Par: Abdeslam Seddiki
Après la constitutionnalisation des collectivités territoriales et l’adoption des lois organiques relatives à ce sujet, il ne manquait que la mise en œuvre d’une véritable déconcentration pour boucler la boucle de l’émergence d’un Etat territorial. C’est désormais chose faite avec l’adoption récemment par le gouvernement du décret portant charte de déconcentration administrative, décret dont les orientations générales ont été approuvées en Conseil des Ministres du 30 aout 2018.
Ce faisant, le Maroc vient d’accomplir une révolution en douce dans son architecture institutionnelle qui aura des retombées sur les relations entre l’administration centrale et les pouvoirs déconcentrés. Une fois la charte de la décentralisation mise en œuvre, on sera en face d’une nouvelle configuration du Maroc faisant de la Région un véritable espace de développement économique et social et un lieu privilégié de traitement des problèmes et doléances de la population. Il faut dire que les conditions pour passer à cette étape qualitative de notre démocratie locale ont suffisamment mûri. Le « couple décentralisation-déconcentration » donnera aux territoires l’efficacité, l’attractivité et l’harmonie qui leur a manqué jusqu’à présent.
Ladite Charte est fondée sur deux principes de base : considérer la région comme étant l’espace adéquat de mise en œuvre de la politique nationale de la déconcentration administrative ; faire du Wali de la Région le pivot de cette politique en tant que représentant du pouvoir central au niveau de la région qui sera chargé de coordonner les activités des services décentralisés et de veiller à leur bon fonctionnement sous l’autorité des Ministres concernés. Il va sans dire que celte réorganisation de l’administration n’est pas sans poser quelques problèmes qu’il convient de régler ex-ante. C’est le cas des rapports des services déconcentrés et des services de l’administration centrale. C’est le cas également des rapports de ces mêmes services avec les Walis et Gouverneurs. C’est le cas enfin des relations de ces services avec les collectivités territoriales.
Les objectifs assignés par la charte sont clairement annoncés. Ils consistent à territorialiser les politiques publiques en prenant en considération les spécificités régionales et provinciales, à mettre en œuvre les fondements d’une meilleure complémentarité entre les prérogatives des administrations déconcentrées et les instances décentralisées , à garantir la convergence et la complémentarité des politiques publiques aux niveaux régional et local, à réaliser plus d’efficacité et d’efficience des programmes et projets publics et « last but not least » rapprocher les services publics des usagers. Il s’agit bel et bien de doter les services déconcentrés de pouvoirs de décision en respectant le principe de subsidiarité, tout en dotant les chefs de ces services du statut d’ordonnateurs.
Au chapitre gouvernance, il est prévu notamment la création d’une commission interministérielle de la décentralisation administrative. Les mauvaises langues diraient : «encore une commission» ! La même structure est déclinée au niveau régional avec la création d’une «commission régionale de coordination» qui se compose, outre son Président en la personne du Wali, des gouverneurs, du Secrétaire Général des Affaires régionales (dont le rôle, comme son nom l’indique, est d’épauler le Wali en faisant le travail du secrétariat et du suivi) , des chefs des services déconcentrés de l’Etat et des responsables des CRI et des Etablissements publics implantés dans la région. Reddition des comptes oblige, des rapports d’évaluation sur l’avancement de l’exécution des politiques publiques et sectorielles seront élaborés d’une façon régulière. Tout comme l’évaluation de la politique de la décentralisation administrative au niveau national, tâche dévolue à la commission interministérielle précédemment citée.
Telle est l’économie de ce décret portant charte de la décentralisation. Le texte est là. Qu’il soit bon ou mauvais, ce n’est pas le moment de le critiquer. Il faut attendre son entrée en vigueur et son application sur le terrain. Mais il faut reconnaitre que l’exercice n’est pas facile et d’autres pays, avant nous, sont passés par là. Avec des résultats tantôt favorables, tantôt déplorables. Inscrivons-nous dans une logique optimiste pour espérer une réussite de ce vaste chantier tant attendu et dans lequel le pays dans son ensemble aura tout à gagner. Une politique de proximité, une meilleure responsabilisation des acteurs, des services publics au moindre coût, plus de justice territoriale et d’homogénéité nationale, valorisation des spécificités locales, développement de la démocratie participative,… tels sont quelques bienfaits cités pèle mêle de ce chantier. Il faut y croire et œuvrer dans ce sens. Tout deviendra possible.