Réalisé par Saoudi El Amalki
Gestion de la migration au niveau national, régional et international; rôle du Maroc au niveau africain en matière de gestion migratoire, «Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières»…Dr Mohamed Charef, enseignant-chercheur et président de la commission régionale des Droits de l’Homme de Souss Massa, décortique et analyse les principales actualités autour de la migration en 2018. Et livre une évaluation sans concession sur le Pacte de Marrakech, qu’il qualifie de «projet pour enterrer la Convention Internationale sur la protection des Droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles». Les propos.
Al Bayane : La migration au Maroc occupe une place centrale parmi les questions majeures, ne serait-ce qu’au plan théorique. Qu’en est-il au juste?
Mohamed Charef : Le concept de migration, dans le cadre des droits Humains, n’est pas limité aux différentes catégories de migrants (travailleurs, réfugiés, déplacés…), mais intègre tous types de déplacements, réguliers et irréguliers, temporaires ou permanents des personnes, de même que ceux des membres de leurs familles. De nos jours, il est admis, que de nombreux pays connaissent les trois volets des mouvements des populations – de départ, de transit et d’installation. Aussi, si je prends le parti d’énoncer, qu’il est un tant soit peu légitime pour l’État de protéger ses citoyens et ses intérêts, ce dernier doit également être conscient que le plein respect des droits humains, des conventions internationales et des engagements internationaux demeure un devoir.
Ceci d’autant plus, à bien y regarder, d’un strict point de vue purement quantitatif, le nombre d’immigrés concerne de façon presque égale les pays du Nord et ceux du Sud ; ceci à contrario des idées généralement reçues et trop souvent colportées par des médias ou des esprits quelque peu partisans. Cette réalité sociologique comptable, est bien paradoxalement occultée aux dépens d’un discours lénifiant, voire dramatisant, qui serait pour l’essentiel celui des seules migrations du Sud vers le Nord ! De surcroît, les discours extrémistes qui ont souvent un caractère principalement passionnel, protectionniste et défensif, poussent à faire croire à l’invasion ! Sujet au cœur de débats politiques et campagnes électorales européennes, avec une forme de banalisation de la stigmatisation des immigrés ainsi que d’une xénophobie décomplexée.
Il faut souligner également que les migrations sont un phénomène complexe et aussi opaque, non seulement pour leur saisie statistique mais aussi dans leurs interconnexions avec la crise globale du déficit de l’emploi décent, l’appauvrissement des populations et les effets induits par les réseaux formels et/ou informels d’un marché de travail sans frontière, débridé fonctionnant dans un monde où il y a de plus en plus de crises politiques, économiques et écologiques. Sans aucun doute, la question des migrations pose un certain nombre de défis, mais sa bonne gouvernance demeure porteuse d’opportunités réelles, pour les pays d’origine, comme pour ceux de transit et d’installation. Elle contribue au développement économique de ces pays, à leur enrichissement culturel et renforce une forme de compréhension mutuelle entre les peuples. Actuellement, d’après les données de l’Organisation internationale de la migration (OIM), il y a 258 millions de migrants. Toutefois, bien qu’ils ne représentent que 3,4% de la population mondiale, ces derniers contribuent à hauteur de 9,4% au PIB mondial. Avec des effets notables quantifiables sur la balance des paiements, sur l’économie locale, nationale, régionale et internationale, et sur le tissu social proprement dit de nombreux pays, concernés au premier chef par l’émigration de leurs ressortissants. Il y a de plus, environ 63 millions de déplacés, dont 40 millions au sein des frontières de leurs propres pays, le différentiel étant composé de réfugiés et de demandeurs d’asile.
Quel est l’apport de la migration? Quelles sont les contraintes qui persistent?
Concernant notre pays, au 31 décembre 2016, selon le Ministère des Affaires Etrangères, il y avait 4 160 966 migrants marocains, avec une présence notoire en Europe. De l’observation à l’échelle mondiale de l’émigration marocaine, on retiendra l’augmentation des flux migratoires, même si celle-ci peut être très variable d’une sous-région à l’autre, ou d’un pays à l’autre. Plus particulièrement, on relève l’accroissement du nombre de Marocains, dans de récents pays d’émigration comme c’est le cas en Espagne, en Italie, au Canada et aux Etats–Unis. Alors que prévalaient auparavant les flux importants vers la France, la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne. Sa genèse permanente est à chercher dans les structures de son fonctionnement sur la base de réseaux, qui lui permettent de se régénérer même dans des conditions difficiles.
Le Maroc est parmi les rares Etats du continent africain, qui est très attentif à ses ressortissants à l’étranger, à leurs transferts financiers et à leur implication dans le processus de développement en cours. Il est désormais de notoriété publique, que les transferts monétaires des émigrés/immigrés ont un rôle majeur non seulement dans l’équilibre de la balance des paiements, mais aussi, sont une source vitale, d’une manière directe ou indirecte, pour de nombreuses familles. Dans ce contexte, en 2014, le Ministère délégué auprès du Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale chargé des Marocains résidant à l’étranger et des Affaires de Migration (le MCMREAM) a fait adopter par le gouvernement marocain les grandes lignes de la Stratégie Nationale au profit des Marocains Résidant à l’Etranger (SNMRE). Elle est structurée autour de trois axes : préservation de l’identité des MRE ; protection des droits et intérêts des MRE ; contribution des MRE au développement du pays. Aussi, on constate notamment dans la Région Souss-Massa, que les émigrés bousculent les paysages ruraux, dynamisent l’économie, transcendent les schémas sociaux, revalorisent le patrimoine et les produits du terroir, stimulent les mutations culturelles, renforcent l’ouverture sur le monde et corroborent le décloisonnement du pays.
Sans doute, le Maroc constitue un pays émetteur en termes de migration. Quelle est la stratégie nationale mise en œuvre à ce propos?
Dès septembre 2013, suivant les instructions de S.M Le Roi Mohammed VI, le gouvernement a mis en place une Stratégie Nationale d’Immigration et d’Asile (SNIA) et un plan d’action approprié, menant à une politique globale en matière d’immigration, d’asile et de traite. Il faut noter que cette nouvelle politique d’immigration est la suite logique du rapport élaboré par le Conseil National des Droits de l’Homme et intitulé : «Etrangers et droits de l’Homme au Maroc : Pour une politique d’asile et d’immigration radicalement nouvelle». Dans le même esprit, il a entrepris deux campagnes de régularisation, une première campagne en 2014 et une deuxième en 2016, permettant ainsi la régularisation de la situation d’environ 50 000 personnes, soit plus de 92% des demandes déposées et automatiquement les dossiers des femmes, des enfants et/ou de personnes malades ont été régularisés. Il faut souligner que dans le maelström migratoire, rares sont les États arabo-africains qui ont mis en place des politiques d’immigration respectueuses des droits de l’Homme. C’est ici une démarche volontariste et singulière, qui a rencontré un écho très favorable dans les médias et auprès des responsables politiques africains et mondiaux.
Sur le plan universel, quel rôle joue le Maroc dans la maîtrise et la refonte de la problématique de migration?
Le Maroc est engagé depuis de nombreuses années dans la protection et la promotion des droits des migrants et des réfugiés au Maroc et ailleurs, passé de pays de départ à celui de transit, puis d’installation en l’espace de quelques années. Il est très actif au niveau continental et international. Il suffit de rappeler dans ce cadre, la conférence d’adoption du Pacte Mondial pour des Migrations Sûres, Ordonnées et Régulières, à Marrakech les 10 et 11 décembre 2018. Cette Conférence est venue compléter les travaux du Forum Mondial sur la Migration et le Développement, co-présidée par le Maroc et l’Allemagne, dont le 11e Sommet s’est tenu également, du 5 au 7 décembre 2018 dans la ville ocre. Au niveau du continent africain, les 30 et 31 janvier 2017, à Addis-Abeba, lors du 28e Sommet de l’UA, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a accepté, à la demande du Président Alpha Condé, de coordonner l’action de l’Union Africaine en matière de migration. Aussi, en juillet 2017, lors du 29e Sommet des Chefs d’État et de Gouvernement de l’Union Africaine, une note préliminaire définissant la «Vision pour un Agenda africain sur la Migration» a été présentée, a été présentée par Sa Majesté le Roi. Dans une approche participative et inclusive, deux Retraites Régionales sur la Migration se sont tenues au Maroc en novembre 2017 à Skhirat et le 9 janvier 2018 à Rabat. L’objectif étant de réfléchir ensemble et de manière consensuelle sur l’Agenda Africain sur la Migration, qui a été présenté lors du 30e sommet de l’UA.
Les consultations que le Maroc a réalisées dans le cadre de son mandat panafricain ont permis de placer les migrants au cœur des débats, de démystifier les préjugés et d’établir un consensus. L’approche adoptée appréhende la sécurité, le développement et les droits humains comme étant trois dimensions interdépendantes pour comprendre le phénomène migratoire et agir en conséquence sur les politiques nationales, la coordination sous-régionale, l’approche continentale et le partenariat international. Au final, lors du 30e sommet de l’Union africaine, en janvier 2018, il a été proposé la mise en place au Maroc, d’un Observatoire Africain des Migrations sous la houlette de l’Union africaine, pour développer l’observation et l’échange d’informations entre les pays africains afin de favoriser une gestion maîtrisée des flux migratoires. De même la création d’un poste d’Envoyé spécial pour la Migration, au niveau des structures de l’Union africaine, qui sera principalement chargé de coordonner les politiques de l’Union dans ce domaine et de collaborer avec les Etats membres pour mettre en œuvre l’Agenda Africain pour la Migration.
Quelle est votre évaluation du Pacte Mondial pour des Migrations Sûres, Ordonnées et Régulières?
Il faut noter qu’en l’absence d’un droit international spécifique sur les migrations, ce pacte a le mérite d’exister. Néanmoins, il est à croire que l’objectif de ce Grand projet semble être de faire oublier, que dis-je d’enterrer, la Convention Internationale sur la protection des Droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles ! En effet, même si le Pacte dans son préambule repose sur de nombreuses Déclarations et/ou Chartes des Nations Unies, hélas, cette convention n’apparaît, qu’en note de page et de manière marginale. Paradoxalement, bien qu’il réaffirme quelques principes positifs contenus dans plusieurs Conventions internationales et qu’il ne soit pas contraignant, il ne fait pas le consensus ; de nombreux pays ont refusé d’y souscrire.