus, a affirmé le bâtonnier.
Sur le plan formel, a-t-il rappelé, il s’agit d’un texte sans préambule, adopté dans l’intervalle de deux sessions parlementaires et dont les dispositions ne répondent plus au contexte actuel et à l’évolution de la société marocaine. Sa refonte s’impose à présent pour sa mise à niveau de la Constitution de 2011 et pour rendre justice aux victimes des accidents de la circulation, a-t-il dit.
Pour illustrer ses propos, le bâtonnier a cité l’exemple d’une femme de 48 ans, enceinte à son 9ème mois, et qui avait perdu son premier bébé et l’usage de ses jambes fracturées, à l’issue d’un accident de la circulation. En application des dispositions de cette loi de 1984, seule la victime qui dispose d’un extrait d’acte de naissance a pu être indemnisée. C’est dire que ce Dahir est un véritable drame, a-t-il martelé, soulignant l’urgence de l’amender.
Me Jeddi : En Espagne, une seule séance suffit pour l’examen de telles affaires
De son côté, Me. Driss Jeddi, avocat au barreau de Madrid où il exerce depuis une vingtaine d’années, a axé son intervention sur l’expérience espagnole en la matière. Selon lui, le barème d’indemnisation appliqué au Maroc n’a rien à voir avec ce qui est pratiqué en Espagne.
Pour lui, l’amendement du Dahir de 1984 s’impose, car il fait fi de toute considération humaine et morale et n’accorde aucune valeur au Marocain en tant qu’être humain.
En Espagne, a-t-il rappelé, l’examen des affaires de ce genre diffère de ce qui se passe au Maroc. L’avocat récupère le dossier des affaires dont il a la charge par voie électronique. Et ce gratuitement. L’autorité qui a établi le procès-verbal de l’accident doit se présenter aux audiences du tribunal pour s’expliquer. Idem pour le médecin qui délivre à la victime le certificat médical.
Les affaires concernant les accidents de la circulation sont traitées le plus souvent en une ou deux séances et tout report doit être justifié.
Il a également précisé que les compagnies d’assurance remboursent tous les frais et dépenses, alors que le conducteur du véhicule est civilement responsable, qu’il soit détenteur ou non d’un permis de conduire.
En général, les compagnies d’assurance préfèrent exécuter les jugements avant que l’avocat ne le réclame, de peur de payer les intérêts de retard, qui peuvent aller jusqu’à 50% des dommages.
Il a ensuite fait état de toutes les indemnités colossales prévues pour décès, incapacité corporelle permanente ou temporaire et bien d’autres au profit des victimes et des ayants droit. Quant au taux d’indemnisation, il est indexé sur le niveau de vie.
Pour ce qui est des opérations chirurgicales, elles sont totalement prises en charge par les assureurs, a-t-il dit, notant que tous les dommages et toutes les incapacités font l’objet d’indemnisations, selon un barème précis. Tous les ayants droit en bénéficient.
Quant aux avocats, ils bénéficient d’honoraires substantiels, en dépit du fait que la loi ne leur accorde que 15% des indemnités dans les affaires dont ils ont la charge.
Il a également recommandé aux avocats marocains de plaider pour l’application de la convention de coopération du Maroc avec les pays européens de 1971 relative au sujet, qui prévoit que c’est la loi du lieu où le véhicule est enregistré (Espagne, France, etc…) qui doit être appliquée au lieu du lieu de l’accident.
Me. Basraoui : Eviter que l’amendement ne débouche sur un texte plus injuste que l’actuel
Pour ce qui le concerne, l’ancien bâtonnier Allal Basraoui a soulevé la question de la conformité ou non de ce Dahir avec la Constitution de 2011.
Adopté lors d’une époque difficile et exceptionnelle, ce Dahir se basait sur un SMIG dépassé, a-t-il dit, notant que l’inconstitutionnalité de cette loi se manifeste à plusieurs niveaux en particulier en ce qui a trait au non-respect des principes d’égalité et des droits de l’homme.
Il a également relevé le manque d’harmonie du code du travail et du dahir de 1984 dans l’indemnisation des victimes d’accidents ayant entrainé des incapacités égales, ajoutant que cette loi n’indemnise pas pour dommage sexuel.
Tout plaide pour la refonte de cette loi, mais ce qui importe, selon lui, c’est de faire preuve de vigilance pour éviter l’adoption d’une loi plus injuste que l’actuelle, comme c’est le cas de la loi sur la grève ou celle sur la procédure civile.
Tout en espérant que cet amendement soit pour le meilleur et non pour le pire, il a fait état d’une série de pratiques malsaines des compagnies d’assurance pour éviter de verser à temps les indemnités et les remboursements des frais et des dépenses au profit des victimes.
Il a par ailleurs exprimé sa crainte de voir les compagnies d’assurance imposer leur loi lors des concertations en cours engagées par le ministre de la justice pour l’élaboration d’un texte qui doit répondre en principe aux aspirations et attentes de tous, sachant que le marché des assurances au Maroc est l’un des plus juteux.
Me Naitlho : Pour le PPS, il importe de rendre justice aux victimes et de réduire le nombre des accidents de la circulation
Pour sa part, Me Karim Naitlho, membre du Conseil de la présidence du PPS a souligné que le parti accorde un intérêt particulier au drame des accidents de la circulation, dont les pertes sont estimées à quelque 19,5 milliards Dirhams.
En 2023, a-t-il dit, le Maroc a enregistré 85.485 accidents physiques de la circulation dans le périmètre urbain contre 80.091 en 2022. Ces accidents ont eu une incidence directe sur le nombre total des victimes, dont le nombre est passé de 834 morts en 2022 à 993 en 2023, auxquels s’ajoutent 4.413 blessés graves et 111.478 blessés légers.
Il va de soi que l’augmentation du nombre des accidents de la circulation a un impact hautement négatif sur le pays en termes de dépenses de soins, de réparation des véhicules, outre l’indemnisation des victimes et la perte de forces productives et de vies humaines.
Pour ce qui est du Dahir du 2 octobre 1984, il a accordé aux compagnies d’assurance de grands privilèges, a-t-il dit, notant que tout a augmenté chez les assureurs, à l’exception des indemnités dues aux victimes.
En fait, les indemnisations versées aux victimes ont baissé de 3 à 4 fois, a-t-il ajouté.
Compte tenu de ce constat, Me Naitlho a recommandé une dizaine d’amendements dont la révision du barème du 2 octobre 1984, la revalorisation des remboursements des frais et dépenses, la prise en charge systématique des victimes par les compagnies d’assurance et le recours à la procédure de réconciliation entre la victime et l’assureur, une pratique bénéfique aux deux parties. Et d’appeler au terme de son plaidoyer à l’adoption d’une loi plus juste en remplacement de l’actuelle loi symbole d’injustice et d’iniquité.
De nombreux autres avocats ont ensuite pris la parole pour enrichir le débat et proposer entre autres de compiler en une seule loi toutes les dispositions relatives à l’indemnisation des accidents de la circulation éparpillées dans d’autres textes. Pour une avocate, à chaque fois qu’un client se présente dans son cabinet pour lui demander de l’assister dans une affaire d’un accident de la circulation, elle évite de le prendre, sachant d’avance qu’il sera déçu par toutes les décisions prises en application de ce maudit texte.
M’Barek TAFSI