Derrière l’institution d’Al Bayane, se dresse une direction guerrière

Je suis convaincu que la longévité et l’endurance du quotidien Al Bayane méritent plus qu’une simple félicitation. Ils nous obligent à nous incliner devant les efforts qu’il ne cesse de déployer en tant que support de presse national avant d’être partisan. Un retour aux premiers débuts de cette publication, marqués par les tractations politiques de l’après indépendance, quand le quotidien était exclusivement lié au parti qui l’éditait et était considéré comme un instrument de lutte pour l’éclosion d’une presse libre et indépendante au Maroc.

Al Bayane, dans son long processus, a connu moult actes de restriction portant sur la liberté d’opinion et la liberté de presse. Ses rotatives ont été saccagées et ses publications interdites. Ce climat était certes général et reflétait l’état général qui régnait au Maroc à l’époque. Il affectait toute la presse nationale, tous titres confondus, qui était une des citadelles de la lutte populaire. A l’époque, plusieurs journaux avaient subi les affres de la censure et des restrictions de tous genres qui portaient atteinte à la liberté d’opinion et de la presse. Toutes ces publications militaient pour une même cause : l’indépendance de la presse et la liberté d’opinion et par ricochet, la lutte pour la démocratisation de la société à travers la liberté des médias.

La génération, qui a succédé aux pionniers et aux fondateurs, était issue de cette matrice marocaine, de cette spécificité qui ne concevait pas le journalisme comme un simple métier, mais comme une mission et un combat pour la liberté et la démocratie.

On ne doit pas oublier que feu Ali Yata était connu, en plus de son engagement politique total, comme un brillant journaliste et le fondateur de plusieurs institutions, que ce soit des journaux ou le SNPM qui était composé au début des patrons de presse. Ce syndicat avait joué un rôle capital dans la lutte contre les années de plomb. Feu Ali Yata avait contribué avec d’autres et surtout Si Mohamed Berrada à la création de Sapress.

Face à ce contexte hostile, Al Bayane a résisté et a réussi à se maintenir, voire même, à disposer de ses propres imprimeries. Cette publication a vu défiler dans ses rédactions plusieurs plumes distinguées, et je ne peux m’empêcher de citer les noms de deux fils de Feu Ali Yata, Nadir que Dieu ait son âme et qui était considéré comme un monument dans le milieu au niveau national et international, ainsi que Fahd Yata.

Mes souvenirs remontent à 1986, je venais à peine de quitter l’Institut supérieur de Journalisme de Rabat, quand je présentais ma demande de travail en premier au quotidien Al Bayane. Ma rencontre avec feu Ali Yata m’avait marqué. Juste avant mon intégration, il m’avait susurré que l’expérience sera difficile et que je serais appelé à faire face à des difficultés. Malgré cette mise en garde, j’ai relevé le défi et j’ai travaillé à Al Bayane et après à Al Ittihad Al Ichtiraki.

Al Bayane fut, des décennies durant, leader et trônait parmi les premières publications sur la scène journalistique nationale aux côtés d’autres supports. Ce sont les piliers de la profession qui nous ont légué les pionniers et sans lesquels notre génération n’aurait jamais pu exercer le journalisme.

Actuellement, Al Bayane fournit un effort exceptionnel dans les conditions sévères que connait la presse papier à travers le monde. La direction actuelle d’Al Bayane, et j’en suis témoin, bataille pour la pérennité de l’institution avec une abnégation et un dévouement exceptionnel que je peux qualifier de gestion guerrière. Elle se démène au quotidien pour ramollir les contraintes et maintenir les équilibres. C’est ce travail qui permet à Al Bayane de continuer d’exister et il le restera encore longtemps. Je lui souhaite longue vie !

 

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Un journalisme de résistance démocratique et pacifique

Né il y a quarante cinq ans, Al Bayane adopta d’abord une périodicité hebdomadaire. On garde en mémoire cette époque glorieuse qui a vu émerger ce journal sous la direction du leader de l’ancien Parti communiste, le charismatique Ali Yata. C’était aussi le couronnement d’une longue lutte marquée par l’interdiction du parti par le gouvernement du nasserien Abdallah Ibrahim, puis la reprise à la fin des années 60 sous une nouvelle appellation de Parti de Libération et du Progrès (PLS) interdit à son tour à la veille de la première tentative de coup d’État de 1971, avant de renaître de ses cendres et porter le nouveau label de Parti du Progrès et du Socialisme (PPS).

Les premières années de la vie de ce journal militant ont été intenses, dures, palpitantes… L’aventure éditoriale se mue dans l’urgence, en un journalisme de combat, porté par des militantes et des militants du parti qui se sont improvisés rédacteurs, correcteurs et vendeurs à la criée dans la rue. En somme, nous avions assisté à la naissance d’un journalisme de résistance démocratique et pacifique. Al Bayane est né et a grandi dans une culture de résistance et d’indépendance, pour que les règles d’or du journalisme d’information, à savoir l’honnêteté, la précision, l’équilibre et l’impartialité, soient une réalité dans notre pays. 45 ans après, ce parcours devrait prendre un nouvel élan, grâce à l’expérience accumulée et je dirais même grâce à la pression de tendance lourde de l’époque en matière de communication où la presse-papier se remet partout en question lorsqu’elle n’est pas littéralement acculée à le faire. Je ne saurais en dire davantage à notre ami Nabil Benabdellah qui fut pendant une demi-décade ministre de la communication.

Il serait intéressant de recueillir les témoignages des fondateurs du journal pour nous narrer les premiers numéros et les conditions dans lesquelles ils furent confectionnés. Hélas! Ils sont tous morts ou presque. Ils nous auraient évoqué les conditions de la création, avec, notamment, des flash-back sur l’ambiance au sein de la rédaction lors de la confection de chaque nouveau numéro d’Al Bayane fragilisé par tant de défis.
Ils nous auraient également rappelé les moments difficiles du support et les procès intentés à Al Bayane. Car n’oublions pas que feu Ali Yata fut jeté en prison par le général Oufkir pour délit d’opinion.

C’est un secret de polichinelle : la presse-papier ne se porte pas comme il y a 45 ans. On la dit gravement malade, au point que les journaux eux-mêmes en seraient à rédiger leur propre nécro.
On a souvent décrit la situation comme presque intenable pour le journal fondé par Ali Yata.

Mais les femmes et les hommes d’Al Bayane sentent, sans doute, le devoir de se surpasser chaque jour parce qu’ils sont conscients de l’honneur de travailler dans un journal de légende. Il appartient à la génération de Nabil Benabdellah d’imaginer un avenir dont tout le monde répète qu’il appartient à l’image et pas à l’écrit. Je suis convaincu cependant qu’un parti comme le PPS qui regorge de compétences est capable de relever le défi. Il faut juste faire sortir un journal qui soit le plus sérieux possible, le mieux informé, le plus juste et le plus impartial. Pour qu’il soit tout simplement le meilleur.

Alors oui, c’est vrai. Certaines interrogations sont légitimes : car pourquoi investir son talent, son énergie et son argent dans un titre, quand la presse traverse, on l’a assez répété, la plus grande crise de son histoire – si ce n’est, justement, pour l’aider à la surmonter, dans la fidélité à l’esprit d’un passé si extraordinaire.

Certains titres résistent malgré les assauts de l’adversité.
L’âge de 45 ans, dans l’absolu, ce n’est pas beaucoup pour un journal. Mais ce n’est pas peu, surtout quand on se rappelle le nombre de publications disparues en cours de route…

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