Après l’immobilier et le secteur hôtelier, le Groupe Tazi, connu plus pour son pôle industriel et sa marque de literie Richbond, serait sur le point de mettre un pied dans le secteur des établissements de paiement avec le rachat prochain et définitif de l’opérateur Cash Plus. Le deal, qui attend encore la validation de Bank Al Maghrib, devrait constituer une nouvelle brique dans les ambitions de diversification sectorielle et géographique du Groupe. Quoiqu’il pose d’autres questions…
Boudée par des banques -on parle de CIH Bank, Société Générale ou encore BCP- pour ses prétentions de vente trop exagérées, l’entreprise spécialisée dans le transfert d’argent et devenue plus récemment établissement de paiement avec l’agrément de Bank Al Maghrib, pourra donc très prochainement changer de main. Cash Plus, pour qui les principaux actionnaires cherchaient un repreneur depuis près de deux ans, serait en voie de conclure un deal avec le Groupe Tazi (Richbond).
Les actionnaires qui ont préféré retirer leurs billes avaient, selon la presse, valorisé l’opérateur à 400 millions de dirhams. Trop cher, au goût de potentiels entrepreneurs pour une entreprise qui n’a généré en 2017 qu’un chiffre d’affaires de 150 millions de dirhams, lequel devrait s’établir en 2018 à plus de 200 millions de dirhams, selon les prévisions d’un expert du secteur. Les actionnaires auront donc finalement modéré leurs ardeurs et exigences sur le prix et la conclusion d’un accord avec les Tazi en serait le témoin. En attendant une sortie officielle de l’une ou des deux parties, l’opération dont rien ne filtre pour l’instant a de quoi étonner. Tant la diversification opérée par le Groupe Tazi pouvait être envisagée comme devant rester dans des métiers ou activités connexes à son cœur de métier industriel. Alors, que va chercher un groupe industriel, ou du moins connu essentiellement comme tel, dans le monde des établissements de paiement?
Plus d’un demi-milliard de CA à moyen terme
À en croire un hebdomadaire de la place, le Groupe Tazi tenait absolument à intégrer dans son portefeuille d’activités les services à valeur ajoutée. Et ce, afin de diversifier davantage son portefeuille et ses canaux de génération de chiffre d’affaires. Mais pas que. Il faut dire qu’aux yeux de certains financiers, Cash Plus représente un actif au potentiel très intéressant. L’entreprise, au regard de certaines projections, devrait réaliser des performances jugées pour le moins très encourageantes voire même satisfaisantes pour les détenteurs de son capital. En effet, avec l’obtention de son agrément d’établissement de paiement auprès de Bank Al Maghrib, Cash Plus devrait voir son activité « LowIncome Banking » faire un saut substantiel et contribuer de façon significative aux revenus de l’opérateur. Ce chiffre d’affaires, selon les projections de la même source, devrait s’établir à quelque 600 millions de dirhams en 2022 avec un apport du «LowIncome Banking» estimé à près de 250 millions de dirhams pour quelque 350 millions de dirhams pour ce qui concerne son activité classique de transfert d’argent.
Il faut noter que l’opérateur compte déjà un réseau en pleine croissance de plus de 1300 agences réparties sur tout le territoire marocain et constitué à 80% de franchises. Cette prépondérance de la franchise dans son organisation permet à Cash Plus de percevoir des contributions intéressantes de ses franchisés tout en allégeant le poste des coûts fixes de l’établissement. D’ailleurs, à fin 2017, le réseau générait un chiffre d’affaires moyen brut de 123.000 dirhams. Des données qui sont appelées à prendre davantage d’ampleur avec le déploiement, notamment courant 2019 de l’ensemble des services liés à sa nouvelle dimension d’établissement de paiement. Dans son viseur se trouve le leader du marché, Wafacash qui fait la course en tête dans le domaine de la banque pour revenus faibles. Celle-ci, adossée au premier groupe bancaire du pays, a réussi à distancer ses challengers sur le créneau. Mais Cash Plus ne cache pas ses ambitions de combler, progressivement, l’écart entre «la fille» d’Attijari Wafabank et les autres acteurs. Et ses prévisions sont encourageantes. Les Tazi ont-t-ils flairé la bonne affaire ? Le groupe dont le chiffre d’affaires flirte avec les 2 milliards de dirhams veut visiblement faire le grand saut pour passer ce cap et prendre définitivement la place qui lui revient dans cette strate de grands groupes.
En route vers un conglomérat?
Dans tous les cas, si le rachat des parts du fonds Mediterrania Capital II ainsi qu’une partie de celles détenues par les fondateurs se confirme, le groupe Tazi aura apporter une nouvelle valeur dans son portefeuille d’activités. Il faut rappeler qu’en juin 2013 déjà, Karim Tazi, un des dirigeants du groupe, affichait les ambitions de diversification du groupe. Immobilier et hôtellerie au Maroc, implantation en Afrique subsaharienne étaient entre autres les secteurs visés à l’époque. Sur le territoire national, les projets dans l’immobilier et l’hôtellerie devaient constituer les axes de la diversification. «Au fil de ses retraits successifs du centre-ville vers les périphéries, le groupe Tazi a libéré un patrimoine foncier important au sein de la ville de Casablanca. Une importante démarche de valorisation de ce patrimoine foncier va démarrer. Et si les autorités de tutelle veulent bien s’intéresser aux investisseurs nationaux, ce qui n’est pas prouvé, nous sommes susceptibles d’investir significativement dans le domaine du tourisme et de l’hôtellerie», dévoilait Karim Tazi à un mensuel à cette époque.
Le groupe s’intéressait plus spécifiquement au secteur des apparts-hôtels et des clubs de vacances. Depuis lors, les choses ont évolué chez le groupe industriel. Le groupe a créé, en 2016, une filiale du nom de «Edifoncia» dédiée à l’immobilier, avec comme premier projet les Résidences Bellerive au quartier Belvédère à Casablanca. Cette “business unit“ avait conclu avec le groupe Yamed Capital un partenariat pour son accompagnement. Toujours avec le groupe Yamed, les Tazi ont développé l’appart-hôtel Strelysia à Casablanca, opérationnel depuis 2018; un projet donc conçu et réalisé par Yamed Construction pour le compte du groupe Richbond. S. À ce joli palmarès, s’ajoute la création de la filiale Richbond Hospitality & Contract, spécialisée dans les services d’agencement et ameublement hôtelier et para-hôtelier avec. Et sur le terrain de son cœur de métier, la production de mousse et de literie, le groupe a depuis lors aussi avancé ses pions sur l’échiquier continental.
«Nous étudions des possibilités d’implantation dans certains pays de l’Afrique subsaharienne. Même si le Cameroun et la Côte d’Ivoire accueilleront chacun une de nos usines de production de matelas, nous hésitons encore entre les deux pays pour la toute première implantation. Nous ne sommes pas loin d’une décision, même si, personnellement, j’ai un faible pour la Côte d’Ivoire», déclarait Karim Tazi en 2013. À terme, trois pays étaient concernés par cette internationalisation vers le continent : la Côte d’Ivoire, le Cameroun et l’Angola. Et ces pays devaient servir de base arrière pour couvrir trois sous-régions africaines : la Côte d’Ivoire pour l’Afrique de l’Ouest, le Cameroun pour l’Afrique centrale et l’Angola pour l’Afrique australe. «Nous allons y implanter des activités facilement délocalisables, comme la literie, le linge de lit et les articles d’ameublement en plastique. Certains produits comme les matelas seront adaptés à ces pays. Ce seront plus des matelas avec ressort qu’avec de la mousse», avait-il explicité. Là aussi, le groupe a avancé tout en réajustant ses positions. Richbond a effectivement ouvert une usine en Côte d’Ivoire, fonctionnelle depuis mai 2018, sur un marché où il est en concurrence acharnée avec l’autre marocain Dolidol et des acteurs libanais et chinois.
En outre, l’industriel marocain a acquis une usine de matelas au Kenya en 2018 du nom de Silent Night Kenya qui lui servira certainement à adresser le marché de l’Afrique de l’Est. Une implantation dans un pays anglophone qui déroge un peu à la logique classique des entreprises marocaines de prendre ferme attache avec les pays francophones d’abord avant d’aborder les autres pays. D’ailleurs, ces deux filiales qui constituent les têtes de pont des ambitions africaines de Richbond seront logées au sein Richbond Africa, un holding basé à Casablanca Finance City dont la mission sera de «porter l’ensemble des filiales africaines de Richbond». L’investissement global pour ces deux filiales s’élève à 230 millions de dirhams. À l’occasion, Karim Tazi, administrateur du groupe, déclarait : « notre stratégie est basée sur le transfert du savoir-faire et de l’expertise éprouvée du groupe qui représentera un levier de création de valeurs». L’usine de Côte d’Ivoire est bâtie sur 18.000 m2 et dispose d’une capacité de production journalière de 2.500 matelas. Elle emploie 100 personnes.
Soumayya Douieb
Cash Plus, une douce montée en puissance
Créée en 2004 sous le nom de Ramapar, l’entreprise de transfert d’argent a depuis lors fait un bon bout de chemin. Elle obtient son agrément d’exercice auprès de Bank Al Maghrib en 2009 et devient Cash Plus. En 2012, Cash Plus lance son réseau de franchises avant d’accueillir, deux années plus tard, Mediterrania Capital Partners. En 2015, Cash Plus procède à l’acquisition de la société Eurosol et à un rebranding dans la foulée. Une année plus tard, l’entreprise réalise une augmentation de capital de 50 MDH pour soutenir son développement. Dans le même temps, elle amende ses statuts pour devenir un établissement de paiement. Puis en 2018, elle obtient avec 4 autres acteurs l’agrément de Bank Al Maghrib pour exercer l’activité d’établissement de paiement. À fin 2017, son actionnariat était constitué essentiellement de la famille Amar (actionnaires historiques fondateurs) et Mediterrania Capital Partners II Money (47%).